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Société - Éducation

Amputé de 40 % du programme, le bac libanais en perte de qualité

Au terme d’une grève interminable des enseignants de l’école publique, l’épreuve de fin d’études scolaires aura finalement lieu les 10, 11 et 13 juillet.

Amputé de 40 % du programme, le bac libanais en perte de qualité

À l’école publique secondaire de l’émir Chakib Arslane, il a fallu fusionner des classes pour faire face à l’abstention d’enseignants. Photo A.-M.H.

C’est avec une bonne longueur de retard que les élèves de l’école publique se présentent cette année aux épreuves du baccalauréat libanais. Au terme d’une année scolaire chaotique, plombée par un mouvement inédit de grève de leurs enseignants, ils sont nettement défavorisés par rapport à leurs camarades de l’école privée qui ont bénéficié d’une année normale. « J’ai failli perdre espoir. J’étais profondément inquiet de n’avoir pas acquis les fondamentaux qui me permettraient de passer confortablement le bac libanais. » Abdel Rahman, élève de terminale SG au lycée public Saba Zreik de Tripoli, confie son appréhension. La détermination de sa chef d’établissement à embaucher des remplaçants et organiser des remises à niveau lui a permis, ainsi qu’à ses camarades, de se préparer aux épreuves allégées. Une préparation toute relative. « Je suis prêt pour le bac, dans la mesure du possible. Ne manque plus que la confiance », nuance-t-il.

Non seulement les candidats du public ont perdu deux à trois mois d’enseignement, mais le retour des éducateurs, dans le courant du mois de mars, s’est fait en rangs dispersés pour cause de fronde au sein des mouvements syndicaux. Ici, manquait un enseignant de chimie, là de mathématiques ou d’arabe. Là encore, tout un établissement demeurait fermé : ses enseignants se sont abstenus parce que leur salaire en livres libanaises ne vaut plus rien en dépit des réajustements des rétributions de la fonction publique, ou parce qu’ils ont trouvé de meilleures conditions dans le privé.

L’option permet aux élèves de rejoindre l’université
Dans un souci d’équité, le ministre de l’Éducation Abbas Halabi a amputé de 40 % le programme sur base duquel se tiendront les examens officiels, en tenant compte des acquis du secteur public. Il a de plus fixé les épreuves du bac aux 10, 11 et 13 juillet, afin de donner le temps aux candidats de ce même secteur de boucler le curriculum délesté. « J’avais le choix entre deux décisions : annuler les examens officiels ou les organiser, même avec le minimum. J’ai opté pour un bac allégé », déclare-t-il à L’Orient-Le Jour. « Cette option permet aux élèves de poursuivre leurs études et d’intégrer l’enseignement supérieur », explique-t-il.

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Pour guider la décision du ministre Halabi, le Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP) rattaché au ministère de l’Éducation a mené une étude auprès des établissements scolaires pour identifier l’enseignement reçu. « Nous avons conclu que les élèves du secondaire de l’école publique étaient les plus lésés, plus particulièrement les élèves de terminale », explique à L’Orient-Le Jour la présidente du CRDP par intérim, Hyam Ishak. L’organisme a pris la décision de prendre en compte 60 % du programme et treize semaines d’enseignement, sachant que tous les élèves ont bénéficié de huit semaines de classe avant la grève. « Nous avons épuré le contenu du programme d’examens, annulé les matières optionnelles et laissé aux élèves le loisir de sélectionner les matières de leur spécialité », précise la responsable. Une solution qui « ne résout pas le problème ni ne rétablit le niveau d’enseignement », mais représente « un compromis acceptable vu la situation ».

Après le fiasco des attestations accordées par l’ancien ministre de l’Éducation Tarek Majzoub à la fin de l’année scolaire 2019-2020, en pleine pandémie de Covid-19, nul responsable n’est en effet prêt à prendre le risque de voir les élèves refusés par les universités à l’extérieur du pays.

Une baisse de niveau pas quantifiable
Ce qui interpelle en revanche, c’est la qualité du baccalauréat libanais, désormais tributaire de la situation ambiante. Et par conséquent, le niveau des 44 585 élèves en fin de cursus scolaire, dont 21 490 issus du public, selon le bulletin statistique du CRDP de l’année 2021-2022. Le ministre de l’Éducation se veut rassurant. « Si nous considérons le 22 juin comme date de la fin des cours, les élèves de l’école officielle, exceptions mises à part, auront bénéficié de 110 jours d’école. Ce qui est équivalent à l’année passée », tempère Abbas Halabi. La réalité est moins optimiste. Par rapport à l’Europe notamment, où l’année scolaire moyenne compte 180 jours. Par rapport aux normes locales aussi. « Nous avons repris les cours pour les classes terminales fin mars, après trois mois de grève. Nous avons cependant souffert de l’absentéisme des enseignants. Nous avons été contraints de fusionner des classes et d’occulter totalement certaines matières », raconte la responsable d’une école publique sous le couvert de l’anonymat.

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« Dans la pratique, les élèves de terminale du public auraient en effet suivi 60 % du programme scolaire, confirme Maysoun Chéhab, experte en éducation auprès de l’Unesco. Le plus regrettable, c’est que la grève s’est déroulée de janvier à mars, période de pic scolaire destinée à l’acquisition de nouvelles notions, alors que l’automne est généralement consacré aux révisions. » Selon un autre expert s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, malgré la levée du mouvement de grève en mars, « un millier d’enseignants du public se sont abstenus, dont 400 dans l’enseignement secondaire ».

