
L'ex-nageuse syrienne et défenseuse des droits humains Sarah Mardini, à Berlin en décembre 2018. Photo John MACDOUGALL / AFP
Pendant trois heures et demie, elle a traversé à la nage la mer Méditerranée jusqu’à l’île grecque de Lesbos avec sa sœur Yusra Mardini et deux hommes qui savaient nager, tirant un bateau pneumatique dont le moteur était tombé en panne et sauvant ainsi la vie des 14 autres passagers venus comme eux chercher l’asile en Europe. C’était en 2015, l’acte héroïque des deux sœurs nageuses syriennes avait ému le monde entier, au point de devenir le sujet d’un film sorti en novembre 2022 sur Netflix.
Marquée à vie par cette expérience, Sarah Mardini s’engage en 2016 à Lesbos avec l’ONG Emergency Response Center International (ERCI) dans des missions de recherche et de sauvetage d’embarcations de migrants en détresse. Si cet engagement solidaire a provoqué l’admiration de beaucoup, il est aussi à l’origine d’une longue série de déboires judiciaires en Grèce qui ont mis sa vie en suspens. Ainsi, plus de quatre ans après avoir passé 106 jours en détention préventive, son procès a repris ce mardi 10 janvier devant le tribunal de Mytilène, à Lesbos, aux côtés de 23 autres humanitaires, pour répondre à des accusations d’espionnage et de fraude, deux délits pour lesquels les prévenus encourent jusqu’à huit ans de prison.Entamé en novembre 2021 avant d’être immédiatement ajourné, ce procès a finalement pu reprendre avec les plaidoyers des avocats, mais a été dans l’après-midi ajourné à ce vendredi. La présidente de la cour a précisé que seules les accusations d’« espionnage » allaient être examinées. Dans une autre enquête judiciaire n’ayant pas encore mené à une mise en examen, ils sont accusés de trafic de migrants, participation à une organisation criminelle et blanchiment d’argent, trois crimes passibles chacun de 5 à 10 ans de prison.
Un procès « grotesque »
Les défenseurs des droits humains ne s’y trompent pas. D’après un rapport du Parlement européen publié en juin 2021, c’est « la plus grande affaire de criminalisation de la solidarité en Europe ». Un procès « grotesque », selon Amnesty International, par ailleurs « miné par les vices procéduraux qui sapent le droit à un procès équitable », selon Human Rights Watch (HRW). HRW cite pêle-mêle l’absence d’une page de l’assignation à comparaître, que certains accusés n’ont même pas reçue. Ces derniers y sont par ailleurs nommés par des chiffres de 1 à 24, ne permettant pas de connaître les faits qui leur sont personnellement reprochés.
Le cauchemar a commencé en février 2018 pour Sarah Mardini et ses collègues. Convoquée par la police avec Sean Binder, bénévole allemand d’ERCI, ils voient leurs téléphones et ordinateurs saisis et repartent quelque peu incrédules après deux jours de garde à vue. « À l’époque, ils ont pris ça à la légère », se souvient Madi Williamson, membre de la campagne Free Humanitarians créée par des proches des prévenus. C’était pourtant le début de ce que cette infirmière engagée dans l’humanitaire qualifie de « harcèlement judiciaire » utilisé par les autorités grecques pour « dissuader » tout soutien aux personnes migrantes aux frontières de l’Europe.Quelques mois plus tard, Sarah Mardini, alors âgée de 23 ans, doit s’envoler de Lesbos vers l’Allemagne pour poursuivre ses études au Bard College de Berlin, lorsqu’elle est arrêtée et placée cette fois en détention provisoire. Soudain, tout bascule. Récipiendaire avec sa sœur du prix « Héros méconnus » des Bambi Awards en Allemagne où elles ont obtenu leur statut de réfugiées, Sarah Mardini est mise en examen en Grèce pour cinq chefs d’accusation graves, de l’espionnage à l’appartenance à une organisation criminelle faisant du trafic de migrants. Venu lui rendre visite en détention, Sean Binder est lui aussi écroué. Puis viennent le tour de Nassos Karakitsos, employé grec d’ERCI, et de Panos Moraitis, fondateur de l’ONG en 2015.
