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Culture - Scènes

« J’aurais fait n’importe quoi pour attirer l'attention de mon père »

Au théâtre Monnot (dans la salle Act), Maria Douaihy, seule sur scène, livre une performance théâtrale remarquable de 50 minutes en campant le rôle d’une femme qui s’adresse à une chaise vide sur laquelle est censé être assis un homme.

« J’aurais fait n’importe quoi pour attirer l'attention de mon père »

Maria Douaihy : « Mon monologue est celui de toutes les femmes, celles qui ont souvent tendance à projeter sur l’homme leurs désirs, leurs envies... » Photos Cris Ghafary, montage Mohammad Yassine

Il était professeur de littérature française à l’Université libanaise de Tripoli, traducteur et critique au journal L’Orient Littéraire, grand écrivain et l’un des plus brillants intellectuels libanais. Elle est actrice, formée d’abord à l’Institut des études scéniques et audiovisuelles (Iesav) de l’Université Saint-Joseph (USJ), puis à l’école théâtrale de Roger Assaf, mais aussi auteure, interprète et chanteuse. On le perçoit à la même limpidité du bleu des yeux, au verbe franc, à la tenue et la maîtrise du texte : ils sont père et fille. Maria Douaihy, qui se produit seule sur la scène libanaise dans Ekher Prova (« Dernière répétition »), raconte son parcours théâtral et surtout comment c’est d’« être la fille de Jabbour Douaihy ».

Maria Douaihy : « Mon monologue est celui de toutes les femmes, celles qui ont souvent tendance à projeter sur l’homme leurs désirs, leurs envies et leurs besoins. » Photo Chris Ghafary

Briser le quatrième mur

D’aucuns pourraient croire que faire parler un homme qui n’existe pas est une façon de dénoncer les hommes pour leur absence, leur égoïsme et leur lâcheté. « Il n’en est rien, explique Maria Douaihy. Mon monologue est celui de toutes les femmes, celles qui ont souvent tendance à projeter sur l’homme leurs désirs, leurs envies et leurs besoins. On crée et on façonne un homme de toutes pièces comme on aimerait qu’il soit, on omet de penser à ses besoins, on le figure comme le prince charmant dont on attend quelque chose. »

Manipulé, l’homme attend en retour mais, contrairement aux femmes, se terre dans un silence qui ne fera que détruire la relation. Tout cela, ajoute l’actrice, est aussi dû au manque de communication au sein d’un couple. D’ailleurs, lorsque l’homme auquel l’actrice s’adresse quitte métaphoriquement la scène par le biais de la voix de l’acteur Badih Abou Chacra, il dit : « Je suis parti et tu ne t’en es même pas rendu compte. » Alors comment cette femme peut-elle aspirer à l’amour lorsqu’elle est tellement fixée sur sa personne ? Dans cette performance théâtrale, Maria Douaihy n’hésite pas à se déchaîner, à exploser, à se déshabiller, à prendre le public à témoin et à briser le quatrième mur. À déposer sa robe sur le siège comme pour se défaire de sa persona, la prendre dans ses bras et puis la jeter à terre et la piétiner. « Elle est, dira Maria Douaihy, l’actrice déchue. » Et de préciser : « Briser le quatrième mur fait partie de la dramaturgie du texte et du désir de faire du public un protagoniste. Pour avoir accompli mon doctorat sur le parcours théâtral de Roger Assaf, cette méthode, c’est à lui que je la dois. Faire du théâtre non pour être célèbre mais pour être en parfaite osmose avec la structure de ma personnalité, voilà ce qui me motive. Une fois ma représentation terminée, j’attends avec impatience le retour du public. J’ai besoin de sa reconnaissance comme j’ai longtemps attendu la reconnaissance de mon père. »

La pièce s’inscrit dans le registre de la fiction, seule la partie autobiographique intervient lorsque l’actrice s’adresse au public pour lui faire un aveu. Photo Chris Ghafary

Rideaux, costumes et projecteurs à domicile

« Être la fille de Jabbour Douaihy n’était pas chose aisée, avoue l’actrice. L’évoquer sans qu’un sanglot ne s’empare de moi est encore plus difficile. Toute ma vie, j’ai admiré mon père et il m’a fallu lutter pour être à la hauteur et, souvent, je n’y arrivais pas. Mon père, grand esprit, intellectuel et passionné de livres, de mots, d’écrits et de pensées, était souvent dans les siennes, un père absent, entièrement plongé dans son monde. J’aurais fait n’importe quoi pour attirer son attention. »

