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Moyen-Orient - Portrait

Sinan Ogan, le faiseur de roi ultranationaliste des élections turques

Après avoir créé la surprise en obtenant 5,28 % des voix lors d’un premier tour qui a placé Recep Tayyip Erdogan en tête de la course devant Kemal Kiliçdaroglu, cet homme politique hostile aux réfugiés syriens et aux Kurdes espère imposer son agenda au candidat qu’il soutiendra au second tour.

Sinan Ogan, le faiseur de roi ultranationaliste des élections turques

Sinan Ogan, candidat ultranationaliste de l'alliance ATA à l'élection présidentielle en Turquie du 14 mai 2023, à Ankara, au lendemain du vote. Photo Reuters

Le retrait de Muharrem Ince, chef du parti Memleket (Patrie), à trois jours du premier tour, avait fait miroiter une victoire d'entrée de jeu du candidat de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu face au président Recep Tayyip Erdogan au pouvoir depuis deux décennies, mais c’est finalement un troisième homme, inattendu, qui a semé le trouble, en provoquant un second tour de l’élection présidentielle, prévu le 28 mai. Sinan Ogan semble, en effet, avoir empêché M. Erdogan de l’emporter du premier coup, lui laissant juste frôler le seuil des 50%. Sans le candidat de l’alliance ultranationaliste ATA, « Erdogan aurait remporté ce scrutin dès le premier tour », s’est gargarisé M. Ogan en pleine nuit sur la chaîne turque Fox TV.

Désormais, l’homme politique anti-migrants et anti-Kurdes se délecte d’avoir coiffé ses concurrents au poteau en s'imposant dans le rôle de faiseur de roi : « J’avais dit et répété que le HDP et Hüda Par ne seraient pas les clés de cette élection, mais bien les nationalistes », a-t-il déclaré à Fox TV en référence aux deux partis kurdes de Turquie, l’un soutien de l’opposition, l’autre du président sortant.

« Le départ des Syriens »

Universitaire d’origine azerbaïdjanaise, M. Ogan est devenu en 2011 député du parti ultranationaliste MHP de sa province natale Igdir, située dans l’est de l’Anatolie et comptant une importante population azerbaïdjanaise. Critique du rapprochement de son parti avec le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan au lendemain des élections de novembre 2015, il l’a quitté après le référendum d’avril 2017 qui a instauré un régime présidentiel permettant à M. Erdogan d’asseoir son pouvoir sur la Turquie.

Le candidat se présentait ainsi comme une troisième voie entre les deux principaux présidentiables. Un autre transfuge du MHP, Ümit Özdag, fondateur du Parti de la victoire (Zafer Partisi) et adepte de la théorie du « Grand remplacement », a soutenu la candidature de M. Ogan, qui a fait de la surenchère anti-réfugiés syriens l’un des piliers de sa campagne, sur fond de crise économique aiguë.

L’électorat du quinquagénaire au port altier « se situe dans des zones clairement pro-Erdogan », a analysé sur Twitter Mathieu Gallard, directeur de recherche à l’institut de sondage Ipsos, précisant que ses bonnes performances dans les provinces rurales telles que Kayseri, Nevsehir Kirrikale ou Sivas, tiennent sûrement « au vote d'électeurs déçus par Erdogan mais qui ne pouvaient se résoudre à voter Kiliçdaroglu ». L’un des enjeux cruciaux du second tour est de savoir vers quel candidat ces électeurs, conservateurs mais désillusionnés par le pouvoir en place, pourraient désormais se tourner.

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Le troisième homme n’a pas encore donné de consignes de vote pour le second tour, mais il entend monnayer son soutien au candidat qui sera le plus disposé à le suivre dans son obsession nationaliste. Ainsi, lors de sa première allocution après les résultats, il a affirmé vouloir « le départ des Syriens » et s’est dit prêt à voter pour « le candidat qui est d’accord avec cela et qui met cette politique en pratique ».

Le candidat de l’opposition a placé très tôt cet enjeu en haut de sa liste de promesses électorales. Dans son sillage, M. Erdogan, soutien de la première heure à l’opposition syrienne, s’est rapproché du régime de Bachar el-Assad pour négocier le retour des quelque 3,6 millions de Syriens présents sur le sol turc.

Reste que si « son profil politique (nationaliste, kémaliste, anti-migrants) pourrait le faire pencher vers Kiliçdaroglu pour le second tour », d’après M. Gallard sur Twitter, Sinan Ogan aurait précisé dans un entretien à Der Spiegel qu’il ne soutiendrait le candidat de l’opposition que « si le HDP est exclu du système politique ». Une précondition qu'a démentie par la suite le troisième homme de cette élection, mais qui serait difficilement tenable pour M. Kiliçdaroglu, tant elle serait susceptible d'entraîner sa défaite, alors qu'il se place à la tête d’une alliance de six partis dont le HDP est un maillon décisif dans le Sud-Est à majorité kurde. Sous la bannière du parti écologiste et au sein d’une coalition avec le parti ouvrier de Turquie (TIP), le parti pro-kurde a remporté 10,53 % des voix aux élections législatives.

Kemal Kiliçdaroglu a néanmoins appelé Sinan Ogan en personne afin de saluer son score et, selon la chaîne proche de l’opposition Halk TV, une réunion entre les deux hommes pourrait se tenir dans les prochains jours. Car Ogan cherchera aussi à obtenir des portefeuilles, selon Henri Barkey, chercheur au Council on Foreign Relations, écrivant sur Twitter qu'« il va se pavaner, tel un faiseur de roi », précisant néanmoins que, selon lui, « il n’a qu’un client : Erdogan ». Binali Yildirim, le vice-président de l'AKP, l’a ainsi déjà félicité, selon Le Monde. « Personne ne nous a pris en compte au début de la campagne électorale, et ce soir nous avons été appelés de partout », a jubilé dimanche soir M. Ogan sur Fox TV.

Le retrait de Muharrem Ince, chef du parti Memleket (Patrie), à trois jours du premier tour, avait fait miroiter une victoire d'entrée de jeu du candidat de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu face au président Recep Tayyip Erdogan au pouvoir depuis deux décennies, mais c’est finalement un troisième homme, inattendu, qui a semé le trouble, en provoquant un second tour de l’élection...

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