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Monde - Témoignage

Militantes kurdes tuées : "La France a une dette de justice", estime le frère d'une victime

A l'approche des dix ans de la date anniversaire, les familles des trois militantes kurdes et le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) exhortent avec encore plus de "détermination" les autorités françaises à lever le secret défense concernant ces assassinats.

Militantes kurdes tuées :

Des manifestantes tiennent une banderole avec les portraits de femmes kurdes tuées à Paris en 2013, le 4 janvier 2023 lors d'un rassemblement dans la capitale française. Photo Emmanuel DUNAND / AFP

"C'est ici à Paris que ma soeur et ses amies ont été tuées. La France a une dette de justice envers nous", lance à l'AFP Metin Cansiz, frère d'une militante kurde assassinée à Paris le 9 janvier 2013.

Rencontré à Paris par l'AFP au centre culturel kurde plongé dans le deuil, Metin Cansiz témoigne de la douleur qui ronge sa famille depuis cette affaire jamais jugée, "sacrifiée", selon lui, sur l'autel des relations France/Turquie.

A 61 ans, visage en lame de couteau et cheveux blancs, il est particulièrement éprouvé par les derniers jours, les yeux rougis, triturant ses mains. Lui même engagé dans la cause kurde, il a fait de la prison après le coup d'Etat militaire en Turquie en 1980.

Alors qu'il réside aux Pays-Bas, Metin Cansiz est venu spécialement à Paris pour les cérémonies d'hommage de cette semaine, comme chaque année depuis dix ans. "Mais cette année, on ressent encore plus cette responsabilité et cette douleur", confie-t-il en kurde, un interprète à ses côtés.

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Dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013, trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan - Sakine Cansiz, 54 ans, l'une des fondatrices du PKK, considéré comme une organisation terroriste par Ankara comme par l'Union européenne -, Fidan Dogan, 28 ans et Leyla Saylemez, 24 ans - étaient tuées de plusieurs balles dans la tête dans l'enceinte du Centre d'information du Kurdistan (CIK) situé au 147 rue La Fayette, dans le Xe arrondissement de Paris.

Dix ans plus tard, le 23 décembre dernier, trois autres personnes - Abdurrahman Kizil, Mir Perwer, un chanteur kurde réfugié politique et Emine Kara, responsable du Mouvement des femmes kurdes en France, et ayant combattu le groupe Etat islamique en Syrie - ont été assassinés, dans le même arrondissement de la capitale.

L'auteur présumé de cette attaque, un Français, a déclaré avoir agi parce qu'il était "raciste". Une majorité des Kurdes rencontrés par l'AFP ne croient pas à cette version, dénoncent un acte "terroriste" et mettent en cause la Turquie.

Les lèvres tremblantes, M. Cansiz dit avoir replongé brutalement le 23 décembre dans le traumatisme de l'assassinat de sa soeur.

Venu le 20 décembre à Paris pour une rencontre avec les deux autres familles chez un juge d'instruction, M. Cansiz était passé au centre culturel le 21 décembre, où Emine Kara préparait les cérémonies d'hommage aux trois militantes. "Elle insistait pour que je n'aille pas seul reprendre mon train; je lui ai dit que ça irait et qu'elle fasse attention à elle; c'est comme ça qu'on s'est séparés ce jour là. Et deux jours après...", souffle-t-il.

A l'approche des dix ans de la date anniversaire, les familles des trois militantes kurdes et le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) exhortent avec encore plus de "détermination" les autorités françaises à lever le secret défense concernant ces assassinats.

"Justice sacrifiée"

Le CDK-F appelle à déclassifier "des informations détenues par les différents services du renseignement français". Le CDK-F accuse depuis des années le service de renseignement turc (MIT) et le président turc Recep Tayyip Erdogan d'être derrière cet assassinat, perpétré, selon le CDK-F, par un agent du MIT. L'enquête en France avait pointé "l'implication" de membres des services secrets turcs dans ce triple assassinat, sans désigner de commanditaires.

Pour mémoire

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Des médias turcs avaient notamment diffusé un document présenté comme un "ordre de mission" du MIT pour Omer Güney. Seul suspect, cet homme de nationalité turque, arrêté en France, est mort fin 2016 en prison quelques semaines avant la tenue de son procès, éteignant l'action publique à son encontre. Le MIT avait lui officiellement démenti toute implication en janvier 2014. Mais en mai 2019, un juge antiterroriste français a été chargé de reprendre l'enquête sur des complicités dans l'assassinat.

Metin Cansiz s'est dit "très déçu" après la dernière convocation des familles par le juge français le 20 décembre. "Le juge est confronté à des obstacles internes au-delà de la Turquie qui ne lui permettent pas d'avancer", affirme-t-il. "Pourquoi si la France n'a rien à se reprocher dans cette affaire, elle ne lève pas ce secret défense?", interpelle-t-il.

"Ma soeur vivait ici, elle était sous la protection de la France; ces trois femmes ont été assassinées ici, cela relève d'une défaillance sécuritaire provenant de la France", martèle-t-il encore. Selon lui, "cette affaire et l'exigence de justice sont sacrifiées pour ne pas nuire aux relations entre la France et la Turquie".

A 86 ans, sa mère reste plongée dans un profond chagrin. "Depuis dix ans, je n'ai jamais pu avoir une conversation normale avec elle sur le décès de ma soeur. A chaque fois, elle est en pleurs". "Nous n'avons pas fait notre deuil... Notre deuil se fera seulement une fois que les commanditaires seront jugés, une fois que la justice sera rendue".

"C'est ici à Paris que ma soeur et ses amies ont été tuées. La France a une dette de justice envers nous", lance à l'AFP Metin Cansiz, frère d'une militante kurde assassinée à Paris le 9 janvier 2013.Rencontré à Paris par l'AFP au centre culturel kurde plongé dans le deuil, Metin Cansiz témoigne de la douleur qui ronge sa famille depuis cette affaire jamais jugée, "sacrifiée", selon...

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