Après s’en être dangereusement rapproché à la fin du mois de décembre, puis de la semaine dernière, le taux de change sur le marché libre a finalement passé hier la barre des 50 000 livres libanaises pour un dollar, alors que c’est le mois prochain que la Banque du Liban pourrait intervenir sur le taux de retrait des dollars bloqués en banque. En attendant, la monnaie nationale vient donc de battre un nouveau record en franchissant un cap très symbolique dans la matinée, pour ne plus en redescendre, selon les données des plateformes informelles lirarate.org et Adde Dollar. Depuis le début de la crise en 2019, la livre a ainsi perdu 97 % de sa valeur par rapport à l’ancienne parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, avec laquelle le pays avait vécu plus de 20 ans.
Le taux a ensuite continué de grimper à un rythme irrégulier en raison des tentatives de la Banque du Liban de le juguler, ce qui s’est déroulé à 4 reprises en 2022 (mi-janvier, fin mai, mi-octobre puis fin-décembre), avec une efficacité qui s’est érodée au fil du temps. Au cours de cette dernière année, le taux a d’ailleurs successivement franchi les paliers de 30 000 et puis de 40 000 livres pour un dollar.
Une demande toujours aussi forte
Le marché étant très opaque, il est difficile de déterminer avec précision les facteurs qui ont conduit la monnaie à enregistrer une nouvelle plongée. Ce qui est en revanche certain, c’est que peu d’éléments permettent d’espérer la voir prendre le chemin inverse. La demande de dollars est toujours aussi forte dans le pays, qui importe l’essentiel de ses besoins, exporte peu et où une majorité de dépôts bancaires sont toujours unilatéralement bloqués par des banques en manque de liquidités.
Une situation à laquelle ni l’État, mal géré et en défaut de paiement sur ses obligations en dollars (les eurobonds) depuis 2020, ni la Banque du Liban ne peuvent remédier. Les réserves de devises de cette dernière sont, selon ses propres chiffres, actuellement inférieures à 10 milliards de dollars, si on exclut les 5 milliards de dollars d’eurobonds qu’elle détient et les 17,6 milliards d’or dont elle ne peut pas librement disposer.
En face, la demande de livres est abondante et la masse monétaire en circulation (les billets et les pièces) a été multipliée par plus de quatre depuis début 2020 (67 200 milliards de livres à la mi-janvier, selon la BDL). Le rôle des spéculateurs qui tentent de s’enrichir en pariant sur les fluctuations et les transactions effectuées par certaines entités – BDL et banques, selon les informations qui fuitent dans les milieux financiers – pèse également sur les variations du taux, mais dans des proportions difficiles à mesurer.
Conversions à 15 000 livres
Le passage du taux au-dessus de 50 000 livres intervient enfin entre deux interventions de la BDL : une qui vient d’avoir lieu et une qui a été annoncée en fin d’année dernière.
Le 27 décembre dernier, la BDL avait décidé d’injecter plus de dollars sur le marché en levant les plafonds de l’un de ses dispositifs aménageant les restrictions bancaires. Il s’agissait de la circulaire n° 161, qui permet aux clients des banques de convertir des livres en dollars au taux de Sayrafa, la plateforme de la BDL, dont le taux a été relevé à 38 000 livres au cours de la même journée, alors qu’il était de 31 200 le jour précédent.
La levée des plafonds de conversion a provoqué une ruée de clients venus déposer des centaines de millions de livres dans leurs banques pour les échanger contre des dollars qu’ils pouvaient récupérer quelques jours plus tard au taux bonifié de Sayrafa. La fièvre a toutefois été de courte durée, vu que la BDL a resserré les vannes dès la deuxième semaine de janvier, obligeant certains clients à récupérer tout ou une partie des livres déposées auprès de leurs banques. Soit autant de monnaie qui est retournée alimenter l’offre de livres.
Et il y a aussi l’après. Si l’on en croit l’annonce faite en novembre dernier par son gouverneur Riad Salamé, la Banque du Liban doit en principe relever dès février le taux de change utilisé par les banques pour convertir en livres et retirer les montants prélevés des comptes de dollars bloqués par les restrictions bancaires (les dollars bancaires ou lollars), selon les mécanismes autorisés par deux autres circulaires, n° 151 et n° 158.
Les taux respectis de 8 000 livres et 12 000 livres pour un dollar applicables à ces deux dispositifs devraient ainsi passer à 15 000 livres, soit autant que celui utilisé par les autorités pour calculer le budget de l’État pour 2022, et qui est aussi supposé être devenu le taux officiel. Le relèvement de ces taux peut aussi potentiellement augmenter l’offre de livres et donc pousser davantage le taux de change du marché à la hausse, à moins que la BDL ou les autorités ne prévoient des contre-mesures efficaces. Et ce même si la circulaire n° 158 permet aussi aux déposants concernés de retirer de petits montants en vrais dollars chaque mois.
Enfin, sur le marché informel des chèques bancaires que s’échangent les particuliers et entreprises contre des espèces au prix d’un escompte sur la valeur nominale du chèque, un chèque en lollars s’achetait pour environ 14 à 15 % de son montant inscrit, tandis qu’un chèque en « bira » (contraction de bank lira, soit les livres bloquées en banque) pouvait être cédé avec une décote de 88 %. Ces taux sont légèrement en hausse par rapport aux niveaux habituels, ce qu’une source financière anonyme engagée dans ce commerce attribue à une hausse de la demande de clients de banques qui cherchent à rembourser des crédits.
commentaires (1)
Objectif de la canaille de la BDL et du ministere des finances : reduire toute l'economie a du cash pour reduire l'utilisation des comptes bancaires des epargnants a zero avant de les effacer purement et simplement. Tout en maintenant les banques et leurs proprietaires dans leurs privileges. Tfeeeeeeh.
Michel Trad
11 h 04, le 20 janvier 2023