Pour mémoire

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Elle enchaîne : « Ma sœur, mon frère et moi avons reçu une éducation très stricte chez les religieuses de Zghorta. Être née et avoir grandi à Zghorta (ville du Liban-Nord) n’a pas beaucoup aidé. Une société refermée sur elle-même, conservatrice et aux règles rigoureuses. Ma mère et moi étions jolies, mais lorsqu’on est jolie à Zghorta, on ne vous le dit pas. La beauté est secondaire, et il n’est pas question d’être dans l’exhibition et dans l’étalage. Et moi, petite, je ne comprenais pas pourquoi les gens me regardaient. Il a fallu découvrir seule ce que me renvoyait ce regard extérieur. Depuis, je n’ai eu de cesse de chercher le regard de l’autre, et longtemps j’ai manqué de confiance. Le théâtre est venu tout remettre en place. »

Maria Douaihy dans « Ekher Prova ». Photo Chris Ghafary

Enfant très timide qui chantait seule dans sa chambre et aimait improviser des saynètes, jamais il n’était venu à l’esprit de Maria Douaihy qu’un jour elle monterait sur scène. « Et pourtant, dit-elle, nous étions enfants lorsque mon père nous emmenait assister à des pièces de théâtre d’adultes. »

Jabbour Douaihy, lui-même membre d’une troupe de théâtre, invitait régulièrement d’autres troupes à venir jouer dans la région. « J’avais 5 ans, je ne comprenais rien au texte, nous regardions les acteurs se mouvoir sur scène, nous étions amusés par le jeu des rideaux, par les costumes. C’était pour nous le plaisir des yeux. La pièce terminée, nous emportions les costumes à la maison, nous installions les projecteurs et nous refaisions nos propres pièces. La maison s’ébranlait, le théâtre était devenu pour moi un univers très familier, et pourtant, ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai établi une connexion entre mon amour pour le théâtre et les virées avec mon père. » Au moment de choisir une carrière, elle se tourne vers l’audiovisuel, encouragée par son père, puis s’oriente vers le théâtre, au grand dam de sa mère. Après quelques performances dans les pièces de ses amis, un mariage et deux maternités viendront mettre en mode pause la carrière de Maria Douaihy. Avec son mari Fawzi Yamine, poète, docteur en lettres arabes et enseignant à l’Université libanaise, ils monteront trois pièces présentées à Zghorta. Quelques années plus tard et une bourse à sa portée, elle obtient son doctorat et décide de reprendre l’actorat. Elle participe à Cocktail maison, une comédie noire signée Walid Yazigi et mise en scène par Bruno Tabbal présentée au théâtre Monnot et à l’Institut français du Liban.

Maria Douaihy dans « Ekher Prova ». Photo Chris Ghafary

Quant à Ekher Prova, c’est un texte qu’elle confie avoir écrit d’une seule traite durant le confinement. La pièce s’inscrit dans le registre de la fiction, seule la partie autobiographique intervient lorsque l’actrice s’adresse au public pour lui faire un aveu.

La petite fille timide qui doutait de sa beauté a grandi. Elle est aujourd’hui docteure en études théâtrales, enseignante de théâtre à l’Université libanaise, auteure et actrice. Elle écrit et joue son propre texte. Avant d’entrer en scène, elle s’octroie une heure de silence et accepte le trac comme étant pour elle le meilleur moyen d’utiliser cette surcharge émotionnelle sur scène. Et une fois sur scène, le spectateur aura du mal à détacher ses yeux de cette femme qui fait honneur au théâtre, riche d’un héritage paternel et pas des moindres, celui du grand Jabbour Douaihy.

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Mise en scène de Shady Habr

Du jeudi 19 au dimanche 22 janvier.

Il était professeur de littérature française à l’Université libanaise de Tripoli, traducteur et critique au journal L’Orient Littéraire, grand écrivain et l’un des plus brillants intellectuels libanais. Elle est actrice, formée d’abord à l’Institut des études scéniques et audiovisuelles (Iesav) de l’Université Saint-Joseph (USJ), puis à l’école théâtrale de Roger...

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Cet article me donne vraiment l envie d y aller!

Danielle Khayat

07 h 26, le 20 janvier 2023

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Commentaires (1)

  • Cet article me donne vraiment l envie d y aller!

    Danielle Khayat

    07 h 26, le 20 janvier 2023

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