« À la fin du match, tout le pays est descendu dans la rue. » Vingt-quatre années plus tard, Solmaz Sharif se souvient de ce 21 juin 1998 comme si c’était hier. Dans la foulée de la première victoire de la Team Melli en Coupe du monde, les rues de Téhéran et du reste de l’Iran deviennent jusqu’au petit matin le théâtre de scènes de liesse inédites après une performance de l’équipe nationale.
Au-delà de l’importance sportive d’un tel succès, synonyme de maintien d’Ali Daei et de ses coéquipiers dans la course aux huitièmes de finale, battre les États-Unis en mondovision sous les couleurs de la sélection iranienne revêt une symbolique toute particulière. « Les autorités religieuses ont largement utilisé cette victoire pour alimenter leur propagande, se remémore Solmaz Sharif, aujourd’hui journaliste aux États-Unis où elle a notamment fondé le centre culturel perse. Mais personne n’en avait vraiment quelque chose à faire, déjà à l’époque, de ce que racontaient les mollahs pour vanter la supériorité de la République islamique sur “l’ennemi”. Et dans le contexte actuel, la propagande du régime a encore moins d’effet sur la population, même si cela ne l’empêchera certainement pas d’instrumentaliser le résultat du match si jamais l’Iran gagne à nouveau. »
Fleurs au fusil
Ce « match retour » entre Iraniens et Américains, que la malice du tirage au sort a de nouveau replacés dans le même groupe B, ne devrait pas avoir grand-chose en commun avec son édition précédente qui s’était disputée dans le cadre du Mondial 1998 en France.
Si l’on voit mal l’ayatollah Ali Khamenei fanfaronner de la sorte : « Ce soir, le puissant et arrogant adversaire a senti le goût amer de la défaite », comme l’avait déclaré le guide suprême sur les antennes de la télévision nationale, on imagine encore moins les deux équipes entrer sous le toit du stade al-Thumana de Doha bouquets de fleurs en main.
Au terme d’une mise en scène plus ou moins préparée à l’avance, les vingt-deux acteurs avaient pénétré sur la pelouse de Gerland, à Lyon, munis de cette sympathique attention florale avant d’échanger spontanément une photo de groupe qui a marqué les esprits. Devenu le symbole de cette appellation de « match de la paix » ou de la « réconciliation » qui fut accolée à la rencontre a posteriori, ce cliché réunissant les deux effectifs s’inscrivait dans le cadre d’une détente entre Washington et Téhéran rendue possible par l’arrivée de Mohammad Khatami à la tête du gouvernement iranien une année plus tôt.
Président modéré au sein d’une administration se voulant réformiste et encline à une ouverture sur l’Occident, lui et son homologue américain Bill Clinton ont bien essayé d’enterrer provisoirement la hache de guerre avec laquelle les deux puissances n’avaient cessé de se frapper mutuellement depuis deux décennies.
Depuis la révolution islamique de 1979 et la « crise des otages » qui s’en est suivie, les relations diplomatiques entre les deux pays ont été rompues, voire par moment enterrées mille pieds sous terre. Et le drame du vol 655 d’Iran Air, abattu par un tir de missile provenant d’un croiseur américain en 1988, ou les l’attentat des tours de Khobar en Arabie saoudite en 1996, où des ressortissants américains périrent dans une opération dont l’Iran est soupçonné d’être le commanditaire, n’ont pas aidé à les faire remonter à la surface. Rapidement redevenu le « Grand Satan » d’un côté et l’un des piliers de « l’Axe du mal » de l’autre, États-Unis et Iran se rediabolisent mutuellement au tournant du millénaire, marqué par les attentats du 11-Septembre qui plongent les pensionnaires du Bureau ovale dans une hystérie collective vis-à-vis du Moyen-Orient.
Demande de bannissement
Depuis, malgré l’épisode des accords de Vienne en 2015 et les prémices d’entente sur le dossier nucléaire sous l’administration Obama, l’heure n’est plus vraiment aux rabibochages. Après le décès de Mahsa Amini et les trois mois de révolte (que ses partisans n’hésitent plus à qualifier de « révolution ») contre le régime iranien, les membres de la Team Melli sont plus que jamais sous le feu des projecteurs.
En refusant d’entonner les paroles de « l’hymne de la République islamique » il y a une semaine, en amont de leur entrée en lice contre l’Angleterre, Sardar Azmoun (qui s’est distingué par ses prises de position en faveur des manifestations) et ses partenaires se sont déjà attiré les foudres des autorités. La chaîne américaine CNN avance même que les familles des joueurs iraniens vivant en Iran auraient été la cible de « menaces d’emprisonnement et de tortures » en cas de récidive d’un tel acte de défiance.
Pour détendre encore un peu plus l’atmosphère, la Fédération américaine de football s’est permis de retoucher le drapeau iranien et d’en extraire l’inscription centrale « Il n’y a de Dieu que Dieu » ainsi que ses contours célébrant le jour de la révolution islamique. Une initiative justifiée comme un geste de « soutien aux femmes en Iran qui luttent pour les droits humains fondamentaux », a précisé l’instance américaine dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux.
La réplique de son homologue perse ne s’est pas fait attendre. En vertu de l’article 13 du règlement de la FIFA, la Fédération iranienne de football a appelé de ses vœux la suspension à effet immédiat de l’équipe américaine de toute compétition internationale pour une durée de 10 matchs pour « atteinte à la dignité » de son pays. Une énième passe d’armes révélatrice du niveau de tension actuel entre les deux chancelleries.
« Quoi qu’ils fassent, mes joueurs seront critiqués »
Un cocktail explosif qu’ont tenté de désamorcer les deux sélectionneurs : « Nous ne nous occupons pas de ce qui se passe à l’extérieur, et la seule chose que nous puissions faire, c’est de nous excuser au nom des joueurs et de l’encadrement. Nous n’avons pas pris part à cela », a assuré le sélectionneur Gregg Berhalter.
Des propos qui vont dans le sens de ceux du coach portugais de la Team Melli, Carlos Queiroz. Face à l’avalanche de critiques dont ses protégés sont devenus la cible, ce dernier essaie de jouer les paratonnerres en déclarant que « quoi qu’ils fassent, (ses) joueurs seraient critiqués ». Une déclaration faisant suite à la visite controversée de la sélection sous les dorures du palais présidentiel occupé par l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, juste avant son départ pour Doha. Autres images très commentées, celles des forces de l’ordre fêtant ostensiblement la victoire (2-0) acquise vendredi dernier contre les Gallois. Une performance que n’a pas manqué de saluer l’ayatollah Ali Khamenei sur Twitter.
« Je ne suis pas un homme politique, je suis un sportif », avait martelé Jalal Talebi, le sélectionneur iranien en poste en 1998, dans l’espoir de réduire la rencontre à venir à sa dimension sportive. Un vœu que ce Mondial qatari, où sport et politisation ont rarement fait aussi bon ménage, a rendu encore plus pieux.
Bravo aux Américains et bravo aux joueurs Iraniens qui sont presque tous du côté du peuple . Le régime honni a menacé leurs familles et a envoyé ses sbires au Qatar attaquer les véritables supporters Iraniens qui n’en peuvent de ce régime que ce peuple millénaire et instruit ne mérite pas. Amis occidentaux il faudra penser donner des armes au peuple Iranien comme aux Ukrainiens afin que celui-ci puisse se défendre contre les barbares.
12 h 23, le 30 novembre 2022