Une semaine après leur arrestation, la police grecque publie un communiqué affirmant qu’ils font partie d’un « réseau organisé de trafic de migrants » composé de six citoyens grecs et de 24 étrangers membres de différentes organisations. Peu après, ERCI, qui offrait aussi des soins de santé et des activités d’éducation aux migrants à Lesbos, cesse ses opérations.
Les quatre humanitaires passeront plus de 100 jours derrière les barreaux avant d’être libérés sous caution. L’héroïne syrienne passe deux mois à l’isolement et, à sa sortie de prison, subit de nombreuses menaces de mort. Ironie de l’histoire, « ils avaient été placés en détention provisoire par crainte qu’ils n’assistent pas à leur procès. Or, quand il a finalement été annoncé pour le 18 novembre 2021, après son retour en Allemagne, Sarah s’est vu refuser la possibilité de revenir en Grèce pour y assister, sous prétexte qu’elle représentait une menace à la sécurité nationale ! » déplore Madi Williamson. La jeune Syrienne n’a pas non plus pu se rendre au tribunal de Mytilène pour se défendre ce 10 janvier.
Accusations contraires au droit grec
Or, les bases sur lesquelles repose l’accusation sont au mieux friables, au pire contraires aux lois grecques, selon HRW, qui appelle la justice à acquitter les prévenus. Ainsi, l’accusation de trafic de migrants repose sur la loi 4251 votée en 2014 ; or, l’article 2 de cette loi exclut les personnes assistant les demandeurs d’asile et les personnes en détresse de toute poursuite pénale. Par ailleurs, Sarah Mardini et Sean Binder sont accusés d’avoir facilité à 11 reprises le passage de migrants vers la Grèce. Or, le bénévole allemand étudiait à Londres à au moins six de ces occasions, à l’instar de l’ex-nageuse syrienne qui poursuivait ses études au Bard College de Berlin. À ces incongruités s’ajoutent les accusations d’espionnage qui, rappelle Madi Williamson, « tiennent au fait que les humanitaires échangeaient sur WhatsApp, une plateforme de messagerie cryptée ».
Lors de l’ouverture du procès en novembre, Mary Lawlor, rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains de l’ONU, alertait que si les accusés étaient déclarés coupables, cela créerait « un dangereux précédent ». Entre-temps, les affaires judiciaires visant des travailleurs humanitaires se sont multipliées en Grèce, accusée de refoulement illégal de migrants par de nombreux ONG, médias et institutions européennes. Madi Williamson fait elle aussi partie d’un groupe de dix travailleurs humanitaires poursuivis par la justice grecque depuis juillet 2021 : « De quoi en faire douter plus d’un : vais-je continuer à faire mon travail, sachant que je peux être arrêtée et mise en examen, même si je n’ai rien fait de mal ? » Au-delà de la République hellénique, 180 personnes engagées dans 13 différentes ONG font actuellement face à des poursuites judiciaires à travers l’Europe, rappelle Free Humanitarians.
Pendant trois heures et demie, elle a traversé à la nage la mer Méditerranée jusqu’à l’île grecque de Lesbos avec sa sœur Yusra Mardini et deux hommes qui savaient nager, tirant un bateau pneumatique dont le moteur était tombé en panne et sauvant ainsi la vie des 14 autres passagers venus comme eux chercher l’asile en Europe. C’était en 2015, l’acte héroïque des deux sœurs...
commentaires (6)
ONG, passeurs,tout un réseau mafieux qui s’alimente de la chair des migrants ! C’est un business gagnant /gagnant : ils plument les candidats au départ et touchent des sommes considérables de différents états.
Citoyen Lambda
16 h 25, le 11 janvier 2023