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Culture - Livre

« Hotline » de Dimitri Nasrallah ou l’attachant portrait d’une mère solo émigrée

Dans ce quatrième roman, l’auteur libano-canadien livre – toujours avec des accents empreints de vécu – une perspective nouvelle sur l’émigration libanaise au Canada, à travers cette émouvante histoire de lutte, de persévérance et d’adaptation racontée sous l’angle de la monoparentalité féminine.

« Hotline » de Dimitri Nasrallah ou l’attachant portrait d’une mère solo émigrée

Au commencement de l’hiver 1986, Muna vient juste de débarquer à Montréal avec son fils Omar, âgé de 8 ans. Deux ans plus tôt, son mari, Halim, disparaissait au coin d’une rue dans un Beyrouth pilonné par les obus. Ensemble, ils avaient planifié de sortir de l’enfer libanais et avaient fait leur demande d’émigration au Canada. Le destin en a décidé autrement. La jeune femme se retrouve sans lui dans ce pays lointain, où elle n’a aucune famille, aucun soutien et pas assez d’argent, et où elle doit désormais assumer son rôle de maman solo.

Les débuts sont difficiles pour la Libanaise qui n’a même pas de quoi assurer le loyer à long terme de son petit meublé. Trouver un bon boulot n’est pas aussi aisé qu’on l’imagine. Le Canada est une terre d’accueil certes, mais il a ses propres codes, ses diktats sociaux avec lesquels les nouveaux arrivants doivent se familiariser. Alors qu’elle comptait sur son diplôme d’enseignante de français pour poursuivre une carrière dans son domaine, son accent trop marqué lui barre la route. Elle se retrouve conseillère de vente par téléphone de coffrets repas pour une société de régimes alimentaires. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, la jeune femme se donne à fond dans cet emploi qu’elle n’a pas choisi. Sa voix persuasive, sa sollicitude et son intelligence relationnelle boostent les ventes. Elle gravit les échelons dans son travail. Mais comment faire pour ne pas abandonner son petit garçon à sa solitude de longues heures durant ? D’autant que le mutisme de l’enfant dissimule mal une profonde tristesse. Déterminée à lui assurer un avenir meilleur, Muna se bat sur tous les fronts… Et ce n’est que le soir, une fois le petit couché, qu’elle se laisse aller à fantasmer la présence de son mari Halim à ses côtés. Une rêverie dans laquelle elle puise le courage nécessaire pour tenir le coup et assumer ses responsabilités de mère seule. Ce seront cependant à travers de vraies rencontres, celles qu’elle nouera avec des personnes réelles, avec d’autres femmes immigrées notamment, qu’elle trouvera la clé de l’adaptation à sa nouvelle vie et une certaine forme de libération de son douloureux passé…

Une écriture imprégnée de vécu

Hotline (éd. La Peuplade) de Dimitri Nasrallah est, vous l’aurez deviné, avant tout un bel hommage au courage des mères, à la persévérance des femmes mais aussi à la ténacité et la solidarité des immigrés. Ces « arrachés » à leur terre, à leur environnement familier, contraints de s’adapter au plus vite à un pays, un climat, à des règles et à des usages totalement nouveaux… Ces « nouveaux venus » obligés de dépasser aussi les soupçons de racisme ordinaire qui perdurent, même dans une société aussi accueillante que la canadienne. Tout cela est évoqué, avec subtilité et nuances, dans cette chronique des premiers mois d’une émigration.

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Un récit attachant dans sa simplicité, dans sa description des « premiers pas » d’une Libanaise au Canada. Une histoire d’intégration évidemment partiellement inspirée du propre vécu de l’auteur, lui-même né en 1977 dans un Liban en guerre, et qui a connu l’arrachement de l’exil très tôt.

Car Dimitri Nasrallah a lui aussi débarqué (en famille) à Montréal approximativement au même âge et au cours des mêmes années quatre-vingt que Omar, le petit garçon de Hotline. Isolé, en proie au chagrin et à la solitude, il l’a été lui aussi. Et cela l’a façonné au point d’alimenter son œuvre romanesque, toujours en lien, d’une manière ou d’une autre avec ses origines.

Dans Blackbodying (DC Books), son premier « roman noir », comme son titre l’indique, l’auteur libano-canadien racontait déjà les histoires d’exil au Canada de deux citoyens libanais aux trajectoires sombrement opposées.

Dans son second opus, Niko (éd. La Peuplade), c’est de sa propre colère de jeune émigré qu’il sera question. Et si dans le troisième, un thriller politique intitulé Les Bleed (éd. La Peuplade), il met en scène une dynastie de corrompus au pouvoir dans un pays imaginaire, on imagine aisément d’où il a tiré son inspiration…

Cette fois, avec Hotline (traduit de l’anglais par Daniel Grenier), c’est une perspective nouvelle, positive, sur l’émigration libanaise au Canada que ce romancier, aux écrits multiprimés, livre à travers cette émouvante histoire de lutte, de persévérance et d’adaptation racontée sous le prisme de la monoparentalité féminine. Une histoire de douleur, de solidarité et d’espoir. Ces sentiments mêlés qui sont si souvent le lot des émigrés sous toutes les latitudes… À découvrir assurément.

