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Culture - Portrait

Alexandra Bitar, l’ombre et la lumière...

La jeune peintre, qui vient de présenter « Indulgence », sa première exposition solo à Beyrouth, envisage son art comme un outil qui lui permet de déchiffrer des territoires intérieurs inconnus, d’aller là où ça fait parfois peur, là où ça fait mal... Comme la promesse d’une thérapie.

Alexandra Bitar, l’ombre et la lumière...

Dans la peinture d’Alexandra Bitar, des monstres tendres et déglingués qui semblent danser sur les ruines de leurs traumas. Photos DR

D’entrée de jeu, elle avoue ne pas aimer les restrictions, avoir un sérieux problème avec l’autorité et les consignes, détester la notion de limites et surtout se plaire à déjouer les règles imposées et les cases dans lesquelles on essaie d’enfermer les artistes. Quand Alexandra Bitar dit tout cela, avec l’impression que la vie a du mal à la contenir ou qu’elle déborde de vie, on comprend tout d’un coup son rapport avec son art : physique, sans doute passionnel et, en tout cas, complètement viscéral. On comprend aussi, un peu mieux, sa peinture explosive, à la fois fondamentalement joueuse, débordante de formes et de couleurs, et traversée de quelque chose de ténébreux et sombre. Cette peinture-là, comme le reflet, à travers un miroir déformant, de l’Alice émerveillée qu’elle reste malgré sa trentaine qui approche, Alexandra Bitar vient de la présenter en solo, et pour la première fois, dans le cadre de l’exposition « Indulgence », au Mina Image Center, à Beyrouth, au sein d’une scénographie à travers laquelle l’artiste a dialogué avec Toutia, le binôme de créatrices d’expériences culinaires. Indulgence, comme la troisième étape d’un parcours thérapeutique, cathartique, où la peinture lui a été un salut et une promesse de guérison.

Au Mina Image Center, une scénographie à travers laquelle Alexandra Bitar a dialogué avec Toutia, le binôme de créatrices d’expériences culinaires.

Un Peter Pan au féminin

Lorsque l’on revient, avec Alexandra Bitar, vers le déclenchement ou les origines de sa pratique artistique, tout ou presque résonne comme une évidence. Une mère férue d’art qui provoque en elle un réel choc, une révélation précoce quand elle l’introduit à Goya, Picasso ou Velázquez. Des bancs de classe où la petite fille, à l’étroit dans ce monde trop académique et réglementé pour elle, préfère passer des heures à créer ses premières ébauches de BD. Sans conteste, le parcours était dessiné pour elle, et il n’y a eu aucune hésitation, aucune confusion, au moment de choisir son cursus universitaire. « Même si j’ai fait fausse route en allant vers un diplôme en publicité et graphic design à l’ALBA, je me suis naturellement dirigée vers une filière de bande dessinée dès que j’en ai eu l’occasion », raconte celle dont le souvenir d’un passage au Festival de BD d’Angoulême reste jusqu’à ce jour l’expérience la plus fondatrice et la plus marquante de son parcours. Si une certaine pression sociale, « pour un métier plus sûr », la pousse à s’égarer sur les chemins d’un diplôme en joaillerie en Allemagne, puis d’une expérience dans le domaine de la mode à Dubaï, « je savais, au fond de moi, que j’avais besoin de quelque chose de plus ludique, de plus libre que ces carrières préformatées. J’ai toujours été une version féminine de Peter Pan, je pense que l’enfant en moi est quelque chose qu’il faut préserver et protéger », concède Alexandra Bitar. Tout ce pan de son parcours laissé derrière, elle s’envole pour New York pour un master en histoire de l’art chez Christie’s.

