Dixième séance parlementaire et toujours pas de nouveau président au Liban : les députés ont encore échoué jeudi à élire un successeur à Michel Aoun, dont le mandat est arrivé à terme le 31 octobre. Aucune nouvelle séance n'a cette fois été fixée par le président de la Chambre, Nabih Berry.
Comme les semaines précédentes, M. Berry a levé la séance, à peine le décompte des voix du premier tour achevé, alors que plusieurs députés, notamment affiliés au tandem chiite Amal-Hezbollah et au Courant patriotique libre, avaient déjà déserté l'hémicycle. Ce scénario se reproduit inlassablement à l'identique depuis la première réunion parlementaire électorale organisée le 29 septembre dernier, malgré la vacance totale de l'Exécutif dans un Liban en plein effondrement.
Lors du premier tour, un total de 109 députés ont voté jeudi. Trente-huit ont accordé leurs suffrages au parlementaire de Zghorta Michel Moawad qui avait obtenu 39 voix lors de la neuvième séance. Trente-sept députés ont voté blanc, contre 39 la semaine dernière. Parmi les autres candidats ayant récolté des voix, le professeur et universitaire respecté Issam Khalifé a été plébiscité par huit députés (contre cinq la semaine dernière), l'ancien ministre Ziyad Baroud par deux parlementaires (contre un jeudi dernier). Par ailleurs, six députés se sont prononcés pour "Le nouveau Liban". Neuf bulletins sont allés pour "Le Pacte", deux pour "L'Entente". Enfin, deux bulletins ont été attribués au candidat déclaré à la présidence, l'ex-député Salah Honein, un pour Miled Bou Malhab, tous deux candidats officiellement déclarés, et un Chafic Merhi, du nom d'un ex-responsable douanier au port, en détention dans le cadre de l'enquête en cours sur l'explosion du 4 août 2022.
Trois bulletins ont enfin été annulés, dont l'un contenait le nom de Martin Luther King, figure de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis. Le nom de Sleiman Frangié, chef des Marada, qui avait été glissé dans l'urne il y a quatre semaines, n'est pas ressorti ce jeudi.
Lors du premier tour, le président doit être élu avec 86 voix, alors qu'une majorité absolue de 65 voix est requise lors des tours suivants. Depuis l'ouverture de la période électorale, aucun deuxième tour de vote n'a eu lieu, les députés du camp du Hezbollah et ses alliés se retirant de la séance à l'issue du dépouillement du premier tour, provoquant une perte systématique du quorum. À chaque nouvelle séance, le chef du Parlement Nabih Berry considère qu'il s'agit d'un premier tour, et que 86 voix sont requises pour élire un président. Une manœuvre toutefois contraire à la Constitution.
La séance de jeudi est la dernière de l'année 2022, avait annoncé le président de la Chambre le 8 décembre. Nabih Berry comptait convertir la réunion du Parlement aujourd'hui en table de dialogue afin de parvenir à un compromis sur l’élection présidentielle, mais son initiative est tombée à l'eau. En cause, la réticence des principales formations chrétiennes, les Forces libanaises comme le Courant patriotique libre s'étant montrés peu enthousiastes envers cette démarche.
"Ces chiffres ne veulent rien dire"
Interrogé sur le fait que Michel Moawad a obtenu un nombre de voix supérieur au total des bulletins blancs déposés dans l'urne, le député hezbollahi Ali Fayad a déclaré à al-Jadeed : "A mon avis, ces chiffres ne veulent rien dire... Certains partis pensent qu'il s'agit d'une phase de transition tandis que d'autres s'amusent. Ce n'est pas encore sérieux".
"Les Libanais paient le prix de l'absence d'un président, chaque jour qui passe", a déploré Michel Moawad à la sortie de la séance. "Ce qui s'est passé aujourd'hui, avec cette légèreté et ce ton de plaisanterie, montre un irrespect de la fonction politique et de la douleur des Libanais", a-t-il ajouté.
"Les forces de l'opposition doivent assumer leurs responsabilités et s'unir. Tant qu'on est dispersés, on ne peut rien faire", a également estimé le député de Zghorta. "Je vais profiter de ces trois semaines pour poursuivre mes contacts avec les forces politiques. En espérant qu'il y ait un nouveau président en début d'année", a-t-il poursuivi.
Le député du mouvement Amal, Ali Hassan Khalil, a déclaré pour sa part que le président du Parlement Nabih Berry "poursuivra ses appels à la convocation de la Chambre pour élire un président, après le Nouvel An". Il a également déclaré que son parti "n'a entendu de la part d'aucun (pays étranger) une position décisive à l'égard de l'un des candidats (à la présidence)".
"Toute idée qui n'est pas issue du Pacte national et de la coopération nuit au modèle libanais. Pourquoi M. Mikati accepte pour lui-même ce qu'il refuse à d'autres ?", a lancé de son côté le député CPL Ghassan Atallah après la séance. "On ne peut pas continuer ainsi. Il faut dialoguer", a-t-il poursuivi. Il critiquait la tenue la semaine dernière d'un conseil des ministres du gouvernement sortant, en période de vacance à la présidence.
"Les forces traditionnelles sont épuisées. On donne un spectacle désolant", a déploré Melhem Khalaf, député issu de la contestation populaire, à sa sortie du Parlement. "Malheureusement, il y a une culture de l'obstruction qui s'installe", a estimé pour sa part le député issu de la contestation populaire Ibrahim Mneimné.
Le vice-président du Parlement Élias Bou Saab a déclaré mercredi qu'"il n'y aura pas de dialogue" concernant la présidentielle avant la fin de l'année après s'être entretenu avec M. Berry. Leur réunion est intervenue alors que M. Bou Saab venait de rentrer d'une visite au Qatar, où il a rencontré plusieurs responsables.
Pendant le week-end, le commandant en chef de l'armée libanaise, le général Joseph Aoun, avait également été reçu par plusieurs responsables de haut rang à Doha. Un voyage perçu comme un "message politique selon lequel sa candidature à la présidence a le soutien du Qatar", avait déclaré un diplomate arabe à L'Orient-Le Jour.
What a sad waste of time !
23 h 44, le 15 décembre 2022