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Économie - Indemnité de fin de service

Une arme à double tranchant : les comptes de la CNSS en détail

Pour les retraités, l’indemnité de fin de service de la Caisse nationale de Sécurité sociale est pratiquement sans valeur. Mais pour les employeurs, elle est trop chère. « L'Orient Today » se penche sur les comptes de cette institution.

Une arme à double tranchant : les comptes de la CNSS en détail

Une personne passant devant le siège de la Banque du Liban (BDL) à Beyrouth. Photo João Sousa

En janvier dernier, les députés des commissions parlementaires mixtes avaient demandé d’avoir accès aux bilans financiers de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) avant de poursuivre l’étude d’un projet de loi longtemps bloqué visant à convertir l’indemnité de fin de service existante en une pension mensuelle, soit le système utilisé dans la majorité des pays. Un mois plus tard, l’Organisation internationale du travail (OIT) achevait son évaluation basée sur des données publiées jusqu’à fin 2020.

L’Orient Today revient sur certaines des conclusions les plus notables de ce rapport. Contrairement à certaines attentes, la CNSS présentait un bilan positif à la fin de 2020, car, compte tenu de l’effondrement de la livre libanaise depuis 2019, les paiements du fonds ont radicalement baissé, explique Luca Pellerano, spécialiste de la Sécurité sociale au sein de l’OIT. Sur le plan social, la situation est moins reluisante, alors que les indemnités des travailleurs ne valent qu’une fraction de ce qu’elles représentaient, contrairement aux objectifs de la Caisse de fournir une protection sociale aux personnes âgées.

À titre d’exemple, avant la crise de 2019, un travailleur de plus de 60 ans qui avait un salaire mensuel de 1,5 million de livres (1 000 dollars) et qui prenait sa retraite après 30 ans de cotisation à la CNSS pouvait s’attendre à une indemnité d’environ 53 millions de livres (35 000 dollars). Un travailleur similaire qui prendrait sa retraite aujourd’hui recevrait un montant beaucoup moins important.

Le salaire de 1 000 dollars du second travailleur est déclaré à 15 millions de livres, à un taux de change bien inférieur que celui en vigueur sur le marché parallèle, le taux officiel étant passé à 15 000 livres en février dernier. Le montant de cette indemnité serait donc de 525 millions de livres, ce que les autorités fiscales considèrent comme équivalent aux 35 000 dollars que son collègue a reçus avant la crise. Sa valeur réelle n’est cependant que de 5 639 dollars, soit moins d’un cinquième de ce qu’il aurait reçu il y a quatre ans.

D’ailleurs, si le salaire du second travailleur était considéré comme plus élevé en livres – par exemple, s’il était déclaré au taux du marché parallèle –, le paiement de l’indemnité serait également plus élevé. Mais cela ne ferait qu’exacerber l’aspect patronal du problème.

Coûts pour le dernier employeur

Car, dans le cadre du système libanais, c’est au dernier employeur que revient la charge de payer la différence entre le montant auquel le travailleur a droit et la somme correspondant au total des cotisations versées pour son compte à la CNSS tout au long de sa carrière.

Si l’employeur du second travailleur, avant la crise, versait à la CNSS la cotisation obligatoire de 8,5 %, il payait 127 500 livres par mois avant la crise. Ces paiements, effectués sur 30 ans, ont accumulé des intérêts et, selon la manière dont son salaire a été ajusté à la hausse pendant la crise, la valeur totale des cotisations se situe entre 99 et 148 millions de livres, selon les calculs de l’OIT communiqués à L’Orient Today. L’employeur doit donc débourser dans ce cas entre 377 et 426 millions de livres pour lui verser une indemnité dérisoire de 525 millions de LL (5 639 dollars). Nous présentons une fourchette parce que ce scénario exact est en dehors du modèle de l’OIT, qui ne présumait pas que le salaire d’un travailleur restait constant à 1 000 dollars pendant la crise.

En livres, c’est bien plus que ce que l’entreprise avait prévu de payer pour le départ à la retraite d’un de ses employés. Si certaines entreprises pourraient supporter ce type de dépenses, d’autres pourraient être poussées à la faillite, érodant encore plus les revenus de la CNSS. Le versement de sommes importantes pourrait également décourager les employeurs de déclarer la valeur totale des salaires, ce qui réduirait les recettes futures de la CNSS et favoriserait les arrangements de travail informels, précise Luca Pellerano.

