Rechercher
Rechercher

Société - Méditerranée orientale

La migration clandestine se confirme malgré les naufrages meurtriers de 2022

Le nombre de passagers ayant pris la mer vers l’Europe sur des embarcations de fortune en 2022 a augmenté de 176 % par rapport à la même période en 2021, estime le HCR. Et les candidats ne manqueront pas en 2023, selon plusieurs sources. 

La migration clandestine se confirme malgré les naufrages meurtriers de 2022

Un bateau de migrants clandestins intercepté par l’armée libanaise le 31 décembre 2022, au large de Selaata, au Liban-Nord. Photo armée libanaise

Un naufrage, un de plus, a funestement clôturé l’année 2022. Le 31 décembre, soir de la Saint-Sylvestre, l’armée libanaise et la Finul ont secouru 232 migrants clandestins au large de Selaata, au Liban-Nord. Deux personnes, une femme et un enfant, ont perdu la vie au cours de cette énième tentative de rejoindre l’Europe par la mer. « S’il vous plaît, précisez l’identité des victimes. Nous sommes inquiets pour nos proches », a écrit un internaute samedi soir sur le compte Twitter de l’armée libanaise.

Marquée par l’exacerbation de la crise économique, l’année 2022 a été témoin de nombreuses tentatives de migration illégale, dont quelques-unes qui se sont terminées de manière dramatique. En avril dernier, un bateau transportant 84 personnes avait chaviré au large de Qalamoun, près de Tripoli, après avoir été intercepté par la marine libanaise. L’opération avait rapidement tourné au cauchemar en raison de la surcharge du bateau selon l’armée, tandis que de nombreux rescapés accusent les militaires d’avoir brutalement tenté de les arrêter jusqu’à entrer en collision avec eux. Seules 45 des personnes à bord avaient pu être secourues. Six d’entre elles se sont noyées, dont un bébé. Les autres sont officiellement classées comme disparues. Face à la colère de la population locale, l’armée avait fini par dépêcher un bathyscaphe pour localiser la carcasse du bateau, mais les corps n’ont pas pu être repêchés.

L’actualité avait été secouée aussi par le naufrage d’un autre bateau, parti du Liban en septembre dernier et qui avait coulé au large de Tartous en Syrie. Cet incident avait fait plus de 100 morts, devenant par le fait même l’une des tentatives de migration les plus meurtrières en Méditerranée orientale en 2022. Sur les 150 passagers libanais, syriens et palestiniens qui se trouvaient à bord de cette embarcation, seules 20 personnes avaient pu être sauvées.

Pour mémoire

Ces Libanais prêts à tout pour fuir, quitte à en mourir

« On pensait que la migration clandestine allait diminuer après les drames de Qalamoun et Tartous. Mais, au contraire, la tendance continue de plus belle », soupire Mohammad Sablouh, avocat et militant de la société civile à Tripoli, chef-lieu du Nord qui abrite de nombreux candidats à l’immigration, en raison de la misère et du chômage. « Cette tendance pourrait aller crescendo en 2023 si la crise s’intensifie et si la livre continue de plonger face au dollar », estime cet avocat qui accuse la justice « de ne pas faire son travail » à l’encontre des passeurs, qui profitent de la misère des migrants pour leur soutirer de l’argent et les envoyer dans des embarcations de fortune, sans se soucier de leur sort. « Les seules poursuites sérieuses ont eu lieu après le drame de Tartous, qui avait énormément secoué le pays. Les autorités devraient en principe poursuivre les passeurs pour trafic d’êtres humains, une accusation considérée comme un crime par la justice libanaise », et non pour un motif plus léger comme la négligence, souligne-t-il auprès de L’Orient-Le Jour.

Prendre la mer cet été
La plupart des candidats libanais à la migration sont issus du Nord du pays et du Akkar, deux régions qui ont de tout temps souffert d’être délaissées par les autorités. Zaher Kassar, moukhtar du village de Bebnine dans le Akkar, offre un soutien humanitaire à de nombreuses familles de la région qui ont déjà tenté la traversée. « Il y a de plus en plus de Libanais qui aspirent à l’émigration clandestine, mais personne n’a de chiffres exacts sur cette tendance », nous affirme M. Kassar.

