
La passation des pouvoirs entre Pierre Issa et Michel Hélou à la tête du Bloc national, le vendredi 2 décembre 2022 à Beyrouth. Photo S.K.
D’une génération à l’autre. La symbolique était tout en images ce vendredi 2 décembre au siège du Bloc national (BN) à Gemmayzé. Pierre Issa prononce ses derniers mots en tant que secrétaire général. Il occupe ce poste depuis décembre 2018. C’est lui qui a incarné le visage du « Bloc » tout au long de la révolution du 17 octobre. C’est sa voix que les Libanais ont entendue résonner sous les tentes de Azariyé. C’est lui aussi qui a dû balayer derrière la porte le 4 août 2020, lorsque les locaux du parti ont été soufflés par la double explosion au port de Beyrouth. Pierre Issa s’apprête à remettre le flambeau à un jeune visage de la politique libanaise. Michel Hélou, 33 ans, ancien directeur exécutif de L’Orient-Le Jour, accède à la gestion du parti pour un mandat de quatre ans. Il apporte avec lui un héritage familial – petit-fils de Michel Eddé et arrière-petit-fils de Michel Chiha – avec lequel il dit ne pas vouloir rompre. Il s’agira de « moderniser le discours des forces du changement » en acceptant de « se réconcilier avec l’identité libanaise ».
Pour cela, trois mots-clés sont à l’ordre du jour : « égalité », « souveraineté » et « libertés ». Reprenant les grands principes du parti centriste fondé en 1946 par Émile Eddé (État de droit, citoyenneté, laïcité, social-libéralisme), le nouveau secrétaire général entend « redonner confiance dans la chose publique ». À l’heure où « beaucoup ont perdu espoir », le grand défi sera celui de la remobilisation. « La justice sur le dossier du 4 août, celle de la réforme du secteur bancaire, toutes ces questions seront au cœur de notre projet. » Outre la « bataille pour les idées », les différentes échéances électorales – municipales en 2023 puis législatives en 2026 – ponctueront également le mandat à venir.
Les nouveaux membres élus du comité exécutif au siège du Bloc national, le vendredi 2 décembre 2022 à Beyrouth. Photo Mohammad Yassine
Né en 1989 à Genève, Michel Sélim Hélou était candidat aux côtés de Wassef Haraké sur la liste « Baabda le changement » dans la circonscription du Mont-Liban III lors du scrutin de mai 2022. Obtenant 13 201 voix – dont 5 483 pour le candidat Hélou –, la liste passe à quelques cheveux du seuil électoral lui permettant de décrocher un siège au Parlement (14 121 voix). Après avoir frôlé la victoire, le diplômé de HEC se consacre à la réorganisation des rangs en interne afin de préparer les échéances à venir. Il est élu au secrétariat général du BN le 10 novembre, au terme d’une série de consultations ayant débuté à la mi-octobre et visant à renouveler les organes du parti, dont notamment l’assemblée générale, le comité exécutif et les conseils locaux.
Nouveau chapitre
Pour les partisans et sympathisants venus assister vendredi à la cérémonie de passation, le moment est important. Il s’agit d’« un renouvellement démocratique prometteur », souligne Camille Mourani, membre élu au comité exécutif aux côtés de Salam Yamout, Hussein el-Achi, Lynn Harfouche, Léa Ghanem, Paul Saber, Abraham Helal et Naji Abou Khalil. Derrière Michel Hélou, c’est ainsi toute une génération émergente qui se revendique d’un double héritage, celui de Raymond Eddé, « amid » et chef de file d’un souverainisme à la libanaise ayant fait l’âge d’or du parti dans les années 50 et 60, et celui du 17 octobre, dont est issue la nouvelle garde. « Le Bloc national a de tout temps été progressiste. L’important est de continuer sur cette ligne et de ne pas rester figé dans les principes passés », poursuit Camille Mourani, candidat du parti en mai 2022 à Tripoli.
La séqence est l’aboutissement d’un processus de transformation entamé de longue date. Depuis 2019, un vent nouveau souffle sur la formation de la maison Eddé. En février, quelques mois avant le soulèvement du 17 octobre, l’organisation fait son grand retour sur la scène publique après des années dans l’ombre. Pour la première fois de son histoire, le parti de l’ancien président de la République – repris à sa mort par son fils Raymond Eddé puis par le neveu de ce dernier, Carlos Eddé – renonce au principe d’hérédité politique et au poste de « amid » au profit d’une direction collégiale. Les institutions modernes du parti – assemblée générale, comité exécutif, secrétariat général – sont nées. Le parti semble depuis entièrement consacré à l’écriture de ce nouveau chapitre. Et le revendique. « La bataille pour le changement se fait à travers une pratique politique moderne et l’activation du rôle de la jeunesse et de la diaspora dans la vie politique », peut-on lire sur le site du parti.
Mais; étant donné qu’aucun des quatre candidats en lice (Michel Hélou, Camille Mourani, Gistelle Semaan, Wajdi Tabet) n’est parvenu à décrocher un siège lors du scrutin législatif de mai 2022, le parti est toujours absent du Parlement. La refonte à la base et les réformes de l’intérieur suffiront-elles à changer la donne lors des prochaines échéances ? C’est tout l’enjeu des mois et années à venir.
Il ne nous reste plus qu’à souhaiter une contagion de tous les autres partis qui se gargarisent de démocratie tout en pratiquant la monarchie en conservant le pouvoir dans les mains des fils, gendres, et cousins, cousines, quand ça n’est pas un arrière arrière petit fils.
11 h 57, le 05 décembre 2022