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Moyen-Orient - Éclairage

Nouveau gouvernement à Bagdad, mais pas encore de sortie de crise

Après un an d’épreuves de force parfois sanglantes, l’Irak a désormais un cabinet. Celui-ci doit néanmoins faire face à d’immenses défis politiques et économiques.

Nouveau gouvernement à Bagdad, mais pas encore de sortie de crise

Le nouveau Premier ministre irakien Mohammad Chia el-Soudani lors de la cérémonie de passation des pouvoirs, le 28 octobre 2022, à Bagdad. Photo AFP

Le Parlement irakien a accordé jeudi sa confiance à l’équipe du nouveau Premier ministre Mohammad Chia el-Soudani, marquant une étape décisive dans la lente sortie de l’impasse politique où le pays s’était fourvoyé il y a un an. Depuis les législatives anticipées d’octobre 2021, les barons du chiisme politique, qui domine la vie publique, n’arrivaient pas à s’entendre sur un nouveau président, ni à désigner un Premier ministre. Leur rivalité s’est parfois muée en affrontements armés.

Finalement, le 13 octobre, les députés sont parvenus à élire le Kurde Abdel Latif Rachid à la présidence de la République. Ce dernier a dans la foulée chargé Mohammad Chia el-Soudani, un chiite comme le veut la tradition, de former un gouvernement. Jeudi soir, selon le bureau du Premier ministre, le gouvernement composé « a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale » lors d’un vote à main levée, auquel la presse n’a pas été conviée. La mission de l’ONU en Irak a « salué » l’issue du scrutin.

M. Soudani, 52 ans, succède donc à Moustafa el-Kazimi, en poste depuis mai 2020. Le nouveau chef de gouvernement est porté par les partis pro-iraniens du Cadre de coordination qui dominent l’Assemblée depuis la démission de dizaines de députés sadristes. Ennemi juré du Cadre de coordination, l’influent et imprévisible leader chiite Moqtada Sadr n’est pas représenté dans ce cabinet, conformément à son refus de participer au gouvernement.

Selon le système en vigueur de répartition des ministères, 12 des 21 portefeuilles reviennent à des chiites soutenus par le Cadre de coordination, six à des responsables sunnites (dont la Défense), deux à des Kurdes (encore à pourvoir, dont les Affaires étrangères) et un dernier à une chrétienne. Trois ministères seront occupés par des femmes. « Notre équipe ministérielle va endosser sa responsabilité en ce moment critique où le monde est témoin d’énormes changements et conflits », a déclaré Mohammad Chia el-Soudani lors de son discours avant le vote des députés.

En politique étrangère, le Premier ministre affirme « ne pas vouloir adopter la politique des axes, en poursuivant plutôt une politique d’amitié et de coopération avec tout le monde » et entend « ne pas permettre que l’Irak soit une base d’où d’autres pays sont agressés ». Même si les factions qui l’ont porté au pouvoir sont réputées proches de l’Iran, Lahib Higel de l’International Crisis Group prédit que M. Soudani « cherchera un équilibre entre l’Occident et l’Iran », d’autant plus que l’Irak « a besoin d’investissements étrangers dans divers secteurs » qui ont été épuisés par des années de crises et de guerres.

Des gages aux sadristes

En interne également, les défis sont grands. Les haines sont encore vivaces entre Moqtada Sadr et le Cadre de coordination, qui n’ont cessé de s’affronter sur la désignation du nouveau Premier ministre depuis les dernières législatives. Leur rivalité a notamment dégénéré en bataille rangée fin août à Bagdad. Plus de trente partisans sadristes ont été tués dans ces affrontements qui les ont opposés à l’armée et aux Hachd al-Chaabi, milices pro-iraniennes représentant la frange armée du Cadre de coordination, officiellement intégrées aux troupes régulières.

Comme l’explique Ihsan el-Shammari de l’Université de Bagdad, Mohammad Chia el-Soudani et le Cadre de coordination auront intérêt à donner aux sadristes « des gages quant aux réformes » qu’ils exigent pour éviter de nouveaux bains de sang. Dans son programme, le Premier ministre s’engage ainsi à organiser « des élections anticipées dans un délai d’un an », répondant, sur le papier, à l’une des demandes de Moqtada Sadr.

L’analyste Lahib Higel estime néanmoins que « les partis soutenant le gouvernement actuel ne sont pas intéressés par la tenue d’élections anticipées », d’autant qu’« un délai d’un an n’est pas réaliste ». À plusieurs reprises, Moqtada Sadr a prouvé sa capacité à mobiliser ses partisans dans la rue. Si les sadristes se sentent « isolés » ou « qu’il existe un plan pour saper leur avenir politique, nous pourrions assister à une réaction extrême » de Moqtada Sadr, prévient Ihsan el-Shammari.

Mécontentement populaire

Mais les Irakiens attendent surtout de leur nouveau gouvernement qu’il réponde à la grave crise sociale et économique qui les touche. Dans ce pays riche en hydrocarbures, les délestages électriques sont quotidiens, près de quatre jeunes sur dix sont au chômage et un tiers de la population vit dans la pauvreté.

Le chef du gouvernement devra aussi s’atteler au budget 2022, qui n’a toujours pas été adopté, et répartir les 87 milliards de dollars de devises étrangères issus des exportations pétrolières qui dormaient jusqu’à présent à la banque centrale dans l’attente du nouveau gouvernement.

Plus généralement, insiste l’analyste et politologue Ali el-Baïdar, le risque pour le gouvernement, s’il échoue, est de voir des « manifestations conjointes » mêlant les sadristes et les protestataires « inspirés du mouvement d’octobre », terme qui désigne la vague de contestation qui avait secoué l’Irak il y a trois ans. À l’époque, les manifestations, réprimées dans le sang, vilipendaient « la corruption et l’incurie » des dirigeants irakiens, mais aussi « l’ingérence » de l’Iran.

Signe de l’ire toujours vive des contestataires, l’un des leurs, le député indépendant Ali el-Rikabi, a explosé de rage pendant la séance au Parlement jeudi soir, vociférant contre « les mêmes partis au pouvoir depuis deux décennies ». Le nouveau chef du gouvernement a en effet été ministre plusieurs fois et les figures qui le soutiennent, parmi lesquelles l’ex-Premier ministre Nouri el-Maliki, sont aux commandes depuis la chute de Saddam Hussein en 2003. Ce nouveau gouvernement « arrive aux affaires avec les mêmes méthodes que les gouvernements précédents, les mêmes blocs, les mêmes partis », note Ali el-Baïdar. Et ces partis « en sont venus à considérer les ressources de l’État comme un héritage qu’ils peuvent se répartir entre eux ».

Source : AFP

Le Parlement irakien a accordé jeudi sa confiance à l’équipe du nouveau Premier ministre Mohammad Chia el-Soudani, marquant une étape décisive dans la lente sortie de l’impasse politique où le pays s’était fourvoyé il y a un an. Depuis les législatives anticipées d’octobre 2021, les barons du chiisme politique, qui domine la vie publique, n’arrivaient pas à...

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