« Hotline » de Dimitri Nasrallah, traduit de l’anglais par Daniel Grenier (Éd. La Peuplade ; 376 pages)

Au commencement de l’hiver 1986, Muna vient juste de débarquer à Montréal avec son fils Omar, âgé de 8 ans. Deux ans plus tôt, son mari, Halim, disparaissait au coin d’une rue dans un Beyrouth pilonné par les obus. Ensemble, ils avaient planifié de sortir de l’enfer libanais et avaient fait leur demande d’émigration au Canada. Le destin en a décidé autrement. La...

commentaires (2)

Et chose promise, chose due, j’ai lu le livre comme je l’ai écrit dans le précédent commentaire, jusqu’à la page 40, où selon le conseil, c’est d’aller à Toronto, à l’autre bout de la 401 (de l’autoroute 401) où aucun ""pure laine"" (en québécois, les ancêtres canadiens qui remontent aux colons français), aucune ""pure souche"" n’aime donc y aller. S’agit-il d’une discrimination à l’emploi, de racisme systémique ? Après lui avoir déclaré dans l’entretien : ""…j’adore votre accent, ça fait très vieux pays…….On est loin de Paris ou de ….Beyrouth"". Non, si l’on part d’une bonne intention d’aider la chercheuse d’emploi à trouver, selon le profil recherché, une situation dans cette région du Canada, là où les Canadiens ""pure laine"" sont rares. Cet entretien me rappelle le cas d’un Libanais, chercheur d’emploi, que j’accompagnais pour un entretien d’embauche pour un poste d’éducateur dans un milieu d’immigrés d’Afrique du Nord. Le refus de l’engagement, c’est que pour le profil recherché, il faut un enseignant qui parle l’arabe avec l’accent nord-africain. Nous sortons de l’entretien avec l’idée confuse qu’il faut s’adapter non seulement aux critères d’emploi, mais à leurs particularismes… et s’habituer aux mots qui tuent.

Nabil

15 h 05, le 10 avril 2023

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Commentaires (2)

  • Et chose promise, chose due, j’ai lu le livre comme je l’ai écrit dans le précédent commentaire, jusqu’à la page 40, où selon le conseil, c’est d’aller à Toronto, à l’autre bout de la 401 (de l’autoroute 401) où aucun ""pure laine"" (en québécois, les ancêtres canadiens qui remontent aux colons français), aucune ""pure souche"" n’aime donc y aller. S’agit-il d’une discrimination à l’emploi, de racisme systémique ? Après lui avoir déclaré dans l’entretien : ""…j’adore votre accent, ça fait très vieux pays…….On est loin de Paris ou de ….Beyrouth"". Non, si l’on part d’une bonne intention d’aider la chercheuse d’emploi à trouver, selon le profil recherché, une situation dans cette région du Canada, là où les Canadiens ""pure laine"" sont rares. Cet entretien me rappelle le cas d’un Libanais, chercheur d’emploi, que j’accompagnais pour un entretien d’embauche pour un poste d’éducateur dans un milieu d’immigrés d’Afrique du Nord. Le refus de l’engagement, c’est que pour le profil recherché, il faut un enseignant qui parle l’arabe avec l’accent nord-africain. Nous sortons de l’entretien avec l’idée confuse qu’il faut s’adapter non seulement aux critères d’emploi, mais à leurs particularismes… et s’habituer aux mots qui tuent.

    Nabil

    15 h 05, le 10 avril 2023

  • ""…..l’attachant portrait d’une mère solo émigrée""…. Tant de livres publiés sur le sujet, une femme sur sa mère, son père, ou dans ""Hotline"" d’un homme sur sa mère. Des livres sur les exilés, les transfuges de classe, les caissières de supermarché, les médecins, j’en ai lu, et il y en aura qui sortiront sous forme d’hommage, d’une dette qu’on doit à ses parents… et pas seulement des auteurs libanais. Le seul intérêt du livre que je lirai, c’est sûr, c’est : ""Alors qu’elle comptait sur son diplôme d’enseignante de français pour poursuivre une carrière dans son domaine, son accent trop marqué lui barre la route"". Son accent donc, et jusqu’à peu je ne savais que la discrimination par l’accent, jamais officielle, est ""systémique"" au Canada. Rien que sur ce détail, je lirai le livre. Selon l’auteur : ""l’émigration est un événement fondateur qui façonne tout après …"", il faut des siècles pour qu’un natif du Liban change, tout en emportant avec lui sa cuisine, son curé, son cheikh, son parti politique, bref ses ""habitudes de vie"" pour ne pas parler de traditions.

    Nabil

    14 h 06, le 06 avril 2023

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