Des personnes en pleurs aux funérailles, le 24 septembre 2022, d’une victime d’un naufrage au large de la Syrie d’un bateau de migrants parti du Liban. Photo Fathi al-Masri/AFP

Selon lui, les Libanais qui embarquent pour l’Europe paient 5 000 à 6 000 dollars par famille, grâce à des liens amicaux ou de parenté avec les passeurs. Les Palestiniens et les Syriens, eux, paient 4 000 à 5 000 dollars par personne, selon le moukhtar. Ce dernier dit avoir eu vent de « la volonté de nombreuses personnes de prendre la mer cet été » pour tenter de rejoindre l’Europe. « Je ne conseille à personne de tenter cette traversée, mais je comprends ceux qui le font », lâche-t-il.

Si au départ la migration clandestine au moyen d’embarcations de fortune était prisée par les réfugiés palestiniens et syriens, de nombreux Libanais ont commencé à y recourir, au fur et à mesure de la détérioration de la situation économique et sociale du pays. En 2022, 62,2 % des candidats à l’immigration étaient des Syriens, 28 % des Libanais, et 11 % des Palestiniens, selon des chiffres fournis par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

De janvier à décembre 2022, celle-ci affirme avoir reçu des rapports concernant 51 bateaux impliqués dans des déplacements irréguliers, avec 4 334 passagers à leur bord. « Le nombre de passagers en 2022 a augmenté de 176 % par rapport à la même période en 2021 (1 570 personnes dont 186 Libanais) », précise Lisa Abou Khaled, porte-parole du HCR. La majorité de ces bateaux ont tenté de rejoindre Chypre. En 2020, le HCR a eu connaissance de 34 bateaux (comprenant 13 voyages réussis et 21 ayant échoué) impliquant 794 passagers, dont 148 Libanais.

Des chiffres obtenus auprès des Forces de sécurité intérieure (FSI) montrent que les services de sécurité ont arrêté 85 personnes, entre passeurs et migrants, entre janvier et septembre 2022. L’armée libanaise, elle, n’était pas disponible pour fournir des chiffres à notre journal.

Des migrants détenus à l’étranger

« En ce qui concerne les raisons de quitter le Liban, d’après les conversations du HCR avec les personnes qui ont été interceptées, secourues ou renvoyées au Liban, il est évident qu’il s’agit de voyages désespérés entrepris par des gens qui ne voient aucun moyen de survivre ici car la situation socio-économique ne cesse de se détériorer », indique Lisa Abou Khaled. « De nombreux candidats à l’émigration clandestine évoquent le manque d’accès aux services de base et les opportunités d’emploi limitées ou encore le fait d’avoir des proches dans les pays de destination », ajoute-t-elle.

Zaher Kassar révèle pour sa part que de nombreux Libanais qui ont tenté la traversée et qui ont échoué sont aujourd’hui emprisonnés en Grèce, en Turquie ou à Chypre et peinent à se faire rapatrier en raison d’une bureaucratie compliquée. « Une mère de famille m’a récemment demandé de l’aider à faire rapatrier son fils détenu en Grèce depuis plusieurs mois », raconte M. Kassar. « Nous avons contacté l’ambassade de Grèce à Beyrouth, sans succès. Les démarches sont compliquées au niveau de la Sûreté générale », soupire le moukhtar qui révèle par ailleurs avoir réussi à faire rapatrier un jeune homme issu de Bebnine qui était retenu en Turquie.

Si de nombreux migrants échouent à passer de l’autre côté de la Méditerranée, certains finissent tant bien que mal par y arriver, confie Zaher Kassab. « Un homme originaire du Nord m’a raconté que son fils est arrivé sain et sauf en Allemagne et que sa femme et ses sept enfants comptent le rejoindre bientôt », indique-t-il. Il ne se prive pas pour autant de dénoncer les passeurs « qui profitent de la douleur des gens pour se faire de l’argent ». Mohammad Sablouh, lui, affirme suivre le dossier de deux Libanais originaires de Mina, à Tripoli, poursuivis en Turquie pour leurs activités de passeurs.

Un naufrage, un de plus, a funestement clôturé l’année 2022. Le 31 décembre, soir de la Saint-Sylvestre, l’armée libanaise et la Finul ont secouru 232 migrants clandestins au large de Selaata, au Liban-Nord. Deux personnes, une femme et un enfant, ont perdu la vie au cours de cette énième tentative de rejoindre l’Europe par la mer. « S’il vous plaît, précisez l’identité des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut