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Monde - ÉCLAIRAGE

Soudan : la résistance par la preuve

Plus d’un an après le coup d’État ayant écarté les dirigeants civils du pouvoir, les Soudanais continuent de descendre dans la rue pour crier leur refus du régime militaire. Mais leur contestation passe aussi par la documentation de sa violence et de ses contre-vérités.

Soudan : la résistance par la preuve

Un manifestant soudanais opposé au pouvoir militaire blessé dans des affrontements avec la police, à l’occasion d’une marche organisée le 30 octobre 2022, à Khartoum. Photo AFP

« Numéro : 1849 ; date: 18 novembre 2021 ; nom : Othman Haram ben Othman ; âge : 22 ans ; raison de la mort : arrêt du cœur et des poumons des suites d’une blessure à l’arme à feu. » Depuis le coup d’État du 25 octobre 2021 qui a mis fin au processus de transition démocratique initié en 2019 après la chute du dictateur Omar el-Bachir, le comité de résistance de Khartoum documente sans relâche les violences commises par les forces armées soudanaises. « Pour toute personne blessée ou tuée, nous constituons un dossier, contenant la photo du corps et les violences subies. En parallèle, un groupe de jeunes équipés de caméras documente les violations perpétrées lors des manifestations pour tenter d’en identifier les auteurs », explique Abdallah Daber, 37 ans, membre de ce comité, clef de voûte de la révolution soudanaise.Un travail méticuleux et harassant, tandis que la répression des marches hebdomadaires contre le pouvoir militaire issu du coup a déjà fait 119 morts et des milliers de blessés, selon un comité de médecins. Le 25 octobre 2021, après l’arrestation par les forces armées du Premier ministre Abdallah Hamdok et de nombreux hauts dirigeants civils, le général Abdel Fattah al-Burhan a déclaré vouloir « corriger la trajectoire de la révolution » en décrétant l’état d’urgence, la suspension de plusieurs articles de la Constitution, la dissolution du gouvernement et l’interruption du travail du comité chargé du démantèlement de l’ancien régime. Refusant de parler de coup d’État, le général âgé de 62 ans a mis en avant la nécessité de protéger un pays miné par les divisions de sa classe politique et plongé dans le marasme économique, préférant se dépeindre en homme providentiel venu sauver la révolution.

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Documenter la violence du régime permet ainsi de démonter les arguments utilisés pour la justifier. La police avait affirmé le mois dernier, à l’occasion d’un rassemblement dénonçant le putsch perpétré un an plus tôt, que certains manifestants étaient « armés et formés à la violence ». Mais, surtout, cet archivage maintient l’espoir fragile d’une justice future : « Du meurtre aux harcèlements en passant par la tonte de cheveux, nous archivons toutes ces preuves afin de pouvoir les utiliser une fois le retour d’un gouvernement civil », poursuit Abdallah. Car si les Soudanais descendent dans la rue chaque semaine pour crier leur refus du pouvoir militaire, ils préparent aussi l’avenir démocratique du pays au travers d’un travail de documentation et d’enquête plus insidieux, mais tout aussi décisif. Leur but ? Récolter des preuves pour légitimer leurs revendications : la réforme des forces armées, la restitution des profits de hauts dirigeants militaires, notamment dans l’extraction aurifère, et la mise en place d’une justice transitionnelle.

Justifier le coup par les pénuries

Le 21 octobre 2022, la plateforme d’informations Sudan in the news a publié une enquête intitulée « Comment les militaires soudanais ont aggravé la crise du carburant pour justifier leur coup ». L’article révèle que plus de 760 attaques ont eu lieu sur des champs pétrolifères pendant la période de transition, causant la perte d’un tiers de la production et provoquant une pénurie chronique de carburant et de blé. « Selon un lanceur d’alerte du secteur pétrolier, les militaires ont volontairement négligé la sécurité des champs pétrolifères pour exacerber les pénuries de carburant, ce qui a servi de justification au coup du 25 octobre 2021 », précise Sudan in the news. « Le but de cette enquête était de montrer comment les militaires piétinent les perspectives démocratiques du Soudan tout en prétendant être attachés à la démocratie. Ils sont prêts à tout pour garder le pouvoir », explique un membre de la plateforme, qui préfère garder l’anonymat. « C’était important de publier cette enquête au moment où al-Burhan est près de signer un accord avec plusieurs représentants des Forces de la liberté et du changement (FLC), que son coup a écartés du pouvoir l’an dernier », précise-t-il.

