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Lifestyle - Les inoubliables

Samia Gamal, Nagwa Fouad, Fifi Abdou : l’Égypte, quand elle danse du ventre

Trois danseuses et actrices, représentantes d’époques et de styles différents, illustrent l’évolution de l’art de la danse du ventre sur grand écran. Retour sur le parcours de Samia, la pionnière, Nagwa, la modernisatrice et Fifi, la forte tête.

Samia Gamal, Nagwa Fouad, Fifi Abdou : l’Égypte, quand elle danse du ventre

De gauche à droite : Fifi Abdou, Samia Gamal et Nagwa Fouad. Photo montage « L'OLJ »

Tout semble avoir été dit sur la danse orientale et pourtant… Scrutées, analysées sous tous les angles, les vedettes qui ont fait de cet art une culture sont souvent les grandes oubliées de l’histoire… Citées rapidement dans les diverses pièces contemporaines revenant sur l’âge d’or du raqs sharqi, les femmes l’ayant mis en avant sont le plus souvent la cible de discriminations. Cette vision péjorative que le monde arabe porte aujourd’hui sur la danse orientale n’a jamais été aussi vive. Le cinéma égyptien des années 1940 et 1950, bien plus libre, était représentatif des désirs et des besoins d’évasion des Arabes de l’époque, pour beaucoup, encore sous mandat de puissances occidentales. Le réalisateur tunisien Férid Boughedir l’explique dans un documentaire sur le sujet en 2021 : « En regardant ces films qui mettaient en avant la danse orientale, le colonisé pouvait pleurer devant les mélodrames, rêver devant les comédies musicales… », mais surtout se sortir de sa situation de colonisé en observant sa culture représentée à l’écran.

Retour sur trois danseuses et actrices qui illustrent, chacune à sa façon, l’histoire de cette danse au cinéma.

Samia Gamal, « la danseuse nationale d’Égypte »

Dans le film Ali Baba et les quarante voleurs de Jacques Becker, Samia Gamal se hisse au rang de star avec son rôle de Morgiana, en 1954. L’Égyptienne marque les esprits dans une scène en particulier : vêtue d’une tenue traditionnelle rouge, elle exécute une danse du ventre devant un Fernandel ébahi.

Samia Gamal multiplie les rôles principaux avec le début des années 1940. Armand/Arab Image Foundation/Creative Commons

Samia Gamal, au travers de ses chorégraphies sur grand écran, incarne « une forme de libération, une danseuse dont on voit les jambes, le nombril. La libération du corps est gaie, heureuse. Elle disait aux femmes que ce n’était pas grave de libérer son corps, de danser », se souvient Férid Boughedir. La jeune femme, que le roi Farouk surnommait « La danseuse nationale d’Égypte », fait ses débuts auprès de Badia Massabni, alors propriétaire d’une boîte de nuit dans le centre du Caire. Celle-ci, qui a créé et mis en avant plus d’une vedette, lui propose de rejoindre sa troupe de danseuses, change son nom et l’entraîne sans relâche, consciente du potentiel de sa protégée. Badia Massabni avait vu juste : Samia Gamal se fera très vite un nom dans la capitale égyptienne. Les citadins aisés sortent discrètement le soir pour la voir danser et les touristes et autres hommes d’affaires venant du monde arabe se ruent chez « la Massabni », adresse incontournable du monde de la nuit. Ses talents de danseuse et sa forte personnalité sur scène attisent la curiosité d’une ville inconsciente de sa modernité. Si elle exulte la joie de vivre sur scène, Samia Gamal, de son vrai nom Zeinab Mahfouz, vit avec la douleur de la perte d’un père depuis plusieurs années. Ce dernier décède brusquement quand elle n’a que 12 ans. Elle se voit vite obligée de travailler en tant que couturière pour subvenir aux besoins de sa famille. Ses doutes et souffrances, elle n’en parlera jamais. Bien que cette époque fût propice à une certaine liberté artistique, il n’était pas bon de trop s’exprimer sur soi, surtout quand on est une femme. L’artiste féminine n’avait pas à donner son avis, sa personnalité ne devait se faire ressentir qu’au travers de son art car il lui fallait, avant tout, satisfaire un regard masculin encombrant et poussif. Après quelques furtives apparitions cinématographiques, Samia Gamal multiplie les rôles principaux au début des années 1940 où son nom devient synonyme de succès. La danse orientale qu’elle exerce est très différente de celle de ces consœurs de l’époque : plus physiquement éprouvante, plus techniquement exigeante et plus inspirée des styles de danses occidentales, Samia Gamal est, selon les médias régionaux, la « grande star » qui marquera l’époque la plus culturellement libérale d’Égypte.

