Un an après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le monde arabe, à l’instar de l’ensemble du Sud global, n’a toujours pas pris la mesure de l’importance stratégique de ce conflit. Au mieux, cette guerre suscite une relative indifférence, au pire, elle met en lumière un tropisme pro-Poutine et réveille un vieil antiaméricanisme.
À l’Assemblée générale des Nations unies, Moscou est isolé : 143 des 193 États membres ont condamné l’annexion russe des territoires ukrainiens en octobre 2022. Parmi les pays arabes, l’Algérie et le Soudan se sont abstenus et seule la Syrie, devenue une province russo-iranienne, a voté contre. Mais ce vote, sur un sujet précis, ne reflète pas un tableau diplomatique beaucoup plus nuancé. En dehors du monde occidental, la plupart des pays considèrent qu’ils ne sont pas directement concernés par cette guerre et que la Russie est loin d’avoir tort sur toute la ligne. Le narratif russe, qui impute la responsabilité du conflit à l’extension de l’OTAN en Europe de l’Est, est toujours aussi populaire, notamment dans le monde arabe. Tout comme l’est l’idée que Vladimir Poutine est un homme fort qui a le mérite de résister à l’impérialisme américain.
Ni l’invasion du territoire ukrainien par l’armée russe, ni la déroute de celle-ci dans les mois qui ont suivi, ni même la menace nucléaire que fait planer le maître du Kremlin n’ont fondamentalement changé la donne.
La plupart des pays qui composent le monde arabe n’ont toujours pas choisi leur camp tandis que leurs opinions publiques, quand elles existent, semblent plutôt favorables à la Russie. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Il y a d’abord un sentiment de méfiance voire d’hostilité vis-à-vis des États-Unis, notamment justifié par l’intervention américaine en Irak et le soutien indéfectible de Washington à Israël qui alimente la perception d’un deux poids deux mesures. Il y a ensuite une forme de convergence d’intérêts mais aussi de vision du monde avec Vladimir Poutine, perçu comme l’un des derniers défenseurs d’un modèle civilisationnel patriarcal et religieux, que beaucoup souhaitent voir perdurer. Il y a enfin, et c’est là l’élément le plus nouveau et le plus intéressant, un pari que sont en train de prendre de nombreux dirigeants à travers la planète : celui que l’ordre mondial qui résultera de cette guerre leur sera plus favorable.
Le conflit en Ukraine marque l’avènement de l’autonomisation des puissances moyennes vis-à-vis des grandes puissances. C’est particulièrement vrai pour les pays du Golfe qui, sans rompre leur alliance stratégique avec les États-Unis, maintiennent d’excellentes relations avec la Russie. À court et moyen terme, ils font sans doute le bon calcul. L’Oncle Sam ne cesse de répéter qu’il veut se désengager de la région et a démontré, lors des frappes imputées aux houthis contre Aramco, qu’il n’était pas « prêt à mourir » pour l’Arabie. Le Golfe joue la carte russe contre les États-Unis et en profite au passage pour remplir ses caisses avec l’explosion du prix du baril depuis le début de la guerre. En refusant d’augmenter leur production de pétrole, les pays du Golfe offrent un cadeau en or à Vladimir Poutine qui peut ainsi financer sa guerre et limiter l’impact des sanctions occidentales sur son économie.
À long terme, les Golfiques sont néanmoins en train de commettre une erreur stratégique. Soit l’Ukraine et les Occidentaux l’emportent, et ils ne seront pas dans le camp des vainqueurs. Soit c’est la Russie qui l’emporte, et tout l’ordre international en sera profondément perturbé avec tous les risques que cela implique.
Il y a mille et une raisons, en particulier dans le monde arabe, de vouloir remettre en question l’ordre international structurellement dominé par les Occidentaux. Mais un monde dominé par la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping est encore plus inquiétant. À l’échelle des États, c’est le risque que la loi de la jungle devienne la seule et unique règle, que les frontières soient redessinées en fonction de nouveaux rapports de force et que la prolifération de l’arme nucléaire s’accélère. Les dirigeants du monde arabe considèrent peut-être que ce « nouveau monde » leur serait plus avantageux. Mais ce serait oublier qu’à ce jeu-là, personne ne dispose de garanties et que l’Iran, la Turquie et Israël paraissent bien mieux armés pour en sortir gagnants. À l’échelle des peuples, la victoire de Poutine consoliderait le règne de l’impunité. Ce serait l’apogée de la « syrianisation » du monde. Cela, les Syriens opposés à Bachar el-Assad l’ont compris dès le premier jour de l’invasion de l’Ukraine.
Contrairement à une partie des Libanais qui s’enorgueillissent encore de voir les portraits de Vladimir Poutine envahir la Békaa.
Le seul camp que le monde arabe doit choisir est le camp de la paix, afin d'éviter une apocalypse nucléaire qui mettra fin au monde entier. M.Z
13 h 00, le 28 février 2023