Critiques littéraires

Dans l’ombre de Colette

Dans l’ombre de Colette

D.R.

Dans une famille, il n’y a jamais de lumière sans ombre ; quelqu’un paie toujours le prix de la gloire d’un autre et s’enfonce dans l’absence et l’oubli à mesure que rayonne celui sur qui tous les projecteurs sont braqués, celui qui reçoit toute l’attention et toute l’admiration. C’est avec sa double casquette de romancière et de psychanalyste que Françoise Cloarec aborde la biographie* de Juliette, la « sœur aux cheveux longs » de Colette, actuellement célébrée de toutes parts à l’occasion des 150 ans de sa naissance et dont tout le monde s’accorde à reconnaître l’immense talent, la multiplicité des registres, l’incroyable liberté de vivre, à sa manière et avec bonheur, toutes les aventures artistiques et personnelles qui la séduisent.

Juliette à l’inverse, effacée et inquiète, ne saura jamais trouver sa place dans sa propre famille ni dans celle qu’elle entreprend de fonder avec Charles Roché, un médecin qu’elle connaît peu et qu’elle trouve beau. Mais elle l’a choisi surtout parce qu’il lui permet de se libérer de la terrible étiquette « impossible à marier », surtout parce qu’elle ne veut pas être une vieille fille marginale, objet de dérision à Saint-Sauveur-en-Puisaye. Charles, de son côté, a cédé avant tout au charme de sa dot : l’argent qu’elle lui apporte gomme bien des désagréments physiques. Mais leur noce plante déjà le décor de ce qui va suivre : une mariée qui ne sourit pas, qui est assise seule à la table du banquet, qui a mal aux pieds et la tête qui tourne. Et un homme qui lui est étranger, qui a trop bu et trop parlé, qui ne s’est pas occupé d’elle, puis s’est écroulé sur le lit conjugal sans un baiser ni une parole affectueuse.

Pour raconter cette femme de l’ombre, cette petite fille ingrate qui voit très tôt que sa petite sœur est tout le contraire d’elle, Françoise Cloarec n’hésite pas à se mouiller. Elle abandonne la distance habituelle de la biographe pour s’impliquer, parler au « je » : « je veux la tirer de là », écrit-elle ; c’est-à-dire tirer Juliette de l’indifférence, de l’opprobre, de l’oubli. Voilà, posé d’emblée, le projet de ce roman-enquête. « J’ignore tout d’elle mais je sens que cela ne durera pas. Pour l’instant, c’est mon corps qui se tend. Il vibre. » Elle questionne même, au fil de sa narration, son propre besoin « de mettre en lumière ceux dont on ne parle pas, les disparus, les moches, les fous », ce qui nous renvoie à Séraphine de Senlis à qui elle a consacré sa première biographie, ou à d’autres personnages de ses ouvrages précédents. Avec délicatesse et d’une plume fine et sensible, Cloarec entreprend de sonder les secrets de cette famille à la fois flamboyante et mystérieuse, séduisante et atypique. Son érudition, convoquée à propos sans jamais encombrer le récit, nous fait relire Colette d’un autre œil.

« J’aurais voulu qu’elle soit heureuse, mais c’est son désespoir qui m’aimante », écrit-elle à propos de Juliette. Au moins aura-t-elle pleinement réussi à lui redonner vie, à nous faire partager ses émotions, ses espoirs et ses blessures..

*Dans l’ombre de sa sœur de Françoise Cloarec, Phébus/Libella, 2022, 320 p.


Dans une famille, il n’y a jamais de lumière sans ombre ; quelqu’un paie toujours le prix de la gloire d’un autre et s’enfonce dans l’absence et l’oubli à mesure que rayonne celui sur qui tous les projecteurs sont braqués, celui qui reçoit toute l’attention et toute l’admiration. C’est avec sa double casquette de romancière et de psychanalyste que Françoise Cloarec...
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