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Société - Témoignages post-séisme

« Inscrits dans notre ADN » : les traumatismes des expatriés libanais à des milliers de kilomètres

Lorsque les émigrés libanais ont appris la nouvelle du tremblement de terre en Turquie, le 6 février, qui avait été fortement ressenti au Liban, beaucoup ont souffert d’anxiété, de dissociation et de la culpabilité du survivant.

« Inscrits dans notre ADN » : les traumatismes des expatriés libanais à des milliers de kilomètres

Une rue étroite dans le quartier de Mina, à Tripoli, le 9 février 2023, qui a été fortement touchée par le récent tremblement de terre. Photo João Sousa

En un lundi matin qui semblait en tous points ordinaire, Mohammad Abdallah s’est réveillé à 6 heures. En se rendant à la cuisine, il a vérifié son téléphone et a remarqué un détail qui l’a figé. « Beaucoup de mes contacts WhatsApp avaient téléchargé la sourate al-Zilzal (“le tremblement de terre”) du Coran, sans autre explication », raconte cet expatrié libanais de 30 ans vivant à Madrid. « J’ai d’abord contacté ma sœur (à Beyrouth), mais elle a mis du temps à répondre. » Il a appris sur Twitter qu’un puissant séisme avait secoué la Turquie et la Syrie, et avait été ressenti au Liban, rappelant à beaucoup l’explosion du 4 août 2020. Même quand sa sœur l’a rassuré à propos de la famille, il n’a pas pu s’empêcher de faire défiler en ligne des photos et des vidéos du tremblement de terre. « Je me force à ne pas m’investir dans ce que je ne peux pas contrôler, mais là je n’ai pas pu m’en empêcher », poursuit Abdallah.

Yara Zoughaib, qui vit au Luxembourg, est sortie précipitamment de son lit le matin lorsqu’elle a reçu un message WhatsApp de son frère lui disant : « Si tu lis la nouvelle, sache que nous allons bien, ne t’inquiète pas. » « J’étais tellement reconnaissante que tout le monde aille bien, mais j’ai pensé toute la journée à ce qui se serait passé si le tremblement de terre avait touché le Liban. Et si ça avait été mon père et ma mère ? » se demande-t-elle.

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Le Liban a été épargné des pires répercussions physiques et émotionnelles du tremblement de terre que ses voisins syriens et la population du sud de la Turquie ont dû affronter. Mais le séisme a suscité des craintes et des angoisses familières. De nombreux Libanais de l’étranger, dont le nombre ne cesse de croître et qui sont dispersés dans le monde entier, ont passé les premières heures qui ont suivi le drame à essayer désespérément de s’assurer que leurs proches étaient en sécurité.

Whitné Moussan, une étudiante de 26 ans et assistante d’enseignement à l’Université de Californie, a appris la nouvelle sur Twitter alors qu’elle se rendait chez une amie. J’ai vu passer des tweets de Libanais et de Syriens : « Vous avez senti ça ? », « Qu’est-ce qui se passe ? » raconte la jeune femme qui a quitté le Liban à l’âge de cinq ans. « Ce n’est pas un “sentiment étranger” lorsque les gens de la région se mettent à tweeter de la sorte, mais cela ne diminue pas l’anxiété pour autant », ajoute-t-elle.

« Il est devenu rapidement évident que les destructions initiales étaient concentrées en Turquie et en Syrie, mais cela a quand même rappelé à beaucoup les épreuves du Liban ces dernières années », souligne Moussan.

Toujours connectée

« Ma consommation téléphonique est passée à une moyenne de 11 heures par jour au cours des deux derniers jours, explique Petra Halawi, qui a quitté le Liban pour Londres en septembre 2022 pour ses études supérieures. Il est incroyablement difficile de se détacher. Même si j’essaie de m’occuper, le flux constant de prédictions sur des tremblements de terre, de fake news sur mon WhatsApp et de tweets me cause de l’anxiété et du stress. »

Pour beaucoup de personnes vivant si loin de leurs proches, se déconnecter n’est tout simplement pas un luxe qu’elles peuvent se permettre. Non seulement le fait d’être en ligne est une bouée de sauvetage importante au cas où quelque chose arriverait (dans les deux sens), mais le fait de continuer à vivre sans être constamment au courant de ce qui se passe au Liban provoque un sentiment de culpabilité. Il s’agit d’un des nombreux sentiments irrationnels, mais viscéraux qui accompagnent la vie d’un émigré.

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« Pour moi, le seul moyen de faire face est de rester connectée », confirme Halawi. « La situation est vraiment difficile à décrire, explique à L’Orient Today Kafa Alameh, une doctorante de 27 ans qui vit en Allemagne. Le besoin constant d’être connecté à nos téléphones est épuisant. J’ai des difficultés à me concentrer au travail et je pense toujours à mes proches. La surconsommation de nouvelles négatives est écrasante. »

De nombreux membres de la communauté libanaise à l’étranger connaissent bien cette peine de cœur qu’ils ressentent lorsqu’ils doivent s’enquérir des nouvelles de leur pays en surfant sur une litanie de messages sur les médias sociaux. Mais souvent, parcourir l’internet est leur seul moyen d’action, et l’action, même si elle est insuffisante, est toujours le premier moteur de l’impuissance. « Vous n’êtes pas physiquement dans le pays, vous devez donc vous faire une idée à travers des bribes de réalité désincarnée : WhatsApp, les nouvelles, les médias sociaux. C’est une expérience étrange », explique Moussan.

