Trois ans après une première enquête du procureur financier Ali Ibrahim sur des affaires de dilapidation et de détournement de fonds publics au sein du ministère des Télécoms et des poursuites que ce juge avait alors engagées contre trois anciens ministres – Nicolas Sehnaoui (Courant patriotique libre, 2011-2014), Boutros Harb (indépendant, proche du 14 Mars, 2014-2016) et Jamal Jarrah (courant du Futur, 2016-2018) – desquelles rien n’a jusqu’à présent abouti, le dossier reviendra au Parlement mercredi prochain à 11 heures. C’est en effet la date qu’a choisie mercredi son président Nabih Berry pour convoquer les députés à ce sujet, sur base de l’enquête de Ali Ibrahim, mais aussi des résultats peu glorieux de l’audit des comptes du ministère des Télécoms réalisé par la Cour des comptes et publié en avril dernier. Un audit attestant des dépenses du ministère à hauteur de 17 milliards de dollars entre 2010 et 2020, dont 6 de trop selon les détails du rapport, en faveur du ministère et des opérateurs de téléphonie mobile et fixe au Liban : Ogero, Alfa et Touch. De l’argent « dilapidé », qualifiait ainsi l’ancien dirigeant de Touch Wassim Mansour, en introduction d’une analyse de l’audit publiée fin août par SMEX, une organisation de défense des droits numériques basée à Beyrouth.
Contacté mercredi par notre rédaction, le ministre sortant des Télécoms Johnny Corm (Marada) a confirmé les noms susmentionnés des trois ministres visés par ces accusations de corruption, précisant toutefois ne pas avoir les détails des affaires passées en revue, l’enquête du procureur financier et l’audit de la Cour des comptes se basant sur des faits précédant sa prise de fonction à la tête de ce ministère. Néanmoins, Johnny Corm a précisé savoir que deux dossiers au moins seraient abordés par les députés, avant que ceux-ci ne décident de la formation ou non d’une commission parlementaire d’enquête, à savoir : la location « à vide par Touch pendant au moins deux ans » du bâtiment situé dans le quartier de Chiyah, dont l’avocat du propriétaire Jean Kassabian n’était pas immédiatement disponible mercredi pour un entretien, et le paiement de près de « 10 millions de dollars » par les opérateurs de téléphonie mobile libanais pour l’acquisition de la diffusion de la Coupe du monde de football en Russie de 2018 pour Télé-Liban, soit près du « double du prix » initial.
Régulières, mais rarement adressées, les allégations de corruption au sein du ministère des Télécoms, notamment le manque de transparence, l’attribution de contrats lucratifs de manière irrégulière et l’embauche illégale de fonctionnaires, ont de fait pris une nouvelle tournure depuis l’audit de la Cour des comptes, accessible au public sur son site. Dans une interview avec la chaîne du Hezbollah al-Manar, diffusée le 9 novembre, le député Hassan Fadlallah, affilié au parti chiite, avait pris les devants en annonçant que le Parlement avait commencé à prendre des mesures, à la lumière d’une réunion de la commission de l’Administration et de la Justice, afin de décider des requêtes judiciaires de renvoyer les anciens ministres des Télécommunications devant la Haute Cour chargée de juger les anciens présidents et ministres. Ce député avait ainsi souligné que le dossier des télécommunications « révèle des irrégularités majeures, de la corruption et le gaspillage de milliards de dollars ».
Trois ans plus tard…
Le Hezbollah est un habitué des remontrances faites au ministère des Télécoms. À la fin de l’été 2019, c’est un autre de ses députés, Hussein Hajj Hassan, président alors de la commission parlementaire de l’Information et des Télécoms, avait réclamé la création d’une commission parlementaire chargée d’enquêter sur l’affaire de l’achat du siège de la société Touch dans le centre-ville de Beyrouth pour la somme de 75 millions de dollars, accusant de corruption le ministre des Télécoms de l’époque Mohammad Choucair. Celui-ci, toujours président des organismes économiques au Liban, n’est pas jusqu’à présent mentionné dans la liste des noms des anciens ministres visés par les accusations qui seront scrutées la semaine prochaine par le Parlement, bien qu’il ait lui aussi été convoqué par le juge Ali Ibrahim en novembre 2019 afin d’être interrogé. Cette convocation avait suivi de peu le mouvement de contestation du 17 octobre 2019, enclenché après une décision prise en dehors de la loi de finances de 2020 par Mohammad Choucair d’appliquer une taxe d’environ 6 dollars par mois sur les appels via les applications de téléphonie mobile telles que WhatsApp ou Skype.
Tablant sur la contestation populaire inédite contre la classe dirigeante, accusée d’incompétence et de corruption, le système judiciaire avait lancé en parallèle des poursuites contre plusieurs responsables politiques et au sein des administrations. Ali Ibrahim avait en effet aussi engagé des poursuites contre Imad Kreidié, directeur général d’Ogero jusqu’à ce jour, ainsi que les directeurs des compagnies Alfa, Marwan Hayek, et Touch, Emre Gurkan, qui géraient alors ces deux réseaux de téléphonie mobile. Cependant, comme l’avait expliqué l’avocat Akram Azouri à L’Orient-Le Jour, « une jurisprudence de 1999 a confirmé que le parquet n’était pas compétent pour poursuivre directement les ministres pour des faits relevant du droit pénal. Il a en revanche le pouvoir de notifier le Parlement qui pourra de son côté engager des poursuites contre les hauts responsables concernés », ce qu’avait fait Ali Ibrahim en novembre 2019, sans qu’une suite ne soit donnée au niveau du Parlement.
Trois ans après donc, et alors que l’effondrement économique et financier du pays s’est depuis vu entériné par l’absence de réformes essentielles au redressement libanais, le Parlement a désormais en sa possession le document de 147 pages de la Cour des comptes pour enclencher une enquête approfondie sur les dépenses du ministère des Télécoms, qui aura vu défiler six ministres en dix ans, et d’un secteur longtemps considéré comme la poule aux œufs d’or du Trésor libanais, à moins qu’il ne lui ait en réalité servi de vache à traire..
commentaires (14)
LORSQUE LA CAVERNE ALIBABIQUE ETOILEE VA ENQUETER SUR LA CORRUPTION ET LES VOLS... QUELLE RIGOLADE !
LA LIBRE EXPRESSION
15 h 31, le 01 décembre 2022