Éloge d’une guerrière de Jean de Saint-Cheron, Grasset, 2023, 213 p.
Une sainte guerrière ? Paradoxe ou provocation ? Sans nul doute un titre insolite et choc pour une sainte, l’une des plus populaires de France, reconnue pour sa douceur avec son bouquet de roses, son crucifix au bras, sa guimpe entourant son visage au sourire plein de grâce et sa robe chasuble de carmélite.
Mais, avec le titre Éloge d’une guerrière, récent ouvrage publié par Jean de Saint-Cheron pour retracer la vie de Sainte Thérèse de Lisieux, l’explication est vite donnée… Et l’ambiguïté est aussitôt dissipée.
Bel et bien une guerrière au nom d’un amour infini et de la liberté dont elle veut porter la nouvelle à la terre entière. Il s’agit ici de mourir d’amour pour le Christ. Comment ne pas parler alors de farouche guerrière ?
Tout comme Jeanne d’Arc, voilà une autre soldate du Christ. Une sainte guerroyant non sur les champs des batailles terrestres mais dans le domaine du spirituel, dans la plus prosaïque simplicité du quotidien. Pour vivre et répandre, par une attitude plus qu’exemplaire, humble, modeste et humaine, le message d’amour et de dépassement de soi dans la perfection (dans ce monde si imparfait !), message livré par le Sauveur dont elle s’est éprise très tôt… Dès la plus tendre enfance.
À travers de fines analyses, théologiques et humaines, une vaste culture (qui dépasse largement les notions religieuses), une plume alerte, équidistante d’un humour facile ou de pesantes gravités et une documentation fournie (plus de 20 pages en fin du livre en guise de notes, de références et de renvois), l’auteur, le brillant jeune signataire des Bons Chrétiens, offre une explication d’une lumineuse clarté. Explication pour traduire le bref mais intense et fulgurant parcours spirituel d’une mystique à la dissolvante passion pour Dieu.
Née à Alençon dans une famille catholique pieuse et croyante, entrée dans les ordres au Carmel à 15 ans (là aussi une bataille pour enfreindre l’ordre clérical fixé à l’âge de vingt-et-un ans !) et décédée à 24 ans de tuberculose, la jeune fille n’a en bouche que cette phrase, transcrite dans son journal autobiographique Histoire d’une âme : « Que j’ai soif du ciel où l’on aimera Jésus sans réserve… »
Une guerre sans trêve pour lutter contre l’égo, son caractère volcanique, le mal, les tentations du diable, la vanité, la duplicité, le mensonge. Une glorieuse guerre pour tordre le cou aux conventions sociales et le refus de l’idée d’un Dieu punisseur. Afin de vivre le sens profond du pardon, de l’amour, de la foi.
Un riche et ardu cheminement intérieur où se sont multipliées, en silence et sans jamais une plainte, les souffrances de sa maladie qui déchirait ses poumons en lambeaux. Et où les petits détails des sacrifices sont invisibles et laborieusement gommés. À savoir un travail zélé à la buanderie, aux cuisines, à la porterie, aux heures de prière en compagnie de ses sœurs, même les moins agréables… Et de ne jamais refuser, en toute générosité de cœur et de geste, l’aide à autrui.
Béatifiée en 1923, canonisée en 1925 par le pape Pie XI, proclamée 33e docteur de l’Église par le pape Jean-Paul II, Sainte Thérèse de Lisieux, en décortiquant et fouillant en profondeur Bible et Évangile, a montré la voie royale de la foi, dans une désarmante simplicité. En recherchant la sainteté dans les actes les plus insoupçonnés de la vie quotidienne, elle reconnaissait avec humilité ses imperfections tout en s’appuyant, comme un enfant, sur la confiance en la miséricorde divine.
Belle leçon de vie que transcrit avec talent et un suprême doigté ce livre lumineux et passionnant.
Pour ce monde mesquin devant les aspirations trop grandes de la petite Thérèse, le parcours fait de dévotion et de spiritualité est certes semé d’embûches mais il a le mérite d’abattre et d’aplanir toutes les difficultés. Mêmes les luttes les plus sourdes et les mortifications les plus douloureuses deviennent un rapprochement de Dieu.
On prête bien sûr à Sainte Thérèse de Lisieux diverses interventions extraordinaires mais ce livre n’en parle pas. Sauf, discrètement, pour cet épisode concernant une petite fille aveugle qui retrouve la vue quelques jours après avoir rendu visite au cimetière, à la tombe de Thérèse Martin dite Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face. Et cette petite fille n’est autre qu’Édith Piaf…