« Je me suis soudainement plongée dans la lecture de documents sur la sismologie dans l’espoir de trouver un peu de réconfort, raconte Zoghaib. J’avais une mini-crise de panique chaque fois que mon téléphone sonnait, craignant de mauvaises nouvelles. »

Certains, comme Moussan, ont trouvé du réconfort auprès d’autres membres de la diaspora. « Quand de tels événements ont lieu, il est vraiment facile d’être aspiré par les médias sociaux et les nouvelles. Il est important de vérifier les informations auprès de sa propre famille comme auprès d’amis qui ont de la famille dans le pays », dit-elle.

Aliénation et désorientation

Outre la frustration, la colère, l’anxiété et l’impuissance que les Libanais de l’étranger ressentent chaque fois qu’une tragédie frappe leur pays – ou la simple perspective d’une tragédie, un aspect souvent négligé –, il y a le sentiment perpétuel d’aliénation et de désorientation. Les membres de la diaspora libanaise vivent entre deux mondes, souvent sans que leurs amis, voisins et collègues locaux ne comprennent les émotions qui les secouent. « Pas un seul collègue n’a discuté des tremblements de terre en Turquie et en Syrie pendant la pause déjeuner au bureau. Comment se fait-il que l’Occident ferme si facilement les yeux sur ce qui ne le concerne pas ? » se demande Alameh.

Une cour dans le quartier de Mina à Tripoli. Photo João Sousa

Sara Hamzeh, une architecte vivant au Danemark, renonce à être comprise. « Essayer d’exprimer ma peine me paraît futile. Mes collègues ne semblent pas me comprendre et j’ai l’impression de me plaindre quand j’essaie d’expliquer mes appréhensions. » Hamzeh estime qu’il est plus facile de dire qu’elle a la grippe plutôt que d’expliquer l’inquiétude qu’elle éprouve pour sa mère. « Je ne peux rien faire d’autre que de pleurer. » Comme elle, de nombreux Libanais de la diaspora ont fait part de leur malaise et même de leur embarras à l’idée qu’on les soupçonne de dramatisation, parce qu’ils sont si profondément touchés par un événement qui se produit si loin.

Un tourment qui ronge

Zoghaib raconte qu’elle n’a pas pu dormir la nuit qui a suivi le tremblement de terre. Elle ne cessait d’imaginer que sa famille au Liban avait peut-être peur d’aller se coucher. « J’ai également ressenti un sentiment de culpabilité en pensant que je suis au lit dans un appartement chaud, sécurisé et bien entretenu, alors que mes parents n’ont probablement pas d’électricité », poursuit-elle.

De nombreux Libanais de la diaspora ne sont pas à l’abri de la culpabilité du survivant et tombent dans le piège de la souffrance comparative. « Aucun de mes proches n’est mort, nous n’avons pas connu le pire, je n’étais pas là pour le ressentir, alors de quoi est-ce que je me plains ? En revanche, je n’avais jamais reçu d’appel de mon petit frère aussi paniqué et effrayé », souligne Hamzeh.

Ces sentiments ne sont pas nouveaux. En mai 2022, Gaëlle Rached, chercheuse postdoctorale à l’université Northwestern, a présenté de nouvelles données lors de la réunion annuelle de l’« American Psychiatric Association » concernant une étude de sept mois sur les effets traumatiques de l’explosion au port de Beyrouth sur les Libanais de la diaspora. Les résultats ont montré que la santé mentale des expatriés est affectée par des événements traumatisants survenus dans leur pays d’origine, même plusieurs mois plus tard, indépendamment de la durée de l’exil ou du fait qu’ils en aient, ou non, été le témoin direct.

Après avoir répondu à une première enquête, les participants qui avaient été témoins directs de l’explosion, qui avaient été physiquement affectés ou dont des proches avaient été blessés, ont été invités à remplir un questionnaire de dépistage du syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Plus de 58 % d’entre eux ont dépassé le seuil indiquant un possible diagnostic de SSPT.

Une conscience aiguë de l’actualité

Abdallah estime que la conscience aiguë de l’actualité est une quasi-constante dans sa vie : « On ne sait jamais quel genre de traumatismes on va vivre au Moyen-Orient, ni quel genre de post-traumatismes on va subir en tant que moyen-oriental vivant à l’étranger. Personnellement, j’ai du mal à me déconnecter des nouvelles, je pense que c’est quelque chose d’ancré dans mon ADN. »

« En un sens, on s’habitue à la sensation de voir, de tendre la main, d’attendre, de regarder, mais l’inquiétude ne disparaît pas en ce qui me concerne, conclut Moussan. Quelle que soit la distance qui me sépare de mon pays, ou le temps qui s’est écoulé depuis que j’ai émigré, ou à quel point mon arabe se détériore, je garde ma famille et mon pays à l’esprit. » 

En un lundi matin qui semblait en tous points ordinaire, Mohammad Abdallah s’est réveillé à 6 heures. En se rendant à la cuisine, il a vérifié son téléphone et a remarqué un détail qui l’a figé. « Beaucoup de mes contacts WhatsApp avaient téléchargé la sourate al-Zilzal (“le tremblement de terre”) du Coran, sans autre explication », raconte cet expatrié...

commentaires (2)

- SI LES RESIDENTS AVAIENT A COEUR, - LEUR PAYS COMME LA DIASPORA, - IL N,AURAIT JAMAIS EU DE MALHEUR, - DE MERCENAIRES ET DE MAFIA.

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 41, le 23 février 2023

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Commentaires (2)

  • - SI LES RESIDENTS AVAIENT A COEUR, - LEUR PAYS COMME LA DIASPORA, - IL N,AURAIT JAMAIS EU DE MALHEUR, - DE MERCENAIRES ET DE MAFIA.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 41, le 23 février 2023

  • Excellent article. Merci

    Sissi zayyat

    12 h 05, le 23 février 2023

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