« Pas de négociations avec les putschistes »

Car au moment où les Soudanais organisaient une marche dans Khartoum un an après le coup d’État, les détails d’un accord entre militaires et FLC venaient de fuiter, immédiatement rejeté par la rue. « Pas de négociations ni de partenariat avec les putschistes », pouvait-on entendre dans les cortèges, évoquant tant le général al-Burhan que Mohammad Hamdan Dagalo, alias Hemetti, le chef des Forces de soutien rapide (RSF), accusées d’une longue liste de crimes contre des civils, à Khartoum comme dans le reste du pays.Le refus de l’accord tient en partie à une division « générationnelle et idéologique » entre les comités de résistance et les FLC, précise le membre de Sudan in the news. Ainsi, Dania Atabani, 22 ans, membre du comité de résistance de Maamoura, affirme : « Les FLC ne nous représentent plus, elles sont prêtes à accepter tout accord pour garder leurs postes. Désormais, nous nous représentons nous-mêmes. »

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« L’accord en cours de négociation est rejeté pour trois raisons, affirme quant à elle Kholood Khair, fondatrice du groupe de réflexion Confluence Advisory ; basé à Khartoum. D’abord, al-Burhane et Hemetti demeureraient au pouvoir. Ensuite, ils auront une impunité qui les protégera de toute poursuite judiciaire. Enfin, l’armée et les RSF seraient maintenues en l’état, au lieu d’être fusionnées et réformées, pour mettre fin aux violations des droits humains. » Des violations qui font face à une indignation à deux vitesses, accroissant le besoin de documenter une répression devenue ordinaire : « Quand les militaires ont arrêté de hauts dirigeants, la communauté internationale a fait pression pour les libérer. Au même moment, de nombreux manifestants ont été arrêtés ou tués par le régime et la mobilisation n’a pas été au même niveau », rappelle Kholood Khair.

Mémoire commune

Le travail de documentation visant à révéler ces violations s’inscrit dans la ligne d’autres archives macabres, preuves que la violence d’État au Soudan n’a pas démarré le 25 octobre. Le 3 juin 2019, les RSF et les forces armées soudanaises ont commis un massacre contre des manifestants réunis dans un sit-in à Khartoum, tuant au moins 128 personnes et en blessant plusieurs centaines d’autres, selon un comité de médecins proche des manifestants. Ahmad Mahmoud, documentariste et militant, a récolté des dizaines de témoignages de victimes devant la caméra. Trois ans plus tard, son humeur est sombre. Ce travail d’archives a-t-il porté ses fruits : « Non », répond-il, laconique. Car, malgré les initiatives de militants comme Ahmad Mahmoud, la pression continue de l’association des familles de martyrs et le travail de Nabil Adib, avocat à la tête du comité chargé du dossier qui a récolté plus de 3 000 témoignages, l’enquête locale qui a été lancée n’a pas encore débouché sur l’ouverture d’un procès. Le putsch a mis un coup d’arrêt au processus de justice. Reste que les témoignages mis en ligne sur YouTube par Ahmad Mahmoud contribuent à la mémoire commune du mouvement révolutionnaire démarré en 2019. Trois années jalonnées d’épreuves, après lesquelles les jeunes engagés dans la lutte contre le pouvoir militaire ne voient pas de retour en arrière possible. « Dans son empressement à reprendre le pouvoir, le régime a échoué à comprendre que le pays avait changé, estime Kholood Khair. 70 % de la population au Soudan a moins de 30 ans et n’est pas intéressée par l’idéologie proposée par le régime. »

« Numéro : 1849 ; date: 18 novembre 2021 ; nom : Othman Haram ben Othman ; âge : 22 ans ; raison de la mort : arrêt du cœur et des poumons des suites d’une blessure à l’arme à feu. » Depuis le coup d’État du 25 octobre 2021 qui a mis fin au processus de transition démocratique initié en 2019 après la chute du dictateur Omar el-Bachir, le comité de...

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