Rechercher
Rechercher

Idées - Point de vue

Lettre ouverte à Jean-Yves Le Drian : il est encore temps de changer de politique au Liban

Lettre ouverte à Jean-Yves Le Drian : il est encore temps de changer de politique au Liban

Le nouvel envoyé spécial de la France pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, rencontre le président de la Chambre, Nabih Berry, à Beyrouth, le 21 juin 2023. Photo AFP

Votre nomination en tant qu’envoyé spécial du président français au Liban tombe à point nommé et peut aider à faire pencher la balance en faveur des efforts locaux pour reconquérir l’État, restaurer l’intégrité des institutions publiques et réformer le statu quo fondamentalement illibéral qui règne actuellement au pays du Cèdre. Compte tenu de l’importance des enjeux, la politique étrangère de la France au Liban a besoin d’être réévaluée d’urgence. Alors que votre visite à Beyrouth touche à sa fin, une petite fenêtre d’opportunité s’offre à vous pour poursuivre sur votre lancée et contribuer à sortir de l’impasse présidentielle. Pour réussir là où les récents efforts français au Liban n’ont pas abouti, Paris doit réaliser que son rôle ne devrait pas être celui d’un médiateur entre des « parties égales », mais plutôt celui d’un garant de la démocratie et d’un frein aux fauteurs de troubles soutenus par leurs parrains régionaux.

Deux jours seulement après le drame du 4 août 2020, le président Macron a fait une apparition spectaculaire dans les quartiers ravagés de la capitale, où il a été accueilli avec enthousiasme par des centaines de jeunes Libanais qui manifestaient dans les rues pour faire tomber leur gouvernement et ramassaient les décombres laissés par l’explosion. Lorsque les manifestants lui ont dit : « Vous êtes notre seul espoir », il a réagi par des promesses ambitieuses, en demandant une enquête internationale sur l’explosion et en promettant des sanctions à l’encontre de ceux qui continueraient à bloquer les réformes indispensables. Il a également donné aux dirigeants politiques libanais, réunis à l’ambassade de France, quinze jours pour former un gouvernement qui mettrait en œuvre les réformes.

Quatre ans plus tard, cette initiative ne s’est pas concrétisée : aucune réforme n’a été promulguée, l’enquête nationale a été sabotée par le Hezbollah et ses alliés et la France n’a toujours pas imposé de sanctions. Au lieu de cela, les Libanais ont été déconcertés d’apprendre que la France envisageait de soutenir un candidat à la présidence qui incarne tout ce contre quoi le président Macron avait promis de s’élever.

Le paysage politique libanais est dominé par le Hezbollah depuis 2008, lorsqu’il a contraint ses rivaux à la soumission et a été récompensé par le « consensus » (pour reprendre ses termes) de Doha. En conséquence, le statu quo politique au Liban est défini par une hiérarchie qui place le Hezbollah au sommet de la « chaîne alimentaire », tandis qu’une classe politique corrompue se nourrit des restes – soit les fonctions et ressources de l’État qui n’ont pas d’intérêt stratégique pour le parti de Dieu ou Téhéran. C’est ce consensus entre la mafia et les milices qui est à l’origine de l’impasse actuelle et qui risque de transformer le Liban non seulement en un État défaillant, mais aussi en un État quasi autoritaire. Un processus qui le coupera irréversiblement de la région et de l’économie mondiale et qui annulera des décennies d’efforts menés localement et soutenus par la communauté internationale pour construire un pays démocratique et stable.

Le Hezbollah ne cherche pas le compromis mais à disposer d’un veto sur chaque sujet où son pouvoir peut être défié, quitte à transgresser la Constitution ou le processus démocratique. Et lorsqu’il ne parvient pas à imposer ses vues ou son candidat, il n’hésite pas à jouer la carte de la paralysie politique. Sa capacité à jouer cette carte, via des moyens coercitifs, contribue au déclin progressif de l’État, de l’économie formelle et de la citoyenneté. Le succès ostensible du Hezbollah, qui s’appuie sur un long historique d’impunité, sert de modèle à l’Iran, en particulier avec ses mandataires armés en Irak, et menace la démocratie au Liban et au Levant. La lutte pour le Liban revêt donc aussi une grande importance pour le paysage géopolitique régional, dans lequel l’hégémonie et la vision autoritaire de l’Iran sont remises en question.

