Critiques littéraires

Le Héros de Berlin de Maxim Leo

Le Héros de Berlin de Maxim Leo

© Sven Görlich

Le romancier allemand Maxim Leo consacre ses livres à ses origines familiales et à l’Allemagne de l’Est où il est né et a grandi, avant la réunification de son pays. Son dernier roman, récemment traduit en français par Olivier Mannoni sous le titre Le Héros de Berlin, aux éditions Actes-Sud, revient sur la question du rapport entre les habitants des deux anciennes parties de l’Allemagne. Le roman raconte l’histoire de Michael Hartung, un gars qui a tout raté dans sa vie, à cause d’une série de mauvais calculs et en montant des affaires que le devenir économique du monde et les développements technologiques ont rendu systématiquement caduques. Le dernier en date, au moment où s’ouvre le roman, le voit en modeste marchand de DVD à Berlin, en une époque où la vente de DVD devient extrêmement peu rentable. C’est dans cette boutique que vient un matin le trouver un journaliste en pleine enquête sur une affaire qui aurait défrayé la chronique avant l’effondrement de la RDA et mettant en scène un train qui, par une erreur d’aiguillage à un poste de chemin de fer de Berlin-Est, se serait retrouvé à Berlin-Ouest, offrant ainsi par un hasard inouï la possibilité à ses passagers de se retrouver en zone occidentale et donc libres, selon une expression du langage courant de l’époque de la guerre froide. Et l’on découvre avec le journaliste que c’est Hartung qui aurait été responsable de cette erreur d’aiguillage, ce qui aurait entraîné son arrestation pour négligence par les autorités est-allemandes, une arrestation molle accompagnée d’un bref emprisonnement pour la forme.

Sauf que cette affaire qui met donc en scène un cheminot maladroit de l’ex RDA va être transformée par le journaliste en une autre histoire, celle d’un acte volontaire, dans laquelle Michaël Hartung aurait clairement planifié de permettre la fuite du train. Hartung devient alors un habile résistant à l’oppression communiste. Son arrestation est narrée en une succession de tortures, d’interrogatoires et d’emprisonnement avec sévère isolement. Bref, dans la reconstruction de l’événement, Hartung devient un héros. Refusant d’abord de jouer à ce jeu mensonger, il finit malgré lui et à son corps défendant par y trouver son compte. Sa fille lui revient et l’admire, ainsi que son ancienne femme. Il gagne de l’argent grâce à des publicités ou à des projets de livres et de films. Il fait la une des journaux et de la télévision lors du trentième anniversaire de la réunification allemande à l’occasion duquel il est, apothéose finale, invité à s’exprimer au Bundestag devant un parterre de chefs d’États.

Le roman de Maxim Leo, on l’aura compris, raconte de manière palpitante la façon avec laquelle la presse et les médias sont capables de construire une légende. Mais par-delà cette évidence, il montre aussi comment en chemin, c’est l’Histoire elle-même qui est fabriquée de toute pièce, comment les faits sont détournés comme l’a été le train. Il décrit assez justement comment on donne aux événements passés un sens qu’ils n’avaient pas à l’origine, toujours dans des buts idéologiques, ou pour justifier une action ou une décision ou, plus souvent encore pour des raisons financières liées à des intérêts occasionnels et fortuits. Mais cette manipulation et cette reconstruction peuvent aussi, plus simplement et comme c’est le cas dans le roman, avoir pour motif la maladresse et la bêtise de responsables, hommes politiques ou journalistes, forcés d’assumer leurs erreurs en allant jusqu’au bout de leurs mensonges, distordant ainsi aux yeux du public non seulement les faits, mais aussi l’Histoire et son sens.

L’autre intérêt du roman de Maxim Leo, et qui est comme un exemple de cette manipulation, concerne le regard que porte l’Allemagne sur sa partie Est, c’est-à-dire sur l’ancienne RDA. Tout le roman tend à montrer comment le discours dominant de l’époque de la guerre froide, faisant de la RDA un enfer et une cauchemardesque prison pour ses habitants, n’était lui aussi qu’une construction fallacieuse, un trafic de la vérité qui est finalement devenue la réalité qui sert systématiquement aujourd’hui à définir l’ancienne Allemagne de l’Est. La plupart des personnages sont d’anciens citoyens de ce pays. Comme l’auteur, ils y sont nés, y ont grandi et leur enfance et leurs souvenirs ne coïncident jamais avec les éléments du discours officiel. On veut sans cesse leur faire dire qu’ils ont été malheureux, qu’ils ne rêvaient que de fuir, qu’ils n’avaient rien à manger, alors que leurs souvenirs disent souvent le contraire. Cette confrontation et cette non-adéquation entre un discours et ce qu’il cherche à décrire nous montrent de manière étonnante ce qu’on ignore souvent : à savoir que la réunification allemande est bien plus complexe et difficile que ce que le discours officiel, lisse et bien-pensant, veut laisser entendre. Illustration supplémentaire de la construction d’un récit historique qui s’impose et devient réalité.

Le Héros de Berlin de Maxim Leo, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Actes-Sud, 2023, 304 p.

Le romancier allemand Maxim Leo consacre ses livres à ses origines familiales et à l’Allemagne de l’Est où il est né et a grandi, avant la réunification de son pays. Son dernier roman, récemment traduit en français par Olivier Mannoni sous le titre Le Héros de Berlin, aux éditions Actes-Sud, revient sur la question du rapport entre les habitants des deux anciennes parties de...

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