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Lifestyle - Spectacle

Un opéra à Chatila : de jeunes Syriens ouvrent une fenêtre sur leurs rêves

Ce projet à la fois artistique et pédagogique a pu se faire grâce à une collaboration entre l’ONG locale Alsama Project, l’opéra Garsington basé au Royaume-Uni et le festival Grange, avec la Fondation de l’opéra Mascarade basée à Florence.

Un opéra à Chatila : de jeunes Syriens ouvrent une fenêtre sur leurs rêves

Maram, née à Deir ez-Zor (au centre), veut un jour participer à la reconstruction de la Syrie. Photo João Sousa

L’émotion est visible dans cette salle pleine à craquer de ce bâtiment en ruine, accompagnée d’une joyeuse ovation debout et d’une zaghrouta, des youyous de circonstance. Le groupe d’enfants qui occupe la scène est rayonnant. Normal, ils viennent de présenter le premier opéra du camp de réfugiés palestiniens de Chatila, intitulé From Dawn to Dusk. L’opéra, en fait une opérette, a été écrit, composé et joué en moins de cinq jours. La plupart des enfants, qui n’avaient jamais chanté en public avant le premier jour de répétition, ont réussi à le faire de tout leur cœur et avec une belle assurance. Le projet est une collaboration entre l’ONG locale Alsama Project, l’opéra Garsington basé au Royaume-Uni et le festival Grange, avec la Fondation de l’opéra Mascarade basée à Florence.

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Après avoir interprété un extrait des hymnes nationaux libanais et syrien, suivi de ce qu’ils ont appelé La chanson d’Alsama, certains des artistes n’ont pas manqué de remercier Karen Gillingham, directrice créative du Garsington Opera, visiblement émue, en la serrant fort. « La grande différence entre ce groupe et les enfants avec lesquels je travaille au Royaume-Uni, bien qu’ils soient merveilleux aussi, c’est que ceux-ci se sont soutenus d’une manière inconditionnelle, dit Gillingham. Je pense que c’est en partie dû au fait qu’ils ont déjà vécu tant de choses à un si jeune âge. Mais pour un metteur en scène, c’était un groupe de travail idéal. Ils étaient tellement motivés. » Créé à partir de leur propre « mémoire émotionnelle », comme la qualifie Gillingham, l’opéra s’est construit sur l’écriture, par les jeunes, de leurs propres poèmes et des compositions qui les accompagnent, avant de les transformer en chansons. « J’étais censée leur enseigner des choses, poursuit Gillingham, les larmes aux yeux. Mais c’est eux qui ont fini par m’apprendre. Ils ont tellement de leçons à nous donner. » L’un des interprètes, Hussein, 15 ans, qui étudie au centre Alsama et dans une école publique, ne semble pas nerveux, quelques instants avant le début de la représentation. « Je suis impatient de montrer notre travail », confie-t-il avec enthousiasme. Bien qu’il n’ait encore jamais assisté à un opéra et qu’il avoue ne pas connaître grand-chose à cet art, il est heureux de le découvrir en même temps que les autres. « C’est un excellent moyen pour nous d’exprimer nos sentiments. Et cela a permis à notre groupe de renforcer nos liens. Nous sommes devenus encore plus amis. » Wissal, 15 ans également et qui vit à Chatila, approuve : « Si vous êtes de mauvaise humeur, vous vous sentez mieux en exprimant vos émotions de cette manière. Et si vous êtes de bonne humeur, cela vous pousse à venir et vous sentir encore mieux. » La jeune fille aspire à devenir actrice un jour, même si, dans un avenir immédiat, elle aimerait être ambassadrice internationale de cricket. Hussein, quant à lui, écrit ses propres textes et rêve de devenir rappeur international, « comme Drake ou Travis Scott ».

Richard Taylor, le directeur musical de l’opéra, chauffe la salle. Photo João Sousa

Des fenêtres à la poésie

L’un des exercices essentiels en montant ce projet fut de demander aux enfants d’observer des fenêtres du monde entier sur la plateforme en ligne Window Swap. Puis d’écrire des poèmes, en se basant sur les souvenirs qu’ils avaient des paysages aperçus de leurs propres fenêtres lorsqu’ils vivaient encore en Syrie. La plupart des enfants sont arrivés à Chatila en 2014, en provenance de Deir ez-Zor et Raqqa, deux villes du nord-est de la Syrie qui avaient alors été prises par Daech (État islamique). Wissal a choisi de rédiger un poème inspiré de ce qu’elle voit de sa fenêtre actuelle. « Mais ce n’est pas la fenêtre de ma maison, précise-t-elle. C’est ma fenêtre émotionnelle... La fenêtre de mon âme. » Ce qu’elle voit, « ce sont trois étoiles qui représentent mon éducation, Alsama et le cricket. Et ces étoiles donnent le pouvoir à la lune de combattre l’obscurité, qui est l’ignorance dans ma société ». Son poème ainsi que ceux des autres sont interprétés tout au long du spectacle.

