Rechercher
Rechercher

... Et tous les autres?

Il détient plus d’un diplôme, il est magistrat de profession et il a eu droit à un beau couronnement de carrière en devenant ministre de la Culture dans l’actuel gouvernement d’expédition des affaires courantes.


Ses débuts semblaient plutôt prometteurs. Sans trop faire preuve d’originalité, il est vrai, Mohammad Mortada disait alors de nos artistes qu’ils étaient les meilleurs ambassadeurs de la créativité libanaise. