La famille du chercheur et activiste politique Lokman Slim, farouche opposant au Hezbollah, a réclamé vendredi une mission d'enquête de l'ONU pour déterminer si son assassinat, survenu il y a deux ans, ainsi que deux autres meurtres, sont liés à l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth.
"Nous appelons le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à s'engager à mener une mission d'enquête" sur le drame du 4 août 2020, a souligné Monika Borgman, épouse de l'intellectuel chiite, au cours d'une cérémonie commémorative à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. Elle a également appelé à ce que cette mission se penche sur les assassinats de l'ancien colonel des douanes à la retraite, Mounir Abou Rjeili, tué à Kartaba, du photographe Joe Bejjani, assassiné à Kahalé en 2020, et de Lokman Slim, pour déterminer si ces meurtres sont liés au drame du 4 août 2020. "L'enquête de l'ONU ne remplacera pas l'investigation locale mais la complètera", a-t-elle affirmé, appelant les Nations unies à "s'engager à soutenir le Liban".
"Depuis deux ans, nous n'avons pas arrêté de poursuivre les criminels qui ont tué Lokman. Nous n'avons pas été intimidés. Depuis deux ans, l'enquête avance mais lentement", a ajouté Monika Borgman, soulignant la nécessité de "révéler l'identité des auteurs de l'assassinat et ceux qui leur ont assuré une couverture". "Ils ont pensé que nous aurons peur (...) mais ils ont eu tort. Nous nous engageons à ce que ton assassinat soit la fin de l'époque de l'impunité (...) qui est monnaie courante au Liban. Nous nous engageons à prendre tous les chemins, à consulter toutes les instances judiciaires, et à continuer à défendre ta cause, même si cela durera un siècle, bien que nous sachions que cela ne prendra pas tellement de temps", a-t-elle renchéri.
Interrogée par le journaliste de L'Orient Today sur place Richard Salamé, Mme Borgman a estimé que "même si les trois meurtres ne sont pas liés à l'explosion au port de Beyrouth, l'investigation doit se poursuivre". Selon elle, "l'entretien que Lokman a donné en janvier 2021 a joué un rôle dans son assassinat". Un mois avant son meurtre, l'activiste évoquait sur la chaîne saoudienne al-Hadath une implication du Hezbollah dans l’importation du nitrate d’ammonium à l’origine de la double explosion au port de Beyrouth, survenue quelques mois plus tôt.
Même combat
La veuve a aussi affirmé à notre journaliste que le premier juge d’instruction de Beyrouth, Charbel Abou Samra, "tient toujours des audiences mensuelles". Elle a par ailleurs affirmé avoir proposé l'idée d'une enquête menée par l'ONU à des proches des victimes du 4 août 2020 qui étaient en faveur de son initiative. "J'ai été à Washington avec l'une des proches des victimes et elle était ouverte à cette idée", a ajouté Monika Borgman. "Dès la semaine prochaine, je vais œuvrer en ce sens. Nous menons tous le même combat, a-t-elle enfin noté.
Selon notre journaliste, au moins neuf ambassadeurs de pays occidentaux et scandinaves étaient présents à la cérémonie, où près de 40 invités étaient conviés, et des forces de sécurité étaient fortement déployées. L'ambassadrice de France au Liban Anne Grillo, en déplacement à Paris, n'était pas présente à la commémoration, mais a délégué un représentant.
De son côté, l'ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, présente à la cérémonie, a exprimé son "rejet de l'impunité pour ceux qui perpètrent de tels actes meurtriers et renouvelé son "appel à la justice".
La journaliste Marie-Jo Sader récompensée
Rasha el-Ameer, sœur de Lokman Slim, a par la suite honoré plusieurs personnalités. Parmi celles-ci, Marie-Jo Sader, ancienne journaliste à L'Orient-Le Jour, qui a été récompensée pour son enquête sur les circonstances de l'assassinat de Lokman Slim, la journaliste et vedette télé Dima Sadek, l'artiste Alfred Tarazi, et enfin le cheikh Abbas Yazbeck, un opposant au Hezbollah.
Lokman Slim avait été enlevé en février 2021 en sortant du domicile de son ami l'écrivain Mohammad el-Amine à Niha (Liban-Sud). Il a été abattu de six balles une trentaine de kilomètres plus loin, à Addoussiyé (Zahrani, Liban-Sud), près de l’autoroute Saïda-Tyr. Quatorze mois avant son assassinat, ce fervent défenseur des droits de l’homme avait reçu des menaces de mort placardées à l’entrée de sa résidence, située à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth et avait appelé l’armée à le protéger contre tout mal qui lui arriverait, et dont il a imputé d’avance la responsabilité au secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, et au chef du mouvement Amal Nabih Berry.
Jeudi, des rapporteurs spéciaux de l'ONU ont critiqué "la lenteur des progrès" de l'enquête locale sur l'assassinat. De son côté, Amnesty International a estimé vendredi que "Lokman Slim est victime d'une impunité qui sévit depuis des décennies au Liban", ajoutant que "les efforts superficiels déployés par les autorités libanaises pour retrouver ses assassins en sont une preuve supplémentaire". L'ONG a appelé les autorités libanaises à mener une enquête "efficace, transparente, impartiale et indépendante".
Lokman fût lâchement assassiné dans la zone de la force internationale, il portait si sincèrement dans son coeur, dans son sang et dans ses convictions ce message qu'est le Liban, que seul un tribunal international aurait le devoir d'éclaircir les conditions de son assassinat et de dévoiler ses meurtriers et leurs commanditaires.
19 h 23, le 03 février 2023