La baisse de niveau est indéniable. « Si la pandémie de Covid-19 est une étape importante de l’effondrement du niveau de l’enseignement au Liban, les grèves à répétition ont encore enfoncé davantage l’éducation et le bac libanais », constate Maysoun Chéhab. « Sauf qu’en l’absence d’évaluations, impossible de quantifier ce qui n’est qu’hypothèse générale pour l’instant », souligne la chercheuse.

La descente aux enfers de l’éducation au Liban a commencé il y a plus de dix ans. Elle s’est accentuée avec la pandémie de Covid-19, la crise libanaise multiforme, l’explosion au port et les grèves d’enseignants, sur fond d’effondrement de la livre libanaise. Dans son rapport 2020 sur l’éducation, la Banque mondiale observait déjà que les élèves libanais comptaient quatre ans de retard en moyenne par rapport aux élèves des pays de l’OCDE. L’organisation montrait alors du doigt l’absence de réforme d’un système éducatif inégalitaire. Trois ans plus tard, les inégalités continuent de se creuser entre les élèves les plus privilégiés et les plus démunis.

L’acceptation aux universités étrangères compromise
Georges, élève de terminale au collège privé des sœurs antonines de Roumieh, se dit « plus que prêt », à un mois et demi de l’épreuve. Alors que ses camarades du public travaillent d’arrache-pied pour boucler le programme allégé, il a déjà terminé ses cours. Il a même été admis à l’université privée de son choix. « Nous avons eu la chance de travailler tout au long de l’année. Nous avons vu et revu le programme du bac plusieurs fois, à fond et sans précipitation », reconnaît-il. Face à lui, Karim, en terminale au lycée public Saba Zreik de Tripoli. « Dans la foulée de l’allègement du programme du bac, d’importants chapitres de maths ont sauté. Nous ne les avons pas même survolés », regrette-t-il. Excellent élève, Karim aspire à la mention au bac qui lui permettrait de décrocher une bourse d’études au sein d’une université privée réputée pour se spécialiser dans l’intelligence artificielle. « Si je n’obtiens pas de mention, je devrais me contenter de l’Université libanaise, seule université publique du pays, qui subit la même crise que l’école officielle », s’inquiète-t-il.

Pour les bacheliers du Liban, mis à part les détenteurs du baccalauréat français (entre 3 000 et 3 300 pour la promotion 2023) ou du bac international (IB), les conséquences risquent d’être dramatiques. Même avec le précieux sésame en poche, leur acceptation à l’université à l’étranger pourrait fort être compromise. « Les universités étrangères s’interrogent désormais sur le niveau des étudiants du Liban. Elles pourraient donner la priorité aux élèves d’autres pays », regrette Maysoun Chéhab. Et même s’ils décident de poursuivre leurs études au pays du Cèdre, les étudiants rencontreront d’importantes difficultés s’ils ne se prennent pas en main. « Sans aucun doute, la première année universitaire sera problématique, les étudiants n’ayant pas acquis des notions indispensables », assure le recteur de l’Université libanaise, Bassam Bedran, contacté par notre journal. Alors, si l’institution est prête à « faire une partie du travail », aux étudiants de fournir de leur côté « un travail personnel intensif ».

L’autre victime potentielle de cette situation est l’école publique du Liban. Scolarisant désormais moins du tiers des élèves (336 301 élèves sur un total de 1 072 325, sans compter les réfugiés syriens scolarisés l’après-midi, toujours selon le CRDP), elle risque d’être désertée, petit à petit, par ses élèves en quête de qualité et son corps enseignant à la recherche d’emplois rémunérés en devise.

« Si vous avez des dollars frais, vous avez accès à l’enseignement privé. Le pauvre, lui, n’a que peu de chances d’apprentissage », gronde Sabah Moujaès, chef de l’école secondaire officielle de Dhour Choueir. « Accordez la priorité à l’école publique ! » martèle Moulouk Mehrez, directrice de l’établissement secondaire public Saba Zreik de Tripoli, dénonçant « les solutions cosmétiques et l’absence de politique publique ». Un cri d’alarme qui espère réveiller un État aux abonnés absents. 

C’est avec une bonne longueur de retard que les élèves de l’école publique se présentent cette année aux épreuves du baccalauréat libanais. Au terme d’une année scolaire chaotique, plombée par un mouvement inédit de grève de leurs enseignants, ils sont nettement défavorisés par rapport à leurs camarades de l’école privée qui ont bénéficié d’une année normale. «...

commentaires (2)

L’important c’est qu’ils sachent lire le nom du zaïm à réélire… Pauvre Liban :-(

Gros Gnon

08 h 38, le 28 mai 2023

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Commentaires (2)

  • L’important c’est qu’ils sachent lire le nom du zaïm à réélire… Pauvre Liban :-(

    Gros Gnon

    08 h 38, le 28 mai 2023

  • "le bac libanais en perte de qualité". Sans doute, mais il vaut probablement encore plus que le bac français!

    Yves Prevost

    18 h 47, le 27 mai 2023

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