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Avec Farid el-Attrach, elle forme un couple de cinéma mythique : une dizaine de films ensemble et une alchimie indéniable qui entraîne les foules dans les salles obscures et fait rêver la jeunesse de la région panarabe entre 1947 et 1952. Les succès commerciaux se multiplient. Ses performances confirmeront ses talents de comédienne. Malgré son souhait d’incarner des personnages plus intimes ou plus stimulants, le grand public ne demande qu’une seule chose : la voir danser. Samia Gamal quitte le devant de la scène pour se consacrer à son mariage avec l’acteur égyptien Rushdy Abaza, mais accepte de faire quelques apparitions dans des films des années 1970. Elle restera unie 17 ans à Abaza, la relation la plus longue de l’acteur. La dépendance de ce dernier à l’alcool persuade toutefois Samia Gamal de le quitter puis de demander le divorce, ce qui le pousse dans les bras d’une certaine Sabah, qu’il épousera ensuite. Comme si la star arabe était destinée à partir en silence après tant d’années de gloire, Samia Gamal s’éteint discrètement, dans une presque indifférence générale, en 1994, une décennie après s’être définitivement éloignée du circuit médiatique.

Samia Gamal au sommet de sa gloire dans « Maouad el majhoul » avec Omar Sharif. Affiche tirée des réseaux sociaux

Nagwa Fouad, la représentante du « raqs sharqi » en Occident

« La danse orientale est-elle pure? » Telle fut la première question posée à Nagwa Fouad lors d’une émission de télévision qui lui était consacrée en 2013. Retirée de cet univers depuis plusieurs années, elle répond alors n’avoir jamais entretenu de rapport ambigu avec la danse dans toute sa carrière. Cette justification, Nagwa Fouad n’avait pas eu à la donner dans le passé. Les années où les médias et les plateaux de cinéma arabes recevaient une danseuse de raqs sharqi sans la rabaisser paraissent ainsi lointaines. Après l’âge d’or qu’a connu la danse orientale au travers de la représentation cinématographique menée, entre autres, par Samia Gamal, Tahiyya Carioca ou Zeinat Olwi, une nouvelle génération de jeunes danseuses ont fait leur apparition, et avec elles, une touche supplémentaire d’audace. En Orient, l’heure est au disco mais en Égypte, les traditions artistiques parviennent à tenir bon face à une culture mondialisée. Nagwa Fouad, qui appartient à la génération de danseuses connues pour être plus « authentiques » et moins « mystiques », devient célèbre au début des années 1970 après s’être fait repérer sur son lieu de travail : une agence artistique où défilaient les diverses vedettes du cinéma égyptien de l’époque.

Nagwa Fouad. Photo tirée des réseaux sociaux

Elle se fait connaître du grand public après une apparition remarquée dans Adwaa el madina (City Lights) en 1972 auprès de grands noms du cinéma et de la musique dont Abdel Halim Hafez, Shadia et Sabah. Elle campe ensuite des rôles principaux dans plus d’une vingtaine de films en l’espace de dix ans et révolutionne le genre avec des danses jugées plus laborieuses, mais aussi plus « explicites ». Nagwa Fouad joue également un rôle, sans le savoir, dans le changement de cap de la presse tabloïd. Autrefois des magazines sages servant de spots publicitaires pour des artistes généreux, les nouvelles lignes éditoriales de cette presse s’orientent désormais vers la vie intime et privée des actrices et acteurs, et notamment celle de la native d’Alexandrie qui a su leur donner du contenu.

