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Les pièges du verbe


Heureux, en vérité, ces pays où tout un chacun peut voir s’affronter périodiquement autour de la même table, devant l’œil implacable des caméras de télévision, deux ou trois personnages se portant volontaires pour saisir les commandes et conduire leur nation. Où, sans même arrêter de grignoter son popcorn, le citoyen peut les entendre dévoiler leurs projets, développer leurs arguments et démolir ceux de l’adversaire : tout cela, bien sûr, à des degrés divers de maîtrise des dossiers, de talent, d’éloquence, de force de conviction et de charisme. D’autant plus décisives sont de telles joutes, qu’il y est question de qualité de vie, d’environnement et d’autres problèmes de nature sociétale, aussi bien que de politique, de défense, de finances et d’économie.


L’opportunité d’un tel espace médiatique de débat entre candidats à la présidence n’est guère offerte hélas ! au peuple libanais. À la veille d’un douzième round de scrutin, c’est bien évidemment en aparté que les deux concurrents en lice se sont enfin avisés de prendre l’opinion publique à témoin. Chacun à sa manière, ils se sont déclarés partants pour la course alors que leurs noms circulaient avec insistance depuis des mois déjà ; une fois chose faite, ils ont fait part de leurs aspirations et objectifs.


À Sleiman Frangié qui s’exprimait dimanche dernier lors de la commémoration du massacre d’Ehden, on veut bien reconnaître le singulier mérite d’assumer haut et clair, jusqu’au bout, ses amitiés et alliances : celles-là mêmes pourtant qui ont plombé sa candidature. Car il s’avère que le tandem chiite ne lui a pas rendu service en le désignant d’office comme son seul, unique et absolument irremplaçable champion ; au contraire, il en a fait un épouvantail. Se posant en garant de l’unité et de l’intégrité du Liban, ce petit-fils de président a notamment accusé ses adversaires chrétiens d’œuvrer à un canton voué à cette communauté ; mais il faisait ainsi l’impasse sur l’État dans l’État (non point hypothétique mais très réel celui-là) que se sont depuis longtemps taillé ses sponsors du Hezbollah.


Entre autres maladresses, Frangié a cru bon d’égratigner au passage ce rival potentiel que reste l’ancien ministre Ziyad Baroud. Énonçant de plates évidences en guise de credo, il n’a pas épargné non plus le juriste et diplomate Nawaf Salam, dont le nom a été avancé, en guise de contrepoids à sa propre et éventuelle élection, pour la charge de Premier ministre. Et qui se trouve être un des rares membres du gotha politique à avoir décliné, en une série de remarquables essais, une vision claire, cohérente et moderne du devenir libanais…


Préférant quant à lui recourir à un communiqué, le challenger Jihad Azour a certes élevé le débat, mais sans pour autant échapper à ces lieux communs (rudement mis à l’épreuve en ce moment) que sont l’unité, l’indépendance, la prospérité et l’appartenance arabe du Liban. De ce texte se détache cependant l’assurance que le pays menacé d’un total effondrement est parfaitement capable de se relever, pourvu seulement que soient mises en œuvre les stratégies adéquates, accompagnées d’une authentique volonté de changement. Un aussi réconfortant diagnostic est, bien sûr, l’atout maître de ce haut responsable du FMI qu’est Jihad Azour. Or dans ce pays de tous les paradoxes qu’est le nôtre, c’est la même connexion avec les temples de la finance occidentale qui lui est reprochée par ses détracteurs, risquant ainsi de tourner au talon d’Achille.


Mais au fait, à quoi cela avance-t-il d’en appeler au peuple, du moment que c’est le Parlement qui élit le président du Liban ? Mieux encore, les députés traduisent-ils fidèlement tous, et à tous les coups, la volonté populaire qui les a propulsés à l’Assemblée ? De mieux en mieux, dans quelle autre démocratie de par le monde, oserait-on seulement évoquer sans rougir de honte, comme on le fait tout naturellement ici, l’existence d’un cartel de grands électeurs régionaux et internationaux, seul et véritable détenteur de la magique consigne ?


En attendant qu’apparaisse celle-ci, douzième épisode, aujourd’hui à la Chambre, de l’interminable feuilleton présidentiel. Du fait des scandaleuses ruptures de quorum provoquées au fatidique second tour, et entrées dans notre folklore parlementaire, l’affaire se résoudra probablement à un passage à vide, un de plus : rien que pure routine en somme, dans la Maison du néant.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Heureux, en vérité, ces pays où tout un chacun peut voir s’affronter périodiquement autour de la même table, devant l’œil implacable des caméras de télévision, deux ou trois personnages se portant volontaires pour saisir les commandes et conduire leur nation. Où, sans même arrêter de grignoter son popcorn, le citoyen peut les entendre dévoiler leurs projets,...