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Moyen-Orient - Éclairage

Bagdad reprend le contrôle du pétrole d’Erbil

Exportation du brut kurde vers Israël, perte de profits pour les sociétés pétrolières, marchandage politique avec la Turquie... La reprise en main de Bagdad sur le pétrole kurde pourrait provoquer des effets durables sur le marché régional de l’or noir.

Bagdad reprend le contrôle du pétrole d’Erbil

Le Premier ministre irakien Mohammad Chia al-Soudani (à droite) et son homologue kurde Masrour Barzani (à gauche) à Bagdad, le 4 avril 2023. Photo d’archives AFP

L’or noir ne s’écoule plus le long du pipeline Kirkouk-Ceyhan et, quand il reprendra son long trajet de près de 1 000 km entre le centre de l’Irak et le sud de la Turquie, plus rien ne sera comme avant. Depuis 2013, le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) faisait transiter près de 450 000 barils par jour vers ce port turc, où des entreprises pétrolières internationales se chargeaient de l’exporter. Une relation gagnant-gagnant tant pour Erbil, qui y gagnait en autonomie financière, que pour ces intermédiaires, précise Ahmad Tabaqchali, chercheur associé à la London School of Economics (LSE) : « En raison des disputes légales entre Bagdad et Erbil, les Kurdes ont été forcés d’adopter une procédure complexe pour vendre leur pétrole, impliquant sa vente à prix cassé à des entreprises pétrolières comme Vitol, Trafigura ou Cargill, qui se chargeaient ensuite de le distribuer » au prix du marché.

Car Bagdad a déposé il y a neuf ans une plainte auprès de la Chambre de commerce internationale contre l’opérateur turc du pipeline, l’accusant de ne pas respecter l’accord de 1973 faisant du ministère irakien du Pétrole la seule autorité à pouvoir exporter l’or noir. La discorde sur le pétrole kurde constituait l’une des principales pierres d’achoppement entre Bagdad et la région semi-autonome du Nord, qui faisait du pétrole le moteur de son projet d’indépendance. Si l’Irak dispose des cinquièmes ressources mondiales de pétrole, exportant 85 % de son or noir par des ports situés dans le sud du pays, le Kurdistan est pour sa part assis sur 30 % des réserves pétrolières du pays. Une manne que la région exploitait sans passer par l’autorité de Bagdad, après avoir adopté une loi sur le pétrole et le gaz en 2007 jugée anticonstitutionnelle par la Cour suprême fédérale irakienne en février 2022.

Une raffinerie de pétrole en Irak. Photo d’archives AFP

« Désir sincère et sérieux »

Le 23 mars, l’arbitrage de la Chambre a enfin tranché le conflit avec la Turquie en faveur de Bagdad, déclenchant « un tournant pour le marché pétrolier en Méditerranée », selon Ahmad Tabaqchali. Deux jours après cette décision, qui couvre la période de 2014 à 2018, et selon laquelle Ankara doit payer 1,5 milliard de dollars à Bagdad, la fermeture par accord mutuel du pipeline a précipité la venue de délégations kurdes dans la capitale irakienne pour trouver un nouvel arrangement au plus vite. Selon Reuters, les autorités kurdes se sont en effet endettées à hauteur de 6 milliards de dollars auprès des entreprises pétrolières intermédiaires, comptant sur les recettes de l’exportation du brut pour les rembourser.

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Le 4 avril, Erbil et Bagdad ont signé un accord temporaire permettant de relancer l’exportation du brut kurde via la Turquie. Si tous les détails n’ont pas filtré, celle-ci aura désormais lieu sous la supervision des autorités fédérales irakiennes. En outre, les revenus des exportations kurdes seront versés sur un compte géré par Erbil auprès de la banque centrale de Bagdad. Un compromis qui souligne « le désir sincère et sérieux » des autorités fédérales et régionales de « faire face aux problèmes et obstacles hérités », s’est félicité le Premier ministre irakien Mohammad Chia al-Soudani.

Des relations avec Israël, mais indirectes

Désormais, c’est l’entreprise pétrolière d’État irakienne SOMO qui doit superviser l’exportation du brut kurde. Finis, donc, les prix cassés et le choix des destinataires par les géants de l’or noir, qui perdent ainsi une marge importante en tant qu’intermédiaires. Si le brut kurde qui transite par la Turquie représente 0,5 % de l’offre mondiale, c’est une source d’énergie importante dans la région méditerranéenne. En premier lieu pour Israël, qui importait jusqu’à 40 % de son pétrole du Kurdistan début 2023, selon le média Amwaj. « Ce sont les entreprises intermédiaires qui décident des destinataires, sans consulter le gouvernement kurde », tient néanmoins à préciser Ahmad Tabaqchali.

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« Par ailleurs, le brut qui semble être destiné à l’État hébreu n’est pas nécessairement entièrement consommé sur le marché israélien. Les navires pétroliers peuvent en effet couper leur transpondeur (GPS) et transférer leur cargaison à un autre navire, ce qui leur permet de cacher la destination finale du pétrole », poursuit-il. Une pratique souvent utilisée au large des côtes méditerranéennes de pays tels que la Grèce, Chypre et Israël, selon le chercheur.

Inscrire l’accord dans la durée

C’est surtout l’Europe qui pourrait ainsi être touchée par l’accord trouvé entre Erbil et Bagdad. Dimanche 2 avril, les pays de l’OPEP, dont l’Irak est le deuxième producteur, ont en effet décidé de réduire leur production à partir de mai, faisant bondir le prix du baril à plus de 80 dollars. « Avec l’embargo occidental sur le pétrole russe, celui-ci a inondé les marchés chinois et indien, ce qui redirige de plus en plus le pétrole d’Arabie saoudite et d’Irak vers l’Europe », précise Ahmad Tabaqchali. L’arrivée de 450 000 nouveaux barils par jour sur le marché pourrait accélérer ce processus. Plusieurs freins empêchent néanmoins l’or noir de recommencer à transiter le long du pipeline Kirkouk-Ceyhan. D’une part, Ankara s’est dit opposé à sa réouverture tant qu’un second arbitrage n’aura pas lieu pour la période s’étalant de 2018 à nos jours. Une décision qui pourrait être rendue dans un ou deux ans, d’après Reuters. Il s’agit surtout d’un « marchandage politique » de la part de la Turquie, selon M. Tabaqchali, car en vertu de l’accord de 1973, cette dernière « doit suivre les instructions de Bagdad sur l’exportation de pétrole ».Par ailleurs, l’avenir des contrats passés entre le gouvernement régional kurde et les entreprises pétrolières, dont les représentants étaient présents lors des pourparlers entre Erbil et Bagdad, doit encore être précisé. Enfin, à long terme, l’accord du 4 avril doit encore se traduire par l’adoption d’une loi sur le pétrole et le gaz à l’échelle nationale qui fait toujours défaut à l’Irak, dont 90 % des revenus proviennent pourtant de l’or noir.

L’or noir ne s’écoule plus le long du pipeline Kirkouk-Ceyhan et, quand il reprendra son long trajet de près de 1 000 km entre le centre de l’Irak et le sud de la Turquie, plus rien ne sera comme avant. Depuis 2013, le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) faisait transiter près de 450 000 barils par jour vers ce port turc, où des entreprises pétrolières...

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