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Nos Lecteurs ont la Parole

Hérésie, trahison et tentation

« Tout est tentation à qui la craint », nous assure La Bruyère, et bruisse aujourd’hui la tentation de tout renverser.

Après les silences, après les suicides en chaîne, la révolte s’installe pernicieusement et puis pas à pas franchement. La crainte d’une révolte, mer houleuse, fleuve débordant qui sort de son lit, profile une tentation de révolte qui certes aboutirait, comme le dit la grande philosophe Simone Weil dans son Oppression et liberté engagée elle-même dans les brigades internationales de la guerre d’Espagne : « On pense aujourd’hui à la révolution non comme à une solution des problèmes posés par l’actualité, mais comme un miracle dispensant de résoudre les problèmes... »

Mais le miracle libanais est dévoyé par la trahison, par les innombrables trahisons qui ont amené le Liban dont on disait en 1963 qu’il était parmi les quatre ou cinq pays les plus avancés économiquement et où il faisait bon vivre, à la 190e place sur 193 parmi les nations et à la 192e sur 193 pour la qualité de vie.

« La trahison, c’est le fait d’abandonner une personne, une collectivité ou de tromper la confiance d’un groupe, d’une personne ou de principes », selon le sociologue spécialiste de la trahison, Sébastien Schehr. Toutefois, c’est de la confiance que naît la trahison (proverbe arabe) et les Libanais de tous bords malgré toutes les vicissitudes gardent confiance, mais...

1947 : l’homme ressemble à Eleanor Roosevelt dont il est l’ami, il est grand de taille, bien bâti, le regard franc qui vous scie, les cheveux plus sel que poivre, en bataille à la Chateaubriand ou André Chénier et même à la Einstein, ministre des Affaires étrangères, philosophe et politicien. Lui, c’est notre ancien ambassadeur aux Nations unies et l’ancien président de son Assemblée générale...

La fin de la Seconde Guerre mondiale se profile et on se hâte de préparer la paix. Neuf États, neuf représentants de ces États autour d’une même table planchent sur ce qui deviendra le plus célèbre document des Nations unies : la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1947 par les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne, l’URSS, la France, le Canada, l’Australie, le Chili et Charles Malek représentant le Liban !

2023 : année du 75e anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Liban renâcle à payer son dû pour renouveler son mandat à l’ONU dont il est un des fondateurs.

Seul un tollé généralisé ouvrira enfin les yeux des responsables libanais pour courir régler notre dû et nous permettre, pour le moins, d’assister et de participer aux festivités prévues...

1974 : Sydney, Australie : une délégation de parlementaires irlandais en visite officielle en Australie prend la peine d’inclure dans son programme une réunion au consulat du Liban afin de s’interroger sur le système politique libanais né du pacte national et d’en considérer la possible application à l’Irlande du Nord.

Mais au Liban, tout et son contraire sont dits pour discréditer une formule politique d’un avant-gardisme patent, d’une modernité à toute épreuve, qui ouvre la voie à la prise en charge et en considération à hauteur égale de toutes les minorités ou de toutes les différences quand il aurait suffi, quand il suffit d’en appliquer l’esprit avec une ouverture vraie et sincère du cœur et de l’esprit.

Les petits désistements, les petites et grandes trahisons de nos valeurs et de ce que nous sommes sont à ces exemples pléthores !

Mais, changement de siècle et comme l’a signifié un haut dignitaire émirati dans une interview récente : Beyrouth était la fleur du monde arabe au XXe siècle, le XXIe est celui de Dubaï. Et en fait : en 2000-2017, les politiques économiques et financières adoptées (même avant 2000) en dehors de toute logique et de tout réalisme financiers ont amené à une ingénierie financière et à la trahison du système bancaire, fleuron des finances libanaises qui, avec la trahison des déposants, ont fait basculer le Liban au-delà du seuil de pauvreté ; car « tel qui trahit se perd et perd les autres avec lui » an 1100, La chanson de Roland. « Ki hume traist sei ocit e altroi. »

Quelques jalons à peine représentatifs du désistement de tous nos principes et valeurs et trahison de notre hier mais aussi de notre demain ; car avec « le troc des chefs de l’exécutif », le « troc, une hérésie », comme signalé dans un raccourci génial, est une trahison et du pacte national, et de Taëf, et de l’esprit qui y a présidé !

Oublier sa souveraineté, quérir non seulement la bénédiction de l’étranger, mais son assentiment et son bon vouloir, pousser toutes les forces religieuses dans leur dernier retranchement et les amener, bien malgré elles, à l’irrédentisme et à l’affrontement par des décisions impromptues, est aux antipodes de la volonté du vivre en commun et une trahison de ce qu’est et veut être le Libanais et le Liban d’aujourd’hui et de demain.

Il est grand temps à tous ceux qui ont mérité ou non d’avoir entre leurs mains le destin du pays du Cèdre de cesser leur jeu de poker menteur, de passer à la Politique avec un grand P, à la démocratie, de cesser les jeux de la petite politicaille des sièges musicaux, pour élire un président qui doit être un homme politique libanais – avant tout – avec une vision politique en phase avec les institutions internationales – l’ONU et toutes ses résolutions nous concernant, mais également le Fonds monétaire international et la Banque mondiale – qui puisse ramener la bienveillance de nos mentors de toujours, Arabes et Occidentaux, mais lige uniquement des cèdres du Liban.

Plagiant le moraliste (toujours La Bruyère) : « Si le gouvernement est vertu, il se perd par tout ce qui n’est pas vertueux, et s’il n’est pas vertu, c’est peu de choses. »

Samira HANNA EL-DAHER

Ambassadrice, professeure de géopolitique et de relations internationales

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

« Tout est tentation à qui la craint », nous assure La Bruyère, et bruisse aujourd’hui la tentation de tout renverser.Après les silences, après les suicides en chaîne, la révolte s’installe pernicieusement et puis pas à pas franchement. La crainte d’une révolte, mer houleuse, fleuve débordant qui sort de son lit, profile une tentation de révolte qui certes...

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