
Des manifestants protestant contre les violences conjugales et le harcèlement à Beyrouth, le 7 décembre 2019. Photo d'archives Anwar Amro/AFP
Le bâtonnier de l'Ordre des avocats de Beyrouth, Nader Gaspard, s'est attiré les foudres des réseaux sociaux vendredi pour des propos qu'il a tenus lors d'un colloque organisé jeudi sur les violences conjugales.
M. Gaspard a déclaré que les membres d'une famille pouvaient utiliser la loi sur la violence conjugale "dans l'intention de nuire et de tirer profit de fausses allégations". Il a laissé entendre que la loi pouvait être utilisée par les femmes portant de fausses accusations pour obtenir "des gains et des sommes d'argent". Le colloque en question était organisé par le Comité de modernisation du statut personnel de l'association du barreau de Beyrouth.
"La question de la violence domestique est l'un des problèmes les plus graves dans les relations entre les membres d'une même famille", a déclaré M. Gaspard, selon le communiqué publié par le barreau. "Qu'est-ce qui empêche une personne de +harceler+ une autre en prétendant qu'elle a été battue, frappée ou poussée ?... Qu'est-ce qui les empêche de se poignarder ou de se frapper la tête contre le mur et de dire qu'elles ont été battues ?"
La journaliste libanaise Diana Moukalled a réagi sur son compte Twitter, qualifiant les propos de M. Gaspard d'"approche qui nous ramène littéralement des siècles en arrière (...) M. Gaspard aborde la question de la liberté d'expression et des droits des femmes sous un angle qui convient aux régimes répressifs et patriarcaux", a ajouté Mme Moukalled.
الخطاب الحقوقي في لبنان متقدم جدا عن هذا الهراء الذي تفوه به نقيب المحامين في جلسة مخصصة لمناقشة العنف الاسري.
— ديانا مقلد Diana Moukalled (@dianamoukalled) March 31, 2023
مقاربة تعيدنا قروناً الى الوراء حرفيا.
مواجهة هذا الخطاب ضرورة خصوصاً أن النقيب ناضر كسبار يقارب مسألة حرية التعبير وحقوق النساء من زاوية تناسب الانظمة القمعية الأبوية. pic.twitter.com/21VClrHKWd
Les moyens de vérifier les abus "sont très clairs"
La loi libanaise sur la violence domestique a été adoptée pour la première fois en 2014. Bien que cette loi ait été saluée comme une avancée pour les droits des femmes, certains défenseurs des droits de l'Homme estiment qu'elle souffre de lacunes importantes et font pression pour y remédier. Certains amendements ont été adoptés en 2020 à cet effet.
Jeudi, M. Gaspard a fait valoir que la loi sur la violence domestique pourrait "donner des justifications" aux membres de la famille pour mettre en place des "stratagèmes". "Nous recevons des plaintes selon lesquelles le père a abusé de sa fille", a affirmé M. Gaspard. "Tout cela est fait dans l'intention de nuire et de tirer profit de ces fausses allégations, afin que la femme engrange des gains et des sommes (d'argent) qu'elle n'aurait pas obtenus si elle s'était contentée de présenter les faits d'une relation normale avec son mari".
L'Orient Today a tenté de contacter M. Gaspard, mais il n'était pas disponible dans l'immédiat. Hayat Mirchad, cofondatrice du collectif féministe Fe-Male et rédactrice en chef de la plateforme féministe Sharika wa laken, a déclaré à L'Orient Today que les déclarations de M. Gaspard étaient "très regrettables" selon elle. "Ce n'est pas la première fois que le barreau, qui est censé avoir des positions justes, tient des propos patriarcaux".
"Il n'est pas vrai que la loi (sur la violence domestique) puisse être un moyen d'intimidation", a poursuivi Mme Mirchad. "Nous savons tous que, dans la loi sur la violence domestique, les moyens d'obtenir des preuves sont très clairs. Si les femmes n'ont pas de preuves et de témoins, comme un médecin légiste, elles n'obtiennent pas la protection du tribunal", a-t-elle expliqué avant d'ajouter : "Je n'ai jamais vu une femme demander notre aide sans aucune preuve".
