Béchara el-Khoury et Camille Chamoun ont résidé à la rue Kantari, dans le palais présidentiel du même nom ; Fouad Chehab à Zouk, au palais dit de Sarba. Son successeur Charles Helou entame sa présidence (1964-1970) à Sin el-Fil, avant d’occuper en 1969 le palais de Baabda, qui devient dès lors la résidence officielle du président de la République libanaise.
En endossant son habit de chef d’État, Charles Helou porte d’abord son choix sur une villa des années cinquante à Sin el-Fil appartenant à Georges Sfeir, le père de Salim Sfeir, PDG de Bank of Beirut et président de l’Association des banques du Liban. Pour repérer ce qui fut l’ancienne résidence présidentielle, nous avons sollicité l’aide du moukhtar des lieux Nakhlé Kahalé, mais une fois sur place, on s’aperçoit qu’un grand muret et des arbres la masquent. La bâtisse étant aujourd’hui occupée par Salim Sfeir, le service de sécurité a formellement interdit à notre photographe l’accès au jardin pour prendre des clichés. Il n’y aura donc pas de photos actuelles à montrer. Quant au bâtiment contigu à la villa, qui avait été loué à l’époque du mandat Helou pour loger les fonctionnaires et les officiers de la garde présidentielle, appartenait à Antoine Chahid Faddoul. Il est aujourd’hui à moitié démoli et envahi de buissons.
Une « icône » massacrée
Dès son accession à la présidence, Charles Helou relance les travaux de construction du palais de Baabda, dont le chantier, initié par le président Camille Chamoun, avait été interrompu par le général Fouad Chehab. La construction de l’édifice est achevée en 1969 et Charles Helou est le premier chef d’État à y résider. Dessiné par les Suisses Georges Addord et Dominique Julliard, également concepteurs du centre Starco et de la banque centrale à Hamra, le bâtiment résolument moderne est implanté sur un immense terrain, qui n’est visible que de certains points dominants de Baabda, et le visiteur qui s’y rend ne l’aperçoit que lorsqu’il y arrive. Le palais se compose de deux étages. Le premier englobe les salles de réception et le bureau du président, tandis que l’étage supérieur accueille les appartements privés. Un pavillon est consacré aux bureaux de la direction et de l’équipe du palais. « Le palais est une icône de l’architecture moderne libanaise », estime Habib Sayah, fondateur de l’Atelier de rénovation et d’architecture à Genève. Au fil des années, différents présidents font apporter des modifications, notamment sur la façade principale qui, « à l’origine, ne comportait aucune arcade », affirme le spécialiste Georges Arbid, membre fondateur et directeur de l’Arab Center for Architecture (ACA).
« Meubler le palais sans dépenser une fortune sera le mot d’ordre de la Première dame Nina Trad Helou », raconte Joe Khoury-Helou, neveu du président et l’un de ses confidents. Pour ce faire, « elle a recours au directeur général des Antiquités, l’émir Maurice Chehab, afin d’aménager le palais dans un esprit oriental, à moindre coût. De longs sièges-divans en pierre ont été réalisés, tout aussi bien à Baabda qu’au palais de Beiteddine où le couple présidentiel résidait quelque temps en été », ajoute Me Khoury-Helou. Car Charles Helou aimait particulièrement Aley où il passait ses vacances avec sa mère, son frère Antoine et ses trois sœurs, Isabelle Harfouche, Laure Khoury-Helou et Èva Serhal. Aussi, c’est à moins d’un kilomètre de distance de l’ancienne maison familiale qu’il loue la demeure de Nicolas Bustros. Isolé du monde extérieur par une vaste forêt d’acacias, de pins et de chênes géants, ce magnifique bâtiment présente une architecture typiquement libanaise avec loggias, arcades et tuiles rouges. Une annexe contemporaine servait de bureaux, tandis qu’une autre, plus ancienne, abritait le personnel chargé de l’intendance.
Journaliste, ambassadeur et ministre
Fils du pharmacien Alexandre Helou et de Marie Nahas, issue d’une famille damascène, Charles Helou est né le 25 septembre 1913 à Beyrouth. En 1929, il achève ses études secondaires avec un prix d’honneur en philosophie, avant d’obtenir, en 1934, sa licence en droit de l’Université Saint-Joseph et de s’inscrire au barreau. C’est d’ailleurs là qu’il rencontre sa future épouse, Nina Trad (1904-1989), nièce du président de la République Petro Trad (1942-1943) et deuxième avocate libanaise à s’être inscrite au barreau. « C’était une femme autoritaire, vivant en fonction de son mari et pour son bien-être. Elle pouvait être sèche et déplaisante avec un fonctionnaire qui dérangeait le président ou un médecin qui arrivait en retard », relate Me Khoury-Helou. « Lui, par contre, était introverti et casanier. Friand de lecture, il consacrait ses moments de repos à lire, mais aussi à écrire », ajoute-t-il. Charles Helou, qui a été l’un des fondateurs des Phalanges libanaises avant de se rallier au parti Destour de Béchara el-Khoury, crée avec Michel Chiha le quotidien Le Jour qu’il dirigera jusqu’en 1946. Cette année-là, il est nommé premier représentant du Liban auprès du Saint-Siège, un poste qu’il conservera jusqu’en 1949. Rappelé au Liban, il occupe plusieurs postes ministériels, d’abord sous le mandat de Béchara el-Khoury puis sous celui de Camille Chamoun. Dans l’intervalle, il est élu député de Beyrouth en 1951. En 1964, Charles Helou est porté à la présidence de la République au premier tour de scrutin par les voix de 92 députés sur les 99 que comptait la Chambre. Trois Premiers ministres se succéderont durant son mandat : Hussein Oueini, Rachid Karamé et Abdallah Yafi.