L’OIT estime que, depuis l’augmentation du salaire minimum à 9 millions de livres, les obligations de la CNSS ont été multipliées par 70 pour atteindre 105 mille milliards de livres (1,1 milliard de dollars, selon le taux de change du marché parallèle), dont la majeure partie incombe aux employeurs. « Il n’est pas réaliste de penser que les employeurs auront la capacité de refinancer entièrement le système de la CNSS », affirment les auteurs du rapport.

Solidarité pour le refinancement de la CNSS

Selon eux, il est urgent de réformer la structure de la CNSS, notamment en passant à un régime de pension mensuelle financée selon le principe de la solidarité intergénérationnelle, afin d’assurer une protection sociale adéquate aux retraités et d’éviter l’effondrement du système de retraite.

« Le seul moyen de refinancer le système de pension est la solidarité. La solidarité entre les travailleurs actuels et les retraités, et la solidarité intergénérationnelle, précise M. Pellerano. Cela revient à dire que l’épargne individuelle des travailleurs dans la CNSS n’est pas la solution pour recapitaliser le système. »

Pour lui, le plus gros problème du système de pension reste sa capacité à faire rentrer de l’argent en provenance des travailleurs et des entreprises, dont beaucoup sous-déclarent les salaires afin d’éviter de payer la totalité des cotisations. Ce problème pourrait s’aggraver à l’avenir. Sans l’amélioration des prestations de la CNSS, les travailleurs et les entreprises ne seront guère incités à y cotiser à hauteur du montant total qu’ils devraient payer. Pour ne rien arranger, la CNSS n’est toujours pas en mesure de vérifier les données salariales qui lui sont fournies en raison d’un manque de personnel et du manque d’échange d’informations avec le ministère des Finances.

État des lieux des actifs de la CNSS

L’exercice comptable de l’OIT a révélé que la catégorie d’actifs la plus importante détenue par le CNSS à la fin de l’année 2020 était les dépôts bancaires, qui en représentaient plus d’un tiers. Ces dépôts sont répartis entre la Banque du Liban (BDL) et 26 banques commerciales, avec 99 % des fonds déposés dans ces dernières. Sur le total des dépôts, seuls 9 %, soit 367 millions de dollars, sont libellés en dollars américains et non en livres.

Cette situation expose la CNSS aux risques d’une faillite du secteur bancaire, bien qu’une loi de 2020 ait théoriquement exempté ses comptes de certains des contrôles de capitaux informels auxquels sont soumis les déposants. Si la restructuration du secteur bancaire a lieu, « il sera essentiel que les dépôts de la CNSS ne soient pas considérés comme un large dépôt, mais plutôt comme la somme de petits dépôts qui bénéficieront d’un traitement spécial », souligne M. Pellerano. Il note aussi que, depuis 2020, la CNSS a modifié son portefeuille d’actifs pour y inclure davantage de bons du Trésor, qui représentent actuellement environ 80 % de la composition de ses actifs.

En parallèle, le gouvernement doit à la CNSS 3,37 mille milliards de livres (36,2 millions de dollars au taux actuel du marché parallèle), un montant qui représente 18 pour cent de ses actifs, selon la comptabilité de l’OIT. Dans un rapport publié en 2022 dans « The Public Source », qui détaillait les manquements répétés de l’exécutif à ses obligations envers la CNSS, l’ancien ministre du Travail Charbel Nahas indiquait que ce comportement représentait une façon pour le gouvernement de « dominer » cette institution.

« Ce n’est pas un montant négligeable, mais ce n’est pas non plus le facteur déterminant qui assurera la viabilité de la CNSS à moyen terme », a déclaré M. Pellerano. « La viabilité de la CNSS dépendra plus fondamentalement de la mesure dans laquelle elle pourra retrouver sa capacité à recevoir des cotisations basées sur les salaires réels, à mesure que les salaires sont ajustés » par rapport à l’inflation.  

En janvier dernier, les députés des commissions parlementaires mixtes avaient demandé d’avoir accès aux bilans financiers de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) avant de poursuivre l’étude d’un projet de loi longtemps bloqué visant à convertir l’indemnité de fin de service existante en une pension mensuelle, soit le système utilisé dans la majorité des pays. Un...

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