Brando el-Sharq (Le Brando de L’Orient), quel drôle de titre pour une comédie noire produite par les frères Sabbah, écrite et jouée par Georges Khabbaz, lancée sur la plateforme Shahid et qui rend hommage au 7e art dans toutes ses facettes.
Dans un dépôt où sont entassés des produits d’éclairage, Youssef rêve. Il rêve d’échapper à la triste monotonie de sa vie. C’est par le cinéma seulement qu’il pourra le faire. Il a déjà un scénario sous les bras qu’il partage avec une jeune employée qui rêve, elle aussi, d’être une star. Il est à la recherche d’un producteur qui donnera forme à son scénario et par conséquent en fera un film.
Hommage au 7e art
Alors que Youssef frappe aux portes des producteurs, lesquels imposeront tour à tour leurs exigences particulières, le scénario subira moult transformations. Tout d’abord dans le genre : sera-t-il un film d’action, de suspense ou d’amour ? Ensuite dans le titre qui sera vite écorché et dans le casting qui évoluera au gré des désirs des financiers. L’action de la série se déroule en 1990. Le réalisateur, campé par Georges Khabbaz, mène une vie plutôt banale et ennuyeuse avec son père. Moqué par ses amis qui ne croient pas en lui, sous-estimé par son paternel, il cherche l’évasion. C’est à bord de son imaginaire et dans cette fiction rêvée qu’il échappe à la réalité ordinaire et décevante. Dans sa tête, défilent les images de son film, qui sera également visible aux yeux des téléspectateurs. L’époque dans laquelle il imagine le récit remonte aux années 30. D’où un parallélisme dans le décor, les costumes et les comportements.
Mais ce simple récit ouvre des portes à des dimensions nouvelles. Le téléspectateur réalise qu’au fil de ses recherches, le réalisateur se découvre en découvrant également ce père qui lui était étranger auparavant. Il découvre par ailleurs le sens de l’amitié et d’autres valeurs qui colorent joliment la vie. Ce film lui permettra-t-il de se retrouver ou mènera-t-il à sa perte ? La réponse, évidemment, est à trouver en suivant les circonvolutions d’un scénario à la portée sociale et même philosophique.
Pourquoi donc ce titre de Brando el-Sharq ? Parce que l’un des producteurs à l’écran acceptera de s’y associer à condition d’engager comme acteur principal Khaled Salah, surnommé Brando ech-Charq (alors que Youssef briguait lui-même ce rôle) et parce que « Marlon Brando possède une grande symbolique à mes yeux, confie Georges Khabbaz à L’Orient-Le Jour. C’est une référence, un repère dans l’histoire du cinéma, il y a un «avant» et un «après»-Brando. » Passionné de théâtre mais aussi de cinéma, l’auteur/comédien émaille son scénario de nombreuses références. Aux acteurs d’abord, comme Brando, de Niro, Al Pacino, mais également aux cinéastes, comme à Scorsese et Coppola, entre autres piliers de l’industrie du 7e art.
Une approche nouvelle
Dans cette série, les héros ont pour noms, outre Georges Khabbaz, Amal Arafa, Camille Salamé, Talal el-Jurdi, Élie Mitri, Fouad Yammine et tant d’autres encore. Des invités spéciaux, comme Gabriel Yammine et Adel Karam, traversent certains épisodes. Ce casting solide de grandes figures du cinéma libanais a été choisi par Amine Dora et la directrice de casting Jennifer Haddad. « Un casting de rêve », renchérit Khabbaz. L’équipe aux commandes techniques n’est pas des moindres : au décor, Hussein Beydoun ; à la musique, Luca Sakr, et à la conception des costumes, Zeina Sarhan. Quant au DOP (directeur de la photographie), c’est Sofiane el-Fani (La vie d’Adèle) qui teinte l’image d’atmosphères inédites. Une petite ruche aux commandes qui concocte un admirable univers de comédie noire. On se croirait tantôt dans le monde vert et rosâtre du cinéaste Wes Anderson et tantôt dans l’absurdité acerbe de Woody Allen.
Il s’agit là du second travail cinématographique que le tandem Khabbaz/Dora signe depuis le film Ghadi. Ces deux-là se comprennent décidément à demi-mot et ont la même vision de la vie ainsi que du 7e art. « Amine Dora m’a très bien compris. Ce qui importe le plus pour lui, c’est le texte qui est comme les fondations d’une construction. Si elles sont chancelantes, le bâtiment finira par tomber », confie encore Khabbaz.
L’approche de la série est novatrice, surtout au Moyen-Orient où les séries télévisées consistent uniquement en une suite de faits filmés imposée par les techniques du petit écran. Brando el-Sharq sort de l’ordinaire. Les cadrages et les angles soignés, un jeu de caméra dynamique et un rythme rappelant parfois les films muets parachèvent l’approche cinématographique de ce film ludique, intelligent, à l’humour fin.
Le comédien/auteur ne croit pas dans ces frontières invisibles, voire montées de toutes pièces, qui séparent le cinéma populaire et le cinéma appelé d’auteur. « Comment classez-vous Singing In the Rain, Sound of Music ou The Godfather ? rétorque-t-il. Ne les considérez-vous pas comme de grandes œuvres alors qu’ elles sont destinées au grand public ? Pour moi, il suffit qu’un film soit fait avec authenticité et professionnalisme pour qu’il soit bon. »
Tout comme au théâtre, où il écrit des pièces accessibles à tous, l’auteur travaille ainsi au cinéma. Que ce soit dans l’écriture de Ghadi, ou la coécriture de Capharnaüm, ou dans son jeu dans Perfect Strangers, il a une seule ligne de conduite : le respect de son public. « Il y a des films bon marché et commerciaux qui se moquent de l’intelligence du spectateur, et d’autres nébuleux et hermétiques mais prétentieux, des films contemplatifs, qui sous-estiment également le spectateur en prétendant être meilleurs que lui. Je ne fais partie ni de cette catégorie ni de l’autre. L’intellectuel n’a pas besoin de mon savoir. Mon rôle en tant qu’artiste est de prendre ce spectateur par la main, et lui faire découvrir des choses et des émotions nouvelles. C’est ça, le rôle de l’art. Un partage avec amour car je suis convaincu que l’art éveille et élève les peuples. » Et de citer ce proverbe cher à son cœur : « Apprends à l’élève à dessiner un oiseau, il cessera de le tuer en grandissant. » « Quand tu apprends à un enfant la musique, la peinture et les autres arts, tu lui apprends à dessiner l’âme humaine », martèle Georges Khabbaz qui croit dur comme fer que « si le cerveau se trompe, le cœur, pas ». Ainsi, pour l’artiste, l’apprentissage se doit d’être plus interactif qu’informatif à tous les niveaux. En allant à la poursuite de ses rêves dans ce récit d’apparence simple qu’est Brando el-Sharq, l’artiste à l’âme d’enfant fait, au final, participer ses téléspectateurs à la construction de son film.
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