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Culture - Documentaire

En voiture avec Sirine Fattouh, le soir du 4 août

Dans « Behind the Shield », l’artiste photographe et réalisatrice embarque le spectateur avec elle, en voiture, et lui fait vivre une expérience de l’intérieur : celle de l’événement fatidique de la double explosion au port de Beyrouth en 2020.

En voiture avec Sirine Fattouh, le soir du 4 août

Images du 4 août 2020, quelques minutes avant la double explosion au port de Beyrouth.

Projeté dans le cadre des Écrans du réel qui ont eu lieu à Beyrouth et qui se poursuivent encore dans d’autres régions du Liban, « Behind the Shield » a auparavant été présenté à la Cité des arts, au cinéma l’Archipel à Paris avec la galerie Anne Barrault. Il sera aussi présenté, toujours au mois de mai, à Cannes, dans le cadre du festival Aviff (festival du film d’artistes), et à Marseille. C’est une nouvelle expérience filmique inédite. Pouvons-nous en savoir plus sur les conditions qui ont entouré ce film ?

Beyrouth s’enflamme. Photos Sirine Fattouh/Capture d’écran « Behind the Shield »

Outre le dessin et les installations, j’ai fait, tout au long de ma carrière, beaucoup de vidéos où j’utilisais ce genre de caméra, à savoir caméras non professionnelles. Dans Behind the Shield, il s’agit d’une caméra de surveillance, placée dans ma voiture. Je me suis toujours intéressée à l’image, et en particulier à ce qu’elle peut raconter. Ce n’est donc pas quelque chose de nouveau pour moi. C’est par contre la première fois que je fais un long métrage de 57 minutes, mais cela reste évidemment dans un protocole que je connais, notamment l’utilisation d’une vidéo, la construction d’une narration, le montage, le travail du son avec Victor Bresse. Dans ce film de 57 minutes, je raconte la course folle dans une voiture à travers les rues de Beyrouth, le soir du 4 août. Par ailleurs, il était nécessaire de le montrer trois ans après l’explosion. Le spectateur est plus prêt à le voir aujourd’hui, ainsi que les spectateurs étrangers qui l’ont vu en France ou ailleurs. Ceux-là savaient ce qu’était l’explosion du 4 août, mais ils l’ont perçue autrement avec la vision que je leur ai présentée.

Images du 4 août 2020, quelques minutes avant la double explosion au port de Beyrouth. Sirine Fattouh/Capture d’écran « Behind the Shield »

Pouvons-nous dire que dans ce film, l’image s’est imposée à vous, à votre insu, et que vous n’étiez pas totalement aux commandes ?

Non, pas du tout. Il est vrai que la caméra de surveillance était installée dans la voiture depuis longtemps. Mais en visionnant et en archivant un grand nombre de « rushes », j’ai pris conscience des images qu’avait emmagasinées la caméra. J’eus donc l’idée de commencer à orienter la voiture vers certains endroits – comme sur le ring où on voit des motards arriver – et lui permettre de prendre la direction que je voulais. Par la suite, Sandra Fatté, la monteuse, et moi avons fait la sélection des images en éliminant certaines. Encore une fois, je ne pouvais qu’orienter la voiture, mais je ne pouvais ni zoomer ni cadrer. J’avais une incidence sur la caméra, mais pas à 100 %. Assez quand même puisque c’est moi qui « plaçais » la voiture où je voulais, et je savais ce qu’elle était en train de filmer.

De plus, il y a l’aléatoire qui rentre en jeu et qui n’est pas négligeable. Il est dû au dispositif que j’ai mis en place et qui est la caméra de surveillance.

Quand les photos de la révolution se mêlent à celles du 4 août. Sirine Fattouh/Capture d’écran « Behind the Shield »

C’est une autre vision du 4 août, et pourtant il y a la même émotion, la même puissance, le même côté vibrant et dynamique. Expliquez-nous ce phénomène...

Les images que j’ai faites sont différentes des images sensationnelles qui ont été diffusées sur les réseaux sociaux et dans certains films que j’ai pu voir et même projeter au cinéma Utopia à Avignon (puisque j’en suis aussi la programmatrice)

Je ne m’intéresse pas aux images sensationnelles. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe à côté, à l’intérieur. Les images sensationnelles ne font que créer un sentiment de stupeur chez le spectateur et ne permettent pas d’être dans une forme de réflexion par l’image et le son. Or moi, ce qui m’intéressait, c’est de faire à travers Behind the Shield une autre proposition qui rende compte de mon expérience et celle du 4 août, étant donné que j’ai moi-même été littéralement « explosée » ce jour-là, puisque j’étais dans un lieu qui a explosé. Ce qui m’intéressait plus que ce moment qui a été certainement galvaudé par les médias, c’est de montrer l’expérience de cette nuit où j’étais dans la voiture, tentant d’amener cette femme gravement blessée à l’hôpital, et où je suis constamment sur la route. La caméra me filme en train de courir d’un endroit à l’autre pour retrouver ma conjointe dont l’appartement a été entièrement détruit, pour voir mon atelier ou également ce qui se passe chez mes parents et constater en même temps l’énormité du désastre. C’est bien sûr un autre rapport au temps, à l’espace et à l’image. On est dans le cinéma direct, dans un espace où la caméra de la voiture filme le désastre sans montrer les images sensationnelles. Ce qui m’intéressait aussi, c’est comment la voix off pouvait avoir un apport sur la perception de l’événement.

Pour mémoire

Sirine Fattouh saute dans le vide

Projeté dans le cadre des Écrans du réel qui ont eu lieu à Beyrouth et qui se poursuivent encore dans d’autres régions du Liban, « Behind the Shield » a auparavant été présenté à la Cité des arts, au cinéma l’Archipel à Paris avec la galerie Anne Barrault. Il sera aussi présenté, toujours au mois de mai, à Cannes, dans le cadre du festival Aviff...

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