C’est une décision historique, qui marque une étape significative dans la lutte contre l’impunité dont jouissent les membres du régime de Bachar el-Assad. Trois hauts responsables syriens appartenant à la garde rapprochée du président ont été mis en accusation ce mardi par les juges d’instruction du pôle "crimes contre l’humanité" du Tribunal judiciaire de Paris, les renvoyant ainsi en procès devant la Cour d’Assises de la capitale, ont révélé dans un communiqué publié ce mardi la Fédération Internationale pour les Droits humains (FIDH), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM).
Les hommes en question figurent parmi les personnalités les plus redoutées et influentes du pouvoir à Damas. Accusés de complicité de crimes contre l’humanité et de délits de guerre dans le cadre de l’affaire « Dabbagh », Ali Mamlouk - chef du bureau de la Sécurité nationale syrienne et numéro deux du régime -, Jamil Hassan - directeur du service de renseignement de l’armée de l’air, également visé par un mandat d’arrêt allemand -, et Abdel Salam Mahmoud - directeur de la branche des investigations des services de renseignements de l’armée de l’air à Damas -, seront jugés in absentia puisqu'ils se trouvent encore en Syrie. « Il y a bien évidemment très peu de chances qu’ils soient arrêtés ou remis à la justice française pour être jugés mais il s’agit tout de même du premier procès qui visera un niveau de responsabilité aussi élevé dans l’appareil répressif syrien », souligne Clémence Bectarte, l’avocate du Franco-Syrien Obeida Dabbagh, oncle et frère des deux victimes qui avait déposé plainte en 2016 aux côtés de la FIDH et de la LDH, avec le soutien du SCM.
Près de dix ans après les faits, cet homme qui n’a cessé ces dernières années de mener le combat pour que la disparition et la mort de ses proches ne restent pas impunies, pourrait enfin obtenir gain de cause. « C’est une grande victoire pour ma famille et pour toutes les victimes syriennes, qu’après toutes ces années de combat pour que la vérité éclate, les responsables de haut niveau soient enfin traduits en justice, a-t-il déclaré, cité par le communiqué. J’appelle les autorités judiciaires françaises à organiser ce procès au plus vite ».
Certificats de décès
Tout remonte au 3 novembre 2013 à minuit. Des hommes des services de renseignements syriens débarquent chez Patrick Abdelkader Dabbagh, un Franco-Syrien âgé de 20 ans à l’époque qui étudiait à l’Université de Damas et résidait dans la banlieue de la capitale syrienne. Sans lui donner aucun motif d’interpellation, ils forcent le jeune homme à les suivre en vue d’être interrogé. Le lendemain, son père, Mazzen Dabbagh, conseiller principal d’éducation au lycée français de Damas, âgé de 57 ans et détenant également la double-nationalité, est embarqué à son tour par ces mêmes hommes accompagnés de soldats armés. Accusé de ne pas avoir su « éduquer son fils correctement », il est contraint de les suivre pour « apprendre comment éduquer son fils », selon le SCM. Depuis, personne ne les a jamais revus. Selon le beau-frère de Mazzen Dabbagh, arrêté en même temps que ce dernier mais relâché deux jours plus tard, le père et le fils avaient été transférés dans le centre de détention de l’aéroport militaire de Mezzeh dirigé par le service de renseignements de l’armée de l’air. Connu pour être l’un des pires centres du système carcéral du pays, des milliers d’opposants y sont enfermés et torturés dans les sous-sols, ont rapporté des témoins. Selon la Commission indépendante d’enquête internationale de l’ONU sur la Syrie, cette prison connaît l’un des taux de mortalité les plus élevés des centres de détention du pays.
À ce jour, Obeida Dabbagh ignore toujours les raisons de l’arrestation de ses proches. Il soutient qu’aucun d’eux n’a participé au soulèvement populaire débuté en mars 2011, mais que le pouvoir à Damas les aurait probablement pris pour des opposants politiques. En octobre 2016, il porte plainte devant la justice française en raison de la double nationalité des deux victimes qui justifie l’ouverture d’une enquête à Paris. Une information judiciaire est ainsi ouverte pour disparitions forcées et actes de torture constitutifs de crimes contre l’humanité. Vingt-trois témoins syriens, des rescapés de la prison de Mezzeh ou des victimes d’un des responsables syriens mis en cause, témoignent tout au long de la procédure. À l’été 2018, la nouvelle tombe comme un coup de massue. Des certificats de décès déclarent que les deux hommes sont morts en prison « d'arrêt cardiaque », le fils en janvier 2014, son père, près de quatre ans plus tard, en novembre 2017.
Face à ces nouveaux éléments, l’enquête débouche sur l’émission en 2018 de trois mandats d’arrêt internationaux contre Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud pour complicité de crimes contre l’humanité, ce dernier étant aussi accusé de crimes de guerre. En janvier 2023, le procureur a requis la mise en accusation des trois accusés devant la cour d’assises de Paris. Cette décision a été confirmée mardi, ce qui marque une nouvelle étape. « Ce procès - qui se tiendra publiquement - pourrait aboutir à leur condamnation pour complicité de crimes contre l’humanité, indique Clémence Bectarte. Il permettrait aussi de renouveler les mandats d’arrêt internationaux dont ils font l’objet et qui ne seraient plus simplement basés sur une enquête en cours mais bien sur des condamnations prononcées par une cour d’assises française ».
Compétence universelle
Avec cette décision, la France suit timidement les pas de l’Allemagne, pionnière dans la lutte contre les exactions commises par des proches du régime Assad. Dans un verdict historique rendu le 13 janvier 2022, le tribunal régional de Coblence (Ouest de l’Allemagne) avait condamné à perpétuité pour crimes contre l’humanité l’ex-colonel des services de renseignements syriens, Anouar Raslan, reconnu coupable de 27 meurtres et de tortures sur des milliers d’autres personnes ainsi que de violences sexuelles et d’autres crimes. Son subalterne avait été condamné moins d’un an plus tôt, dans le cadre du premier volet de ce procès, à quatre ans et demi de prison pour complicité de crimes contre l’humanité.
Des affaires judiciaires rendues possible grâce au mécanisme de la « compétence universelle » qui existe dans plusieurs pays européens et qui n’est pas conditionnée en Allemagne à la présence ou à la résidence habituelle de l’accusé sur le territoire national, contrairement à la France. De nombreux observateurs soutiennent ainsi que Paris applique une interprétation restrictive de la compétence universelle, à laquelle s’ajoute un manque de volonté politique pour traduire en justice les bourreaux syriens. « Il ne s’agit pas dans le cadre de l’Affaire Dabbagh de la compétence universelle, c’est précisément en raison de la nationalité française des victimes que cette enquête a pu être ouverte et que de si hauts niveaux de responsabilité ont pu être visés, explique Clémence Bectarte. Néanmoins, on espère que ce procès ouvrira la voie à d’autres mises en accusation ».
commentaires (8)
Et pourquoi ne pas boycotter tous ces assassins et dictateurs ? Le monde ne s’en porterait que mieux !
TrucMuche
14 h 23, le 06 avril 2023