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Moyen-Orient - Éclairage

Soudan : à quoi joue donc le général Burhane ?

L’homme fort du pays a annoncé lundi que l’armée se retirait des discussions en cours organisées par la communauté internationale visant à mettre un terme à la crise politique qui mine Khartoum depuis le coup d’État d’octobre 2021.

Soudan : à quoi joue donc le général Burhane ?

Les manifestants se rassemblant lors d’un sit-in contre le régime militaire après le dernier coup d’État et pour célébrer le 3e anniversaire des manifestations à Khartoum, le 3 juillet 2022. Mohammad Nureldin Abdallah/Reuters

Les révolutionnaires soudanais sont rodés au jeu des militaires : depuis le soulèvement de décembre 2018, depuis le renversement de l’ancien dictateur Omar el-Bachir en avril 2019, depuis la mise sur pied deux mois plus tard d’un Conseil souverain constitué de civils et de généraux chargés à l’origine d’organiser une période transitoire de trois ans vers la démocratie, jamais ils n’ont cru les hommes en uniforme, même quand ces derniers ont donné l’impression de battre en retraite. Le général Abdel Fattah el-Burhane – à la tête du coup d’État d’octobre 2021 – a beau avoir déclaré lundi que l’armée se retirait des pourparlers en cours visant à sortir le pays de la paralysie politique actuelle, ni les Forces pour la liberté et le changement (FFC), alliance hétéroclite représentative du versant civil de l’accord de 2019, ni les comités de résistance, fer de lance de la mobilisation sur le terrain, ne sont prêts à lui accorder leur confiance, même lorsqu’il justifie sa dernière manœuvre par le fait de vouloir permettre aux groupes prodémocratie de former un gouvernement civil de transition. Et pour cause : cette annonce intervient à l’issue d’une semaine meurtrière, alors que des manifestations d’envergure se sont emparées dès jeudi de la région de Khartoum pour exiger la fin du régime militaire. Le bilan de la répression est lourd. Selon le Comité des médecins soudanais, neuf personnes ont été tuées et au moins 629 blessées par les forces de sécurité.

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Certes, depuis le coup d’État, la contestation ne s’est jamais arrêtée. Mais à partir du 30 juin, elle a pris une tournure autrement marquante, avec des centaines de milliers de Soudanais prenant d’assaut les rues du pays pour la commémoration d’un triste anniversaire, celui d’un autre coup d’État – plus abouti – qui avait alors porté en 1989 Omar el-Bachir au pouvoir. Une journée symbolique durant laquelle les manifestants ont voulu témoigner d’une détermination double : ne pas revenir en arrière d’une part; réitérer l’exploit de 2019 d’autre part, en forçant les militaires à s’effacer derrière les civils.

Cet élan de révolte explique en partie le timing de l’annonce du général Burhane puisque son ampleur faisait aussi planer à ses yeux la menace d’un vaste mouvement de désobéissance civile qui risquerait d’aggraver davantage encore une situation économique déjà délétère. « Il y a des rumeurs selon lesquelles Burhane était au Caire quelques heures avant que sa décision ne soit prise. L’annonce aurait été entre autres influencée par l’Égypte », avance Kholood Khair, du groupe de réflexion Insight Strategy Partners. « Ce qui semble accréditer cette rumeur est le fait que le chef du Parti unioniste démocratique vit au Caire et que lui et sa branche au sein du parti sont les seuls dans l’opposition à soutenir la déclaration et la proposition de Burhane », poursuit-elle.

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La proposition en question n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Et tout en elle semble relever du stratagème pour fragiliser les groupes prodémocratie d’un côté et consolider la mainmise des militaires de l’autre. Pour le général, il s’agit d’établir, après la formation d’un gouvernement, un nouveau Conseil suprême des forces armées responsable des tâches de sécurité et de défense, ainsi que de responsabilités autres, aux contours flous. « L’armée conserverait le pouvoir au sein de la banque centrale ainsi que sur certains aspects de politique étrangère, notamment concernant les relations avec les Émirats arabes unis et Israël, des partenaires pour elle dans la région », explique Kholood Khair.

Come-back

Pour sortir du marasme et tenter de trouver un compromis après le coup d’État d’octobre, un mécanisme tripartite avait été mis en œuvre, composé de la mission intégrée d’assistance à la transition de l’ONU au Soudan, de l’Union africaine et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement. Sauf qu’après une première rencontre le 8 juin dernier, les discussions avaient été reportées : pour le Parti communiste, pour les FFC et pour les comités de résistance, l’initiative conférait une légitimité à une prise de contrôle illégitime. Incapable de gouverner dans le cadre du statu quo, Burhane, l’homme fort du pays, s’est tout simplement retiré des pourparlers.

« L’armée recule mais essaie désespérément de s’accrocher à son monopole sur l’économie et à son pouvoir en matière de politique étrangère, en partie pour sauvegarder les intérêts de ses parrains », souligne Mat Nashed, analyste sur le Soudan. À titre d’exemple, les forces armées soudanaises jouent un rôle majeur dans l’extraction de l’or et dans son exportation vers Dubaï. L’armée veut par ailleurs à tout prix éviter d’avoir à rendre des comptes, à la fois pour les exactions commises sous l’ère Bachir – notamment au Darfour – et pour celles ayant visé directement les contestataires lors du soulèvement de 2018.

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Pour Burhane, il s’agit aujourd’hui de faire un pas en arrière dans le but de préparer un come-back plus brutal encore que le précédent. « Avec le coup d’État d’octobre, Burhane n’a pas mené son projet à bout. Il n’a pas dissous toutes les structures du gouvernement de transition », analyse Kholood Khair. « Mais à travers le conseil de sécurité, nous nous dirigeons probablement vers un conseil purement militaire, avec plus de pouvoir que le Conseil souverain militaro-civil hybride actuellement en place », poursuit la spécialiste, qui rappelle que Abdel Fattah el-Burhane n’a cessé de courtiser les islamistes qui pourraient, comme par le passé, diriger une partie du gouvernement. Car s’il est une chose à laquelle le général ne croit pas, c’est à la capacité des groupes prodémocratie de surmonter leurs divisions pour répondre à son invitation de façade à former l’exécutif. Pour l’heure, l’opposition tente toutefois de relever le défi, malgré un timing qui lui est défavorable. Hier, les FFC ont insisté au cours d’une conférence de presse sur la nécessité de créer « un front civil large et uni ». « Il est impératif qu’une large coalition incluant et amplifiant les revendications de la rue se forme pour assumer les fonctions exécutives, mais aussi pour définir les limites des pouvoirs des militaires. Cela signifie créer un front uni pour exiger la question la plus urgente de toutes, à savoir la réforme du secteur de la sécurité, insiste Mat Nashed. Cela obligerait l’armée à céder le contrôle de l’économie, à rendre des comptes et à intégrer des groupes paramilitaires rivaux. »

Les révolutionnaires soudanais sont rodés au jeu des militaires : depuis le soulèvement de décembre 2018, depuis le renversement de l’ancien dictateur Omar el-Bachir en avril 2019, depuis la mise sur pied deux mois plus tard d’un Conseil souverain constitué de civils et de généraux chargés à l’origine d’organiser une période transitoire de trois ans vers la démocratie,...

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