Critiques littéraires critique

Al-Andalus : culture et tolérance

Al-Andalus : culture et tolérance

D.R.

Le livre Savoir et Pouvoir en al-Andalus au XIe siècle d’Emmanuelle Tixier du Mesnil est consacré à la recherche de l’identité d’al-Andalus, d’où une première partie consacrée à l’historiographie du sujet. Dans le savoir courant, al-Andalus est communément perçue comme une terre merveilleuse ayant cultivé les sciences, un paradis perdu, disparu corps et biens mais ayant donné naissance à un mythe qui continue de faire écho aujourd’hui.

Ce succès repose en partie sur la liaison faite avec le thème de la tolérance, idéal universel par excellence, l’un des rares capables de susciter « l’inlassable espérance » par le seul fait qu’il ait pu exister au cœur de l’obscur Moyen-Âge.

L’existence brève du califat de Cordoue (929-1031) s’est accompagnée d’une revendication sur l’ensemble des terres de l’islam d’où une affirmation arabe (de nature généalogique) et de non enracinement dans le terroir hispanique.

La prise de Grenade en 1492, l’expulsion des Juifs la même année puis celle des derniers musulmans au début du XVIIe siècle a constitué toute une série de mémoires andalouses en exil avec mythification du passé. Ainsi, la plus grande partie des Juifs de la Méditerranée musulmane s’est identifiée aux Séfarades dans un processus de « judéo-hispanisation ». Dans l’Europe des XVIIIe et XIXe siècles s’est constitué le mythe de la tolérance andalouse, projection anachronique de la pensée des Lumières et du romantisme.

Les historiens du judaïsme et ceux des Arabes d’Espagne concourent à la constitution de cette image de la coexistence heureuse. Néanmoins, les historiens espagnols se divisent sur la part arabe de l’identité espagnole dans le contexte troublé du XXe siècle ibérique. Ensuite, certains historiens sionistes contestent l’existence de cette tolérance dans le cadre plus général de la négation de la diaspora. Pour d’autres, al-Andalus sert à combattre l’idée d’un choc des civilisations.

En fait, al-Andalus « est une partie d’un tout plus vaste, le monde islamique, et non un morceau d’Europe au destin très particulier. La société multiconfessionnelle qui s’y est épanouie du VIIIe au XIe siècle n’est guère différente de celle qui a prévalu à Bagdad, au Caire ou à Damas. Elle est constitutive du cadre impérial qui s’est mis en place dans les terres conquises par les Arabes aux VIIe-VIIIe siècles. L’État califal eut donc à gérer dès sa naissance une pluralité de communautés de confessions différentes, expérience que n’a pas faite l’Occident latin, dans lequel il n’y a pas d’altérité religieuse endogène à l’exception des communautés juives (mais celles-ci sont peu nombreuses et le statut qu’on leur réserve a pour objectif de témoigner de l’erreur de ceux qui ont refusé de voir dans le Christ le Messie) avant l’apparition du protestantisme. »

De même l’Espagne musulmane tombe aux mains des différentes forces armées d’origine étrangère, les Berbères étant ici les équivalents des Turcs en Orient.

Il faut relire l’histoire du XIe siècle. La guerre civile (fitna) de 1009-1031 provoque la disparition du califat et la constitution sur son territoire de principautés indépendantes et rivales, les Taïfas, dont les conflits vont rythmer l’histoire. Ces principautés sont autant de centres culturels nés de la fin de la centralisation autour de Cordoue, prenant acte de la disparition du califat tout en s’en revendiquant. Mais les États chrétiens imposent progressivement des tributs à ces principautés qui s’affaiblissent de plus en plus. Trois principaux reproches sont adressés aux rois des Taïfas : la multiplication des impôts non coraniques (mukūs), leur impiété, les tributs payés aux souverains chrétiens. Tous sont liés car c’est en raison de la pression des États chrétiens, qui imposent le paiement de tributs très importants, que les souverains andalous sont obligés de prélever de nouvelles taxes non coraniques, ce qui met en relief leur impiété. Plus grave, en multipliant les taxes sur les musulmans, ils font tomber les barrières entre communautés et astreignent les croyants à payer les mêmes taxes que les juifs et les chrétiens. Par leur action même, ils abolissent la loi musulmane.