Nagwa Fouad en couverture du magazine « al-Chabaka », le 28 juillet 1969. Photo Creative Commons

Entre unions, séparations et scandales à la pelle, la vie de Nagwa Fouad a été scrutée et analysée sous toutes ses formes. Malgré ces tumultes, l’actrice et danseuse refuse de se plier au jeu du silence qui a pu être infligé à d’autres femmes au même moment. Mariée douze fois, elle ne cachera ni ses amours ni ses divorces, brisant les codes de la traditionnelle artiste pudique, instaurés par l’industrie jusqu’alors. Chose rare, Nagwa Fouad est également la première et l’une des seules personnalités dans le monde arabe à avoir publiquement évoqué avoir recouru à l’avortement. L’artiste a admis avoir mis un terme volontaire à de multiples grossesses en raison de son « mode de vie » qu’elle pensait non compatible avec la maternité : « Mon seul regret est de ne pas avoir été mère », confiera-t-elle toutefois en 2019.

« Al Moughamara el koubra » avec Farid Chaouki, Hassan Youssef et Nagwa Fouad. Affiche tirée des réseaux sociaux

La flamboyance du parcours de Nagwa Fouad fait d’elle la représentante du raqs sharqi en Occident jusqu’à attirer l’attention de Henry Kissinger. En 1974, l’artiste se produit devant Anouar el-Sadate qui reçoit alors le président américain Richard Nixon et son secrétaire d’État. Les rumeurs autour d’une éventuelle liaison entre la célèbre danseuse et le diplomate américain circuleront pendant plus de trois décennies : « Si je n’étais pas mariée à l’époque et s’il avait accepté de se convertir à l’islam, j’aurais pu accepter de l’épouser », avouera-t-elle dans une longue interview, après avoir longtemps nié une quelconque relation avec Kissinger. Ce dernier mentionne le nom de la danseuse dans son autobiographie, avec tout l’orientalisme et le sexisme dont a souffert le milieu de la danse orientale : « À chacune de mes visites au Caire, je m’assurais de la présence de Nagwa Fouad. Elle me fascinait, et je la considère comme l’une des plus belles choses que j’ai vues dans le monde arabe, si ce n’est la seule. »

Autrefois considérée comme une figure avant-gardiste, Nagwa Fouad semble aujourd’hui vouloir se conformer au conservatisme d’une Égypte bien moins permissive. Pour elle, il y a une « danse du ventre qui peut être respectueuse mais qui ne l’est plus ». De même, elle critique « l’érotisme » de la génération de danseuses orientales qui ont connu le succès après elle et considère comme révolu le temps où la danse du ventre était une forme d’art que l’on « observait comme un tableau. » Politiquement, elle ne souhaitera jamais s’engager. Donnera raison à Sadate comme à Sissi. Bien loin de l’âme révolutionnaire d’une Sherihan ou des combats sociétaux de Yousra, elle n’encouragera ni la révolution égyptienne ni le printemps arabe dans la région.

Fifi Abdou, la dernière des mohicanes

Pour beaucoup, elle est la dernière grande star du raqs sharqi. Fifi Abdou est plus qu’une danseuse de ventre, plus qu’une actrice, c’est une présence. On évoque ses talents, sa personnalité haute en couleur et ses performances autant que son ego surdimensionné, « à juste titre », diront certains. Dans le monde arabe et en Égypte plus spécifiquement, Fifi Abdou, née en 1953, est l’une des premières personnalités à être considérée comme une people. Ses prises de parole sont attendues et ses interviews presque analysées car son mode de vie est, depuis sa médiatisation, suivi telle une télénovela dont seul Le Caire peut en être l’épicentre. Jusqu’au point d’éclipser son art. Fifi Abdou se met à la danse durant les étincelantes seventies mais ne connaîtra réellement le succès qu’à partir de la décennie suivante, alors que les gloires de l’âge d’or du cinéma égyptien se retirent du devant de la scène sur la pointe des pieds. Elle, contrairement à toutes celles qui sont passées avant elles, connaît le sommet de sa gloire au cours d’une période moins propice à la libération du corps. Les temps ont changé et les mœurs avec. Pour une large partie du public égyptien et panarabe, les danses, chorégraphies et attitudes de Fifi Abdou sur les planches, sont choquantes. L’attitude du public arabe vis-à-vis d’elle et de ses très rares « compétitrices » atteste du repli sociétal que connaît la région dès le début des années 1980. En plus du regard désobligeant d’une partie de l’opinion, Fifi Abdou, de son vrai nom Atiyat Ibrahim, fait face à des tentatives de déstabilisation par des personnes considérant son art comme contraire aux valeurs sacrées de l’islam. Leurs efforts constants pour porter atteinte à la renommée de l’artiste et à la dépréciation de sa carrière la traîneront devant les tribunaux à maintes reprises.

