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Maron pas trop clair

Que les chrétiens aient voix à ce chapitre ultrasensible qu’est devenue, de manière quasi endémique, toute élection d’un président libanais, est bien le moins qu’on puisse dire.


Après tout, notre pays est le seul de tout le monde arabe où la magistrature suprême de l’État est dévolue à cette communauté, et plus précisément aux maronites. Même si le premier personnage de la République est censé être le président de tous, il est parfaitement légitime que les chrétiens soient partie prenante dans le processus menant à son choix. Or saboter le scrutin à l’aide d’une marée de bulletins invalides et provoquer ensuite un défaut de quorum à l’Assemblée, comme le veut une mascarade vieille déjà de trois mois, c’est perpétuer à dessein la vacance présidentielle. C’est insidieusement habituer les Libanais à l’idée qu’au point de délabrement où en est leur patrie, qu’il y ait un président ou pas ne change finalement pas grand-chose dans un pays qui manque déjà de tout.


En énonçant solennellement ces évidences, les diverses églises libanaises réunies mercredi au patriarcat maronite de Bkerké ont certes mis le doigt sur la plaie. Mais il faut croire que ces saints pères ont aussi péché par omission. Le torpillage de l’élection n’est pas en effet l’œuvre d’un seul parti, le Hezbollah, pour acharné qu’il puisse être à saper les fondements de la République. Il se trouve que la milice pro-iranienne est puissamment épaulée, dans sa manœuvre d’obstruction, par deux chefs politiques chrétiens : plus encore par deux maronites – Sleiman Frangié et Gebran Bassil – aspirant à la fonction avec la même obstination, bien qu’à des degrés différents de réalisme. L’occulter, le passer sous silence, c’était abattre le travail à moitié en faisant l’impasse sur les comparses. C’était malencontreusement oublier que charité bien ordonnée commence par soi-même, que cette malédiction qui poursuit la présidence, des maronites en assument bel et bien une grande part de responsabilité. Dès lors, on se gardera de fonder des espoirs démesurés sur un projet d’assises de parlementaires chrétiens qui se tiendrait sous les auspices de Bkerké.


Non moins remarquable par ailleurs, non moins lourd de conséquences, est le paradoxe qui entoure avec persistance cette autre et prestigieuse charge échue aux maronites qu’est le commandement de l’armée. Sur les treize présidents dont s’est doté le Liban depuis son indépendance, figurent non moins de quatre officiers assumant ou ayant assumé cette tâche. De fait, quelle casquette sur-galonnée surplombant une constellation d’étoiles d’épaulette pourrait-elle humainement résister aux vastes horizons qu’ouvre un aussi prometteur quota de probabilités statistiques favorables ? La topographie venant y ajouter son grain de sel, le palais de Baabda n’est-il pas d’ailleurs situé à un jet de pierre du Q.G. militaire de Yarzé ? La sporadique, l’intermittente fortune politique des militaires n’est-elle pas le résultat des pannes à répétition affectant cette démocratie parlementaire dont se vantait naguère le Liban ? Mais en revanche n’attend-on pas beaucoup trop, en termes de rigueur et de fermeté, de ces généraux-présidents, au vu des décevantes, et parfois catastrophiques, expériences des dernières années ?


D’évoquer ici toutes ces épineuses questions n’a évidemment rien de fortuit, rien de malveillant non plus, puisqu’à la bourse présidentielle, les actions du général Joseph Aoun ont actuellement la cote. Largement respecté au sein de l’opinion publique, couvert d’égards par la plupart des grands électeurs régionaux et internationaux appelés à se concerter lundi prochain à Paris, le commandant de la troupe pourrait bien incarner, aux yeux de ces puissances, le candidat de vaste consensus qu’exige, selon elles, la situation. Pour cette même raison voit-on d’ailleurs certains de ses adversaires s’affoler, au point de perdre les pédales. De là où il se proposait soudain de le limoger, le ministre de la Défense a dû piteusement se dédire. Mais c’est Gebran Bassil, encore lui, qui a dépassé toutes les bornes de l’outrecuidance – et de l’imp(r)udence ! – en reprochant insidieusement au général de piquer dans la caisse : belle démonstration de culot, en vérité, que celle-ci, émanant en effet d’un homme accusé d’avoir gaspillé des dizaines de milliards de dollars dans le désertique domaine de l’Énergie, et de surcroît frappé d’infâmantes sanctions américaines.


Que veut-on, à chacun les étoiles qui vont avec …


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Que les chrétiens aient voix à ce chapitre ultrasensible qu’est devenue, de manière quasi endémique, toute élection d’un président libanais, est bien le moins qu’on puisse dire. Après tout, notre pays est le seul de tout le monde arabe où la magistrature suprême de l’État est dévolue à cette communauté, et plus précisément aux maronites. Même si le premier personnage de la...