Affaiblis devant les chrétiens, les principautés succombent devant l’arrivée des Almoravides berbères qui vont arrêter la conquête féodale chrétienne.

L’auteure écrit de très belles pages sur la culture du XIe siècle. Dans cette dépossession se constitue progressivement une identité proprement andalouse tout aussi arabe que l’était l’enracinement tribal, une identité savante portée par la poésie, laquelle est, « de toutes les formes du discours, celle que les Arabes ont regardée comme la plus noble [et dont ils firent] le dépôt de leurs connaissances et de leur histoire, le témoin qui pouvait certifier leurs vertus et leurs défauts », selon Ibn Khaldūn, noble d’entre les nobles andalous, émigré issu d’une famille sévillane exilée au Maghreb, et de ce fait interprète tout autant que dépositaire de cette mémoire.

En conclusion : « Al-Andalus, qui a en partie souffert d’être incluse dans une histoire européenne et péninsulaire, rythmée par les conflits entre chrétiens et musulmans, est l’un des exemples les plus représentatifs d’une histoire à l’échelle du monde islamique, une histoire où, là comme ailleurs, le XIe siècle est un moment charnière. Alors que s’effacent les califats et que montent en puissance les ‘‘peuples nouveaux’’ mais surtout de nouvelles formes de gouvernement, ce territoire expérimente, deux cents ans avant l’Orient, la disparition de la magistrature suprême des Arabes. L’inventivité politique dont fait preuve la Péninsule pour remplir ce vide tout en donnant l’illusion de la continuité est l’un des traits majeurs de ce siècle si riche. La très belle moisson culturelle qui l’accompagne n’est pas due au hasard, elle est le versant littéraire et scientifique de la créativité de ce temps. Les princes qui choisissent de faire de la promotion du savoir l’un des aspects essentiels de leur politique ne s’y sont pas trompés : la culture n’est pas le simple ornement de leur cour, mais l’une de ses fondations. »

C’est une œuvre très riche que ce livre qui, au-delà d’une passionnante enquête historiographique et historique, est une réflexion profonde sur la notion d’identité.

Savoir et Pouvoir en al-Andalus au XIe siècle d’Emmanuelle Tixier du Mesnil, Seuil, 2022, 416p.


Le livre Savoir et Pouvoir en al-Andalus au XIe siècle d’Emmanuelle Tixier du Mesnil est consacré à la recherche de l’identité d’al-Andalus, d’où une première partie consacrée à l’historiographie du sujet. Dans le savoir courant, al-Andalus est communément perçue comme une terre merveilleuse ayant cultivé les sciences, un paradis perdu, disparu corps et biens mais ayant...

commentaires (1)

Je ne suis pas certain mais je pense que la photo montre la cathedral-mosque de Cordoba. Les architectes et artisans byzantins (des "roums" ou romains, grecques donc). Je pense qu'il faut donc aussi associer les mots "culture et tolerance" aux byzantins qui ont fait le travail de mettre ces sourates du Coran sur des mosaïques dorées réalisées par des artisans byzantins ... Aussi Otton le grand (empereur du saint Empire) louait des byzantins ou roums (des romains de l'est) renomme pour leur grand culture et tolerance et savoir-faire en architecture et arts.

Stes David

15 h 09, le 01 mai 2023

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Commentaires (1)

  • Je ne suis pas certain mais je pense que la photo montre la cathedral-mosque de Cordoba. Les architectes et artisans byzantins (des "roums" ou romains, grecques donc). Je pense qu'il faut donc aussi associer les mots "culture et tolerance" aux byzantins qui ont fait le travail de mettre ces sourates du Coran sur des mosaïques dorées réalisées par des artisans byzantins ... Aussi Otton le grand (empereur du saint Empire) louait des byzantins ou roums (des romains de l'est) renomme pour leur grand culture et tolerance et savoir-faire en architecture et arts.

    Stes David

    15 h 09, le 01 mai 2023

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