Critiques littéraires Critique

Les politiques d’embargos et de sanctions au Moyen-Orient depuis 1948 sont-elles "efficaces"?

Les politiques d’embargos et de sanctions au Moyen-Orient depuis 1948 sont-elles

D.R.

Les interrogations quant aux maux qui sévissent au Moyen-Orient sont légitimes tant l’instabilité y est ancrée. Tenter d’en identifier les racines est indispensable. Les États de cette région souffrent de malformation congénitale… Difficulté de fonder des États-nations, multiconfessionnalisme, société clanique, clientélisme, instabilité régionale, interventions étrangères, etc., sont autant de facteurs qui peuvent expliquer cet état de fait. Les facteurs socio-économiques aggravent aussi cette situation. Sans oublier – et n’en déplaise à certains – la création de l’État d’Israël en terre arabe qui a amplifié la précarité des États arabes naissants. Ces dernières décennies, la région a été la cible mais également la victime de nombreuses sanctions qui l’ont asphyxiée et dont l’impact sur les populations se révèle désastreux.

Guerres silencieuses. Embargos et blocus au Moyen-Orient de 1948 à nos jours est une réflexion sur lesdites sanctions. Carole André-Dessornes est l’auteure de cet ouvrage qui vient de paraître et dont le thème mérite une attention particulière. Il s’agit en l’espèce d’évaluer l’efficacité des politiques d’embargos et de blocus mises en œuvre au Moyen-Orient, mais aussi de les répertorier en les explicitant.

D’abord, et pour commencer, il y a la mise en contexte historique indispensable à laquelle s’attache l’auteure. Elle fait remonter les origines du blocus au siège de Troie et n’oublie pas de mentionner le rôle des sièges dans l’affaiblissement de l’Empire ottoman. Et d’ajouter que c’est avec la naissance de l’État d’Israël que va « ressurgir dans la région l’arme des pressions et sanctions politiques, commerciales, financières et autres »… Ce qu’elle a bien fait de souligner.

Ensuite, vient la question des types de sanctions. Une attention particulière est portée à la compréhension des différences entre embargo, siège, blocus… Des notions bien souvent mal interprétées et parfois indifférenciées. Embargo ciblé, embargo global, blocus et boycott sont tous répertoriés. Et cela constitue un arsenal de la guerre économique et financière au sens large du terme pour reprendre les mots de Carole André-Dessornes. En effet, l’auteure oppose le blocus dont les conséquences peuvent être dramatiques au boycott dont les effets sont moindres. Parmi les sanctions les plus utilisées, il y a les embargos sur les armes. Et puis il y a le cumul des sanctions à l’embargo global dont les répercussions sont dramatiques. L’ouvrage s’attarde sur l’Irak – un État allié devenu État coupable –, sur l’Iran qui subit quatre décennies de sanctions cumulées, sur le blocus de Gaza qu’impose l’État d’Israël depuis 2007 et qui est tombé dans l’oubli. À rappeler, le blocus sur Qatar imposé par ses voisins en 2017.

Concernant la problématique des rapports de force, l’auteure rappelle qu’il fut un temps où les États du Moyen-Orient avaient réussi à exercer une pression sur l’Occident par le biais de la fermeture du canal de Suez comme par l’arme du pétrole, et ce jusqu’à la fin des années soixante-dix. Mais force est de constater que la diplomatie des Américains et de leurs alliés va s’imposer au début des années quatre-vingt, une politique des sanctions sera suivie contre la Libye, l’Irak, l’Iran, Gaza, Qatar et le Yémen et là où les rapports de force entre protagonistes sont disproportionnés !

Sur les enjeux des droits humains, l’auteure met en avant la place de l’humiliation dans les sanctions : « L’humiliation est devenue une arme diplomatique de premier plan, très largement utilisée par les États-Unis. » Il existe plusieurs types d’humiliations, comme la diplomatie d’exclusion ; le cas irakien en est une illustration avec le programme « Pétrole contre nourriture ». Ainsi, l’embargo global devient « un acte de guerre, au même titre que le blocus ». En fait, ce cumul des sanctions n’a pas l’effet escompté. Il n’a pas un aspect triomphal comme l’aurait une offensive terrestre mais ses conséquences sur les populations seront catastrophiques (dégradation du système de santé, des infrastructures, inflation, crise sociale, baisse du niveau de l’éducation et renforcement du sentiment national exploité par les pouvoirs en place…) 

Enfin, la dernière partie aborde la question de l’efficacité de ces sanctions. Celles-ci s’avèrent la plupart du temps contreproductives puisque les régimes sanctionnés restent généralement en place. De plus embargos et blocus peuvent consolider le sentiment national, lâcher la bride à la corruption, mettre en place une économie parallèle, renforcer le clientélisme…

L’on comprend que les tenants et les aboutissants des blocus et des embargos qui sont appliqués au Moyen-Orient sont très compliqués à cerner et leurs efficacités non prouvées. L’on constate que les différentes sanctions n’ont pas réussi à faire plier les États en question, mais à opprimer les populations et que leur légalité est remise en question. Pour paraphraser Fidel Castro, mettre fin à un embargo, c’est clore « un système qui engendre l'injustice sur notre planète, dilapide les ressources naturelles et met en danger la survie de l'homme ».

Guerres silencieuses. Embargo et blocus au Moyen-Orient de 1948 à nos jours de Carole André-Dessornes, Geuthner, 2022, 176 p.


Les interrogations quant aux maux qui sévissent au Moyen-Orient sont légitimes tant l’instabilité y est ancrée. Tenter d’en identifier les racines est indispensable. Les États de cette région souffrent de malformation congénitale… Difficulté de fonder des États-nations, multiconfessionnalisme, société clanique, clientélisme, instabilité régionale, interventions étrangères,...

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