Le public applaudissant la représentation. Photo João Sousa

« Quand je suis arrivée au Liban il y a un an et demi, je ne savais même pas lire et écrire en arabe. Maintenant, j’écris des poèmes en anglais. Et la poésie est un autre moyen d’exprimer ses sentiments », annonce-t-elle dans un grand sourire. L’équipe créative britannique a été réunie par Maximilian Fane, président de la Fondation de l’opéra Mascarade, qui avait déjà rencontré ces élèves l’année dernière et leur faisait répéter une chanson après avoir entendu parler d’Alsama par sa mère qui travaille avec l’organisation. Fane a de grands projets pour cet opéra improvisé. Non seulement il sera présenté à l’opéra de Garsington l’été prochain, mais il est déterminé à trouver un moyen de le proposer sur l’une des scènes les plus prestigieuses du monde : le temple de Bacchus, au Festival international de Baalbeck. « La création d’un opéra avec des enfants est un moyen idéal pour eux d’exprimer leurs sentiments, mais je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une séance de thérapie », explique Mme Fane, qui insiste sur le fait que lorsque vous leur montrez qu’ils ont un rôle à jouer, ils assument cette responsabilité. Après la représentation, les enfants ont invité une femme blonde à les rejoindre sur scène. Mal à l’aise face à cette attention portée vers elle, elle s’exécute quand même.

Les participants ont écrit leurs propres paroles et composé la partition musicale. Photo João Sousa

La continuité, un facteur essentiel

Elle, c’est Meike Ziervogel, l’une des cofondatrices et actuelle directrice générale d’Alsama. Ziervogel, une écrivaine qui a sa propre maison d’édition à Londres, est venue au Liban en 2019 avec son mari pour une année sabbatique, principalement pour faire du bénévolat. Une fois l’année écoulée, elle a réalisé qu’elle ne voulait pas partir et qu’elle pouvait apporter une plus grande contribution à Chatila. C’est ainsi qu’est née Alsama, qu’elle a cofondée avec Kadria Hussein, elle-même résidente de Chatila. « Au départ, il s’agissait d’un petit centre d’autonomisation », explique Ziervogel. « Autonomisation, un peu de yoga, un peu de réflexion créative et de cricket. » Alsama est à présent un centre éducatif à part entière, non seulement pour les réfugiés syriens, mais aussi pour les Palestiniens et les Libanais qui se sont retrouvés en marge du système scolaire normal. « La plupart d’entre eux viennent chez nous complètement analphabètes. Nous avons développé notre propre programme scolaire, de sorte qu’en six ans, nous puissions rattraper les 12 années qu’ils ont perdues. » Les cours sont organisés de manière à ce que les enfants passent les examens du brevet libanais dans trois à cinq ans. Comment y parviennent-ils ?

Photo de famille pour l’équipe au complet. Photo João Sousa

« Nous enseignons 44 semaines sans interruption », explique Ziervogel, rappelant que les enfants réfugiés dans le pays ont dû faire face à une scolarité perturbée, ces deux dernières années, par la fermeture d’écoles liée au Covid-19, aux grèves des enseignants et des problèmes généraux de financement. Selon une présentation réalisée par Alsama en octobre, sur la base des statistiques de l’ONU et de Human Rights Watch, plus de la moitié des enfants syriens réfugiés au Liban âgés de 3 à 18 ans ne sont pas scolarisés. Wissal et Hussein sont tous deux entraîneurs adjoints de l’équipe de cricket d’Alsama, et la plupart des autres enfants qui participent à l’opéra jouent également dans l’équipe. Ziervogel, consciente de l’attention portée à de nombreuses ONG, tant locales qu’internationales, poursuit : « C’est pourquoi j’ai toujours dit que nous ne pouvons pas et ne voulons pas faire de promesses que nous ne sommes pas en mesure de tenir. L’essentiel, en matière d’éducation, c’est la continuité. Surtout pour ces enfants qui sont laissés pour compte.

Le camp de Chatila où a eu lieu la représentation. Photo João Sousa

Quand nous proposons quelque chose, nous nous assurons que cela va se faire et durer. » Ziervogel a initialement financé Alsama avec son propre argent et celui de son mari. Cependant, comme le projet s’est considérablement développé depuis sa création, Alsama s’est associé à des organismes quil partagent les mêmes idées, comme le Fonds Malala. « Pour le moment, nous avons deux centres, un ici à Chatila et un autre à Bourj al-Barajneh. En avril 2023, nous espérons en ouvrir un troisième. Nous avons ainsi pu donner des cours à deux fois plus d’étudiants. » L’une de ces étudiantes, Maram, née à Deir ez-Zor et star naturelle de théâtre, à en juger par sa précédente prestation, plaisante avec une amie. Elle fredonne la partie qu’elle chantait plus tôt et ne peut résister à une petite danse d’accompagnement. Lorsqu’on lui demande dans quoi elle se projette dans cinq ans, Maram répond : « Reconstruire la Syrie. Avec le cricket, la musique, la danse et l’amour. »

Cet article est paru dans L’Orient Today du 16 novembre.

L’émotion est visible dans cette salle pleine à craquer de ce bâtiment en ruine, accompagnée d’une joyeuse ovation debout et d’une zaghrouta, des youyous de circonstance. Le groupe d’enfants qui occupe la scène est rayonnant. Normal, ils viennent de présenter le premier opéra du camp de réfugiés palestiniens de Chatila, intitulé From Dawn to Dusk. L’opéra, en fait une...

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