Le grand dilemme
Le nom de Charles Helou reste à jamais associé à l’accord du Caire, un document signé par Yasser Arafat et le chef de l’armée libanaise, le général Émile Boustani, qui consacre la liberté d’action de la résistance palestinienne armée au Liban. « Sous son mandat, les choses ont périclité vers trois crises », souligne le député et ancien ministre Marwan Hamadé. « Le crash de la Banque Intra, premier grand choc économique ; l’arrivée des fedayine au Liban qui a consacré le Fateh Land dans la région du Arkoub, dans le Sud Est, et qui a fini par l’accord du Caire. L’homme, fin lettré par ailleurs, s’est révélé très faible. Le deuxième bureau, instrument du président Chehab qui savait comment le contenir, alors que là, c’est le président Helou qui est devenu l’instrument du deuxième bureau. » « En revanche, enchaîne Marwan Hamadé, Charles Helou a eu la grande sagesse d’éviter au Liban d’être associé de près ou de loin à la guerre des Six-Jours (5 juin-10 juin 1967) qui opposa Israël à l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. » « Il y a eu des hauts et des bas sous son mandat, résume le député. Il a maintenu des relations bonnes et constantes avec la France et le Vatican. Le Vatican était sa "cup of tea", si l’on peut dire. » Dans ses Mémoires, Charles Helou écrit : « On m’a dit faible, indécis. C’est possible (…) À moins que ce ne soit le contraire… Que le courage ait consisté à tenir compte des réalités à prévoir et préparer leur évolution. »
Pour rendre justice à son oncle, Joe Khoury-Helou relate dans son ouvrage Charles Helou, Hamlet de l’accord du Caire – Les secrets d’un mandat présidentiel (paru en 2014, aux Presses de l’USJ) les évènements qui ont cours à cette époque en s’appuyant sur les rapports « ultrasecrets » de l’ambassadeur américain Dwight J. Porter qui ont été déclassifiés au bout de quarante ans. Et dévoile sur plus de 100 pages de fac-similé les dépêches et les récits d’entretiens du diplomate américain avec les hommes politiques libanais, la ténacité de leaders musulmans fermement propalestiniens et le rejet de l’accord par Charles Helou. Mais sans assise populaire propre, sans aide internationale et sans appui des leaders chrétiens qui lorgnaient déjà la présidentielle de 1970, le président se retrouve isolé. Il cède et signe l’accord le 3 novembre 1969. Plus tard, l’ancien président dira à son neveu qu’il n’avait pas de remords parce qu’il n’a pas eu le choix, mais qu’il regrettait de n’avoir pas démissionné en 1968. « Helou a perçu le dilemme (…) Ou bien l’État ou bien le consensus islamo-chrétien. Alternative tragique : que vaut l’État libanais sans le consensus, que vaut un consensus qui amène la “capitulation” de l’État ? » écrit à ce sujet Farès Sassine, grand érudit disparu en 2021, dans L’Orient Littéraire.
Les dernières années à Kaslik
Ayant rompu son bail de location à l’immeuble Doumani à Achrafieh où il résidait avant d’être élu président, Charles Helou se retrouve, à la fin de son mandat, sans domicile. « Son ami, cheikh Boutros el-Khoury, responsable à l’époque des banques en cessation de paiement, lui propose une villa avec un vaste terrain boisé à Kaslik. Le prix était alléchant : 200 000 LL », rapporte Me Joe Khoury-Helou, évoquant la « vie tranquille et paisible » de l’ancien président. « Tout en assurant de 1972 à 1979 la présidence de l’Association internationale des parlementaires de langue française (aujourd’hui Assemblée parlementaire de la francophonie), il recevait ses amis et souvent des membres des congrégations religieuses. Et surtout il écrivait, notamment ses Mémoires, ainsi que des pièces de théâtre, dont certaines ont été mises en scène par Alain Plisson. » Me Joe Khoury-Helou confie par ailleurs que son oncle a connu des problèmes financiers. « Malgré la pension présidentielle et bien que Nina ait vendu tous ses bijoux, il est arrivé un moment où il était très gêné. Pour le soutenir, des amis lui ont acheté une parcelle de son jardin. » Une aubaine qui lui permettra de fonder Les Restos du cœur. Charles Helou a par la suite cédé sa villa en viager. La bâtisse a été démolie après le décès du président, en 2001, et le terrain cédé à l’Université Saint-Esprit de Kaslik.
Ce bel article évoque la résidence de Fouad Chehab de Zouk en la situant à Sarba (palais "dit de Sarba"). En fait, cette résidence s'appelait "Villa Amatoury" et se situait à Zouk-Mkaël.
22 h 22, le 22 novembre 2022