Une peinture explosive, à la fois fondamentalement joueuse, débordante de formes et de couleurs, et traversée de quelque chose de ténébreux et sombre. Photo DR

De fil en aiguille, Alexandra Bitar est invitée à l’édition 2019 de Miami Art Basel afin de présenter des toiles à Magic City. Parallèlement, elle accumule les petits boulots, dont l’un avec la marque DVF by Diane von Furstenberg qui la commissionne pour créer des fleurs surréalistes pour sa campagne automne-hiver 2022, tout en continuant à envisager la peinture comme un outil qui lui permet de déchiffrer des territoires intérieurs inconnus, d’aller là où ça fait parfois peur, là où ça fait mal. Confinée à Beyrouth en 2020, l’inspiration lui manque, elle qui avoue « aimer sortir, pas uniquement pour le fun, mais surtout pour le théâtre social qui s’offre à moi ». Sur sa lancée, elle avoue se sentir « comme une éponge ; lorsque je me retrouve dans une pièce avec des amis ou des inconnus, je reçois leurs émotions et leurs énergies en plein cœur. Je me mets alors à associer ces sentiments et ces situations à des couleurs, c’est comme ça que j’opère ».

La série « Indulgence » d’Alexandra Bitar est formée de sept grands formats, représentant à l’acrylique, en couleurs fougueuses et en formes turbulentes, les sept péchés capitaux. Photo DR

Une thérapie artistique

Le 4 août à 18h07, Alexandra Bitar se trouve avec des amis dans l’appartement qu’elle partage avec sa sœur et sa mère. Sous ses yeux, sa mère Karine devient l’une de ces milliers de miraculés qu’une seconde, qu’un millimètre arrache à la mort. « Mon système a été complètement choqué, autant sur un plan mental que physique. J’avais du mal à regarder ma mère dans les yeux sans qu’il n’y ait un effroyable déclic en moi », se souvient-elle, la gorge nouée. Tout ce qui lui reste, ce sont ses mains qui, presque mécaniquement, se mettent à mimer les mouvements du volcan intérieur qui somnole en elle puis se réveille sans prévenir. De retour à New York en septembre 2020, elle présente « Abstinence » à travers laquelle elle raconte, à la faveur de lignes noires qui sont sa marque de fabrique, les extrêmes émotionnels, les extrêmes émotions qui la font tanguer dans tous les sens, comme une barque qui se bat pour ne pas couler.

Et si l’on restaurait le Liban comme on restaure une œuvre d’art ?

Et si l’on restaurait le Liban comme on restaure une œuvre d’art ?

Un an plus tard, elle rentre à Beyrouth et ce n’est que le travail sur sa deuxième exposition, « Functional Impairment », qui signe sa réconciliation avec son pays. « Functional Impairment », ce sont des grands formats où se déploient les monstres dont seule Alexandra Bitar a le secret, quelque part entre ombre et lumière. Ces monstres tendres et déglingués qui semblent danser sur les ruines de leurs traumas, qui ont l’air d’exhorter la vie pour conjurer la mort, « ces monstres qui sont le double de moi et ceux qui m’entourent et réussissent à fonctionner même si quelque chose est cassé, mort en eux ».Le 27 décembre 2022, Alexandra Bitar arrivait à la troisième étape de ce qu’elle décrit, avec du recul, comme sa thérapie par l’art, avec « Indulgence », présentée au Mina Image Center. « Indulgence », ce sont encore une fois sept grands formats, représentant, à l’acrylique, en couleurs fougueuses et en formes turbulentes, les sept péchés capitaux. Pour ce faire, elle fait appel à Tracy Zeidan et Rhéa Nasrallah, les deux faces de la médaille Toutia, qui réinterprètent, à travers une installation culinaire tout en entrelacs de noir – pain noir, chocolat noir, feuilles de nori – les toiles et les lignes charbonneuses d’Alexandra Bitar. En ce sens, refusant l’aspect religieux et dogmatique que l’on associe à ces péchés capitaux, l’artiste les voit comme une manière de tendre la main à sa part d’ombre. Faire la paix avec ses démons, mais aussi et surtout croire à la promesse d’une renaissance…

D’entrée de jeu, elle avoue ne pas aimer les restrictions, avoir un sérieux problème avec l’autorité et les consignes, détester la notion de limites et surtout se plaire à déjouer les règles imposées et les cases dans lesquelles on essaie d’enfermer les artistes. Quand Alexandra Bitar dit tout cela, avec l’impression que la vie a du mal à la contenir ou qu’elle déborde de...

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n'importe quoi

Abdallah Barakat

12 h 51, le 12 janvier 2023

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  • n'importe quoi

    Abdallah Barakat

    12 h 51, le 12 janvier 2023

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