Affiche d’un film avec en vedette Fifi Abdou et Mahmoud Yassine. Affiche tirée des réseaux sociaux

De toutes les polémiques, Fifi Abdou dit ne rien en faire. Peu importe les tumultes et ses déboires avec la justice, elle décide de poursuivre sa carrière malgré les menaces et les intimidations. « Je n’ai pas de concurrentes sur les scènes de danse. Certes, il existe des dizaines de danseuses, mais ce n’est pas parce qu’une fille bouge ses hanches qu’elle devient une danseuse », dit-elle sur un plateau de télévision, sans prétention aucune, en 1997. Fifi Abdou met à mal les préjugés et ouvre involontairement la voie à une nouvelle conception de la place des femmes dans le show-business moyen-oriental. Puissante et affirmée, elle sait mériter son statut d’icône et cela fera d’elle l’une des femmes les plus riches d’Égypte : 10 000 dollars la performance. Une première. Étonnamment, car Fifi Abdou a, selon certains spécialistes, une connaissance limitée en danse, ne regorgeant pas d’inventivité dans les mouvements. Sa forte personnalité déteint pourtant sur tout et lui forge une légitimité dans le milieu.

Fifi Abdou, une des premières personnalités à être considérée comme une people. Photo tirée des réseaux sociaux

À 77 ans, Fifi Abdou est toujours très présente médiatiquement. Régulièrement invitée sur les plateaux de télévision et très active sur ses réseaux sociaux, elle est souvent la cible de railleries, de moqueries sexistes et rétrogrades. Face aux critiques, elle rétorque : « Je n’ai pas de titre académique, mais j’ai un doctorat de la plus grande des universités… celle de la vie. »

Tout semble avoir été dit sur la danse orientale et pourtant… Scrutées, analysées sous tous les angles, les vedettes qui ont fait de cet art une culture sont souvent les grandes oubliées de l’histoire… Citées rapidement dans les diverses pièces contemporaines revenant sur l’âge d’or du raqs sharqi, les femmes l’ayant mis en avant sont le plus souvent la cible de...
commentaires (3)

Je crois que le parcours de Tahiya Carioca mérite une mention, sinon un article à part entière. Elle était grande dame du cinéma, comédienne de théâtre de haut niveau, syndicaliste (gréviste de la faim pour les droits des artistes) et a fini sa vie en tant que mystique. Un parcours très intéressant.

Michael

01 h 57, le 16 janvier 2023

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Commentaires (3)

  • Je crois que le parcours de Tahiya Carioca mérite une mention, sinon un article à part entière. Elle était grande dame du cinéma, comédienne de théâtre de haut niveau, syndicaliste (gréviste de la faim pour les droits des artistes) et a fini sa vie en tant que mystique. Un parcours très intéressant.

    Michael

    01 h 57, le 16 janvier 2023

  • Bravo l’OLJ. Un article très intéressant sur une belle facette de la culture orientale. Les anciens avaient plus à donner, avaient plus de confiance en eux-mêmes et étaient bien plus en contact avec leur culture millénaire que les présents d’aujourd’hui…

    Mago1

    18 h 42, le 13 janvier 2023

  • Et Tahiya Carioca ???

    LeRougeEtLeNoir

    15 h 42, le 13 janvier 2023

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