Malgré tout, la majorité de l’opposition libanaise et les alliés chrétiens du Hezbollah se sont largement ralliés à un candidat technocrate à l’élection présidentielle. Il appartient certes aux Libanais d’élire leur président, mais certaines lignes rouges – concernant par exemple les menaces, parfois implicites, de recours à la violence politique – doivent être communiquées au Hezbollah et à l’Iran en coordination avec les États-Unis et les partenaires régionaux.

Le scrutin présidentiel n’est pas un troc, mais plutôt un élément-clé de l’accord global nécessaire pour arrêter la descente du Liban vers un État autoritaire et en faillite. Le Liban a besoin d’un président, d’un Premier ministre et d’un gouvernement qui s’engagent en faveur de la souveraineté du Liban, des réformes nécessaires à la mise en œuvre d’un accord avec le FMI et qui puissent rétablir des relations significatives avec les États arabes. La France n’a pas besoin de porter ce flambeau seule. La marge de manœuvre croissante de Riyad avec l’Iran peut faciliter la réduction de l’obstruction sur le dossier présidentiel. La coordination entre les partenaires européens et américains renforcera également la crédibilité de la menace ou de l’utilisation de sanctions ciblées contre les fauteurs de troubles. Après tout, les sanctions se sont avérées efficaces pour empêcher le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, de se présenter à l’élection présidentielle ou pour garantir que le président de la Chambre, Nabih Berry, tienne une session électorale, même si ce dernier a ensuite manœuvré pour saborder le second tour du scrutin. La crédibilité d’une politique de sanctions efficace passe par une dissociation du Premier ministre intérimaire Najib Mikati, dont la proximité notable avec l’Élysée, malgré l’échec de son héritage, continue d’exposer la France à des accusations de connivence sur des questions commerciales.

Agissant à l’unisson, la France, les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Égypte doivent faire savoir explicitement à ceux qui font obstacle à l’élection d’un président que ce quintette ne soutiendra pas la « vétocratie » issue des accords de Doha, mais le respect par toutes les parties des règles du jeu énoncées dans la Constitution libanaise.

Nous vivons une époque de grande incertitude, où des mots comme liberté et justice, autrefois considérés comme acquis, redéfinissent le langage des relations internationales. Qu’est-ce que le Liban, comme la France, sinon une idée ? Tout ce que nous vous demandons, c’est de vous engager en faveur de cette idée qui relie nos deux pays et de rejeter la voie plus expéditive mais autodestructrice d’un faux consensus illibéral. Il y va de la survie de notre démocratie !

Par Fadi Nicholas NASSAR

Chercheur au Middle East Institute.

Saleh el-MACHNOUK

Chercheur invité au Middle East Institute.

Exergue : Le statu quo place le Hezbollah au sommet de la « chaîne alimentaire

», tandis qu’une classe politique corrompue se nourrit des restes

Votre nomination en tant qu’envoyé spécial du président français au Liban tombe à point nommé et peut aider à faire pencher la balance en faveur des efforts locaux pour reconquérir l’État, restaurer l’intégrité des institutions publiques et réformer le statu quo fondamentalement illibéral qui règne actuellement au pays du Cèdre. Compte tenu de l’importance des...

commentaires (5)

Enfin des mots justes et qui établissent fermement un diagnostic de ce qui s'est passé depuis 2008 avec le rôle croissant du parti de Dieu dans le blocage de nos institutions ! Je ne veux pas me réveiller et découvrir que le Liban est de venu une mini république islamique à l'instar de sa grande sœur la république des mollahs...

CHAHINE Omaya

09 h 15, le 25 juin 2023

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Enfin des mots justes et qui établissent fermement un diagnostic de ce qui s'est passé depuis 2008 avec le rôle croissant du parti de Dieu dans le blocage de nos institutions ! Je ne veux pas me réveiller et découvrir que le Liban est de venu une mini république islamique à l'instar de sa grande sœur la république des mollahs...

    CHAHINE Omaya

    09 h 15, le 25 juin 2023

  • oubliez la france, pays inutile qui ne fait pas le poid et qui vit des dividendes de la 2eme guerre mondiale, qu'il a en fait perdu si ce n'etait pour les Britinniques et les Americains.

    Elementaire

    19 h 15, le 24 juin 2023

  • Bravo très bon article !

    Tawil aelta

    15 h 11, le 24 juin 2023

  • Mais Madame Falha.....ils cherchent.....voyons...

    Tamimtamim

    11 h 36, le 24 juin 2023

  • ils cherchent quoi exactement à “Middle East institute”!!!!!!

    Chantal Falha

    07 h 35, le 24 juin 2023

Retour en haut