Selon la rédactrice en chef, les femmes parlent très difficilement des violences conjugales au Liban. "Les femmes décident donc de dénoncer la violence domestique principalement lorsqu'elles atteignent un stade avancé", a-t-elle déclaré. "Nous rencontrons beaucoup de personnes dans ce cas."
Hayat Mirchad souligne également que les remarques de M. Gaspar suggèrent qu'il croit que la violence domestique est une "affaire privée". Selon elle, c'est la principale raison qui aggrave la violence domestique. "La question de la violence domestique devrait devenir une question publique et politique, et non une question à résoudre à huis-clos", ajoute-t-elle. "Les avocats et les juges ont un rôle essentiel à jouer dans ce domaine", poursuit-elle.
"Nous ne devrions pas être surpris"
Samedi dernier, un Libanais de 27 ans originaire de Baalbeck dans la Békaa a assassiné sa femme Zeinab, également Libanaise, en tirant sur elle à dix reprises. Une information que les Forces de sécurité intérieure (FSI) avaient confirmé à L'Orient-Le Jour.
Selon des médias locaux, le meurtre aurait eu lieu après que l’époux a trouvé des photos de son épouse non-voilée dans son téléphone. Contacté par L’OLJ, le président de la municipalité de Hadath-Baalbeck Ali Zeaïter, dont est originaire le suspect, avait évoqué un "crime d’honneur".
Un "crime d’honneur" est un crime perpétré en réaction à un comportement perçu par certaines personnes comme ayant apporté le déshonneur à une famille et ayant donc enfreint un soi-disant code d’honneur. Après avoir tué sa femme, l'homme se serait enfui avec les enfants du couple.
"Il est très important de rappeler au président de l'Ordre des avocats que de nombreuses femmes sont encore tuées aujourd'hui", a ajouté Hayat Mirchad. "Nous attendions de l'Ordre qu'il porte la voix des femmes et qu'il soit ferme dans les dossiers des féminicides pour cause de violence domestique... au lieu de douter des femmes ou de les blâmer pour les abus qu'elles subissent", fustige-t-elle.
Des associations de défense des droits des femmes ont dénoncé le degré "sans précédent" des violences récentes. Le 28 février, un retraité des FSI avait tué son ex-femme avec un fusil de chasse à Tripoli, au Liban-Nord.
En août dernier, Hana' Khodr, 21 ans, mère de deux enfants et enceinte de cinq mois à l'époque, a été battue et brûlée vive par son mari. Le même mois, Ghinwa Alaoui, une mère de trois enfants originaire du Akkar, a tenté de mettre fin à ses jours après des années de violences domestiques présumées. Quelques jours auparavant, son mari l'avait filmée alors qu'il la battait et avait envoyé la vidéo à sa belle-famille.
"Nous ne devrions pas être surpris que (les hommes) échappent encore à la justice", a déclaré Hayat Mirchad en évoquant la culture misogyne et patriarcale du Liban. "Il ne faut pas s'étonner qu'un grand nombre de femmes soient victimes d'injustices de la part d'avocats et de juges."
commentaires (12)
A l'encontre de tous je ne vois pas qu'est ce qui peut être rétrograde, scandaleux ou misogyne dans le fait que ce monsieur ait juste exprimé un avis sur la POSSIBILITE de mauvaise utilisation de la loi. Bien sur personne, mais personne, n'a le droit de battre, tuer, violenter, etc.. une autre personne quelle qu'en soit la raison. Comme il va de soit que 95% des cas sont en effet répréhensibles et vrais. Mais peut on annuler le fait qu'il y en a qui pourrait être montés? Franchement, de tous les outrés ou vierges effarouchées, y a-t-il un seul a pouvoir garantir ou certifier qu'il n'existerait pas de cas comme décrit?
Pierre Christo Hadjigeorgiou
12 h 14, le 03 avril 2023