
Le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, dans osn bureau fin 2021. Joseph EID / AFP
Éloigné des médias depuis plusieurs mois, le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé a répondu aux questions de la chaîne de télévision satellite al-Hurra concernant l’avenir du taux de change.
En poste depuis 1993, le haut responsable a affirmé que le Liban avait entamé le processus d’unification des taux de change réclamé notamment par le Fonds monétaire international (FMI), un processus qui doit mettre fin au système actuel dans lequel plusieurs taux coexistent depuis que la livre libanaise a commencé à s’effondrer en marge de la crise qui a éclaté en 2019.
Le marché vit en effet avec la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, devenue obsolète et devant être bientôt remplacée par un taux dix fois plus élevé ; le taux de la plateforme Sayrafa opérée par la BDL, mis à jour tous les soirs – 30 300 livres lundi ; le taux du marché fixé par les agents de change légaux et illégaux, avoisinant les 40 000 livres depuis plusieurs jours ; et enfin, les taux pour les retraits en livres des dollars bloqués par les restrictions bancaires (officieusement appelés « dollars bancaires », « dollars libanais » ou encore « lollars »), selon des mécanismes mis en place par la BDL depuis 2020. Le changement de régime de change a été amorcé de façon parcellaire après l’entrée en vigueur il y a environ une semaine du budget de l’État pour 2022.
Modification des taux de retrait
Selon une retranscription des propos du gouverneur, la première annonce concerne ces derniers dispositifs. Le gouverneur de la BDL a en effet indiqué que dès février 2023, la Banque centrale allait fixer à 15 000 livres pour un dollar les taux de retrait des circulaires principales n° 151 et n° 158, au lieu de respectivement 8000 et 12 000 livres. A noter que la première circulaire permet aux déposants subissant les restrictions sur l’accès à leurs comptes en devises d’en retirer chaque mois de petits montants (fixés par les banques) en livres au taux fixé par la BDL, et que la seconde autorise des retraits mensuels sur les mêmes comptes restreints de 400 dollars en espèces et de la somme équivalente en livres converties à un taux là aussi fixé par la BDL.
Le gouverneur a ensuite assuré que dès février 2023, les Libanais ne vivraient plus qu’avec deux taux, celui de 15 000 livres et celui de Sayrafa, dans le cadre d’un processus progressif d’unification des taux. Il n’a cependant pas expliqué comment il réussirait à aligner le taux du marché avec celui de Sayrafa, alors que la différence entre les deux atteint actuellement près de 10 000 livres. Cela suppose que la BDL, dont les réserves de devises atteignent « 10,3 milliards de dollars » selon le gouverneur, parvienne à injecter suffisamment de dollars sur le marché pour abaisser le taux, ou qu’elle ajuste artificiellement celui de Sayrafa. Le chiffre avancé ne tient pas compte des réserves d’or (plus de 15 milliards de dollars à fin octobre) ni des 5 milliards de titres de dette libanaise en devises (eurobonds) que la BDL détient.
Contrôle des capitaux
Riad Salamé a également indiqué que les circulaires mises en place par la BDL pour mitiger les effets des restrictions bancaires (la n° 151, n° 158, mais aussi la n° 150 qui consacre la pleine disponibilité des dollars « frais » par rapport aux dollars bancaires ou la n° 161 qui permet le retrait de dollars frais à partir de comptes en livres au taux de Sayrafa), seront supprimées dès que le pays sera doté d’une loi de contrôle des capitaux. « C’est ce que demande le FMI », a plaidé le gouverneur de la BDL, renvoyant la balle et la responsabilité de la décision au Parlement. « Je pense qu’aujourd’hui (la combinaison des) circulaires que nous avons mis en place permet aux déposants de retirer jusqu’à 1800 dollars frais par mois de leurs différents comptes », a-t-il encore souligné. Il s’agit du seuil maximal autorisé par le cumul des limites de retraits de chaque dispositif, peu importe le nombre de comptes que le déposant possède, selon une source bancaire que nous avons contacté.
Alors qu’il est considéré comme l’un des responsables de l’effondrement du système financier libanais, notamment pour avoir défendu un régime de parité fixe gourmand en dollars et pour ne pas avoir fait davantage pression pour réguler le secteur bancaire au début de la crise, Riad Salamé a jugé au contraire que son action avait mitigé les conséquences de la crise. Il a aussi considéré que « l’événement le plus important » qui a définitivement brisé la confiance vis-à-vis du système financier libanais et de ses institutions était le défaut de paiement sur les eurobonds décidé par le gouvernement de Hassane Diab en mars 2020. Une décision qui a, selon lui, « isolé » le Liban des marchés, avant que la pandémie de Covid-19 ne vienne aggraver la situation. Il reste que le Liban, qui accumule les déficits de sa balance des paiements depuis des années, était plutôt mal noté par les agences de notation financière bien avant que la crise n’éclate.
Croissance et al-Baraka
Parmi les autres points abordés, le gouverneur a considéré qu’il pouvait utiliser les réserves obligatoires des banques dans le cadre de ses politiques monétaires, une interprétation que la doctrine de la Banque des règlements internationaux (BRI, la Banque centrale des banques centrales) ne conteste pas, bien qu’un débat existe sur ce sujet. Il a aussi insisté sur le fait que les réserves actuelles de la BDL étaient suffisantes pour aspirer les 70 000 milliards de livres circulant sur le marché. Plus surprenant, il a assuré, en citant des statistiques de la BDL, que le Liban devrait enregistrer une croissance de 2 % en 2022, alors qu’une majorité des projections réalisées par d’autres institutions en 2022 tablent sur une contraction de l’économie. Seul l’Institut de la finance internationale (une association internationale regroupant des banques) s’est démarqué en tablant sur une croissance de 3 % portée par le tourisme.
Par ailleurs, le gouverneur a ensuite affirmé que la BDL entretenait ses réserves « via Sayrafa et d’autres méthodes », que les fonds alloués à l’office public Electricité du Liban pour financer des achats de fuel pendant 6 mois conformément à un accord récemment évoqué « ne proviendraient pas des réserves de la BDL » et que le nombre de banques qui survivraient à la restructuration du secteur à venir dépendra de la capacité de leurs actionnaires à recapitaliser.
Répondant à une question sur la mise sous tutelle de la banque al-Baraka par la Haute Autorité bancaire – qu’il dirige -, Riad Salamé a enfin indiqué que l’enseigne « manquait de liquidités et de capital » et que la décision de nommer un administrateur temporaire n’avait pas pour finalité de la mettre en faillite. Samedi, le groupe bancaire bahreïni al-Baraka a vivement critiqué la décision prise à l’encontre de sa filiale libanaise et a promis de défendre sa position en justice. Enfin, le gouverneur pas fait de commentaires sur les différentes enquêtes lancées à son encontre à l’étranger et relatives à son patrimoine, des affaires qui ont été abordées à de nombreuses reprises dans les médias, mais dont il a toujours démenti le bien-fondé.
commentaires (8)
I value every word in the last comment of Mrs Kang.
Esber
13 h 11, le 23 novembre 2022