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Nos Lecteurs ont la Parole

La légitimité au Liban bafouée

Imaginez un collège électoral, le Parlement libanais, réuni impérativement et dans l’urgence pour l’élection du chef de l’État, dans une heure, quelques heures, quelques jours… puis une décision vient perturber la composition de ce collège électoral.

Pire encore : la perturbation du collège électoral parlementaire intervient, non pas avec des décisions en bloc, mais de façon saccadée, ce qui compromet le déroulement de la normalité du travail de ce collège électoral, impérativement réuni et dans l’urgence.

Jamais dans l’histoire du droit, le cœur même de la notion de légitimité n’a été aussi bafoué que dans le Liban actuel. Jamais le droit, sa philosophie, la légitimité, le principe de légalité n’ont été aussi foulés. Je ne veux pas citer une institution à laquelle j’ai appartenu durant des années et dont le souci de crédibilité constitutionnelle m’a hanté et me hante.

Annuler l’élection de candidats élus à des élections législatives peut comporter des justifications légales et techniques. Dans quel contexte ? Quelle conjoncture ? Quelle situation ? Un légaliste (et je ne dis pas juriste) me répondra : « La loi, c’est la loi. Non ! » Dans le cas spécifique où le Parlement est réuni en permanence en collège électoral pour l’élection, dans l’urgence, d’un nouveau chef de l’État, immédiatement, dans quelques heures, quelques jours, une semaine… intervenir dans une telle situation constitutionnelle pose des problèmes fondamentaux sur le sens même de la légitimité, la suprématie de la Constitution, la hiérarchie des normes et des valeurs constitutionnelles.

Il est alors normal, naturel de se poser le problème de la distinction entre « action politique politicienne » en termes de rapports de force et « droit » garant de l’intérêt général et de l’ordre public.

Perturber la légitimité d’un collège électoral réuni dans l’urgence, et même s’il s’agit d’un seul membre ou quelques membres de ce collège électoral, signifie que l’instance suprême, garante de la suprématie de la Constitution et de la légitimité inhérente à l’existence même de l’État et à l’effectivité du droit, intervient pour une finalité politicienne et non politique au sens de la « polis » d’Aristote, dans le jeu des rapports de force.

En outre, produire des décisions constitutionnelles saccadées en ce qui concerne les élections législatives, et non en bloc avec donc souci global de légitimité constante, effective et indivisible, prête à des interprétations politiciennes.

Nous ne parlons pas du contenu d’aucune décision, qui peut être justifiée sur le plan exclusivement légal et technique. C’est le cœur même de la légitimité dans le cas spécifique du Parlement libanais réuni dans l’urgence qui pose problème.

Ce qui pose problème, c’est l’institution productrice des décisions, sans boussole en ce qui concerne le temps et le droit ou temporalité ontologique du droit.

L’article 75 de la Constitution est fort clair : « La Chambre réunie pour élire le président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l’élection du chef de l’État. »

« Sans délai » signifie dans l’urgence, sans perturbation. C’est toute la philosophie de la légitimité qu’il faut désormais acculturer chez des légalistes (et non des juristes), des intellectuels sans expérience et des manipulateurs. La légitimité « n’implique pas seulement une logique légaliste (…) et engage la dimension matérielle et axiologique du droit (…) et n’est pas indépendante du principe d’effectivité » (Denis Alland et Stéphane Rials, dir., Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, éd. 2003, 1 650 p., pp. 629-633 et notre étude : « Le temps et le droit : la nature des délais constitutionnels en tant que garantie de légitimité et de sécurité juridique » (annuaire du Conseil constitutionnel, 2009-2010, pp. 445-469).

Autre fondement de la légitimité : la temporalité du droit, sa stabilité et la sécurité juridique, sans perturbations épisodiques : « Le phénomène juridique se situe dans le temps (…). Une certaine stabilité du droit est inhérente à sa fonction (…). Tout juriste est un conservateur, car il est soucieux de la sécurité et de la stabilité des rapports entre les hommes, même lorsqu’il critique l’ordre établi (…). Afin d’éviter le prolongement néfaste de situations précaires, la loi impose, pour l’accomplissement ou le déroulement des procédures, des délais destinés à en rythmer le cours » (Jean-Louis Bergel, Théorie générale du droit, Dalloz, 4e éd., 2003, 374 p., pp. 119-142).

Dans une double perspective de légitimité et de temporalité du droit, les décisions constitutionnelles relatives aux élections législatives en 2009 et 2018 avaient été publiées en bloc, sans perturbation dans la légitimité, ni risque d’ingérences politiques ou politiciennes.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Imaginez un collège électoral, le Parlement libanais, réuni impérativement et dans l’urgence pour l’élection du chef de l’État, dans une heure, quelques heures, quelques jours… puis une décision vient perturber la composition de ce collège électoral.Pire encore : la perturbation du collège électoral parlementaire intervient, non pas avec des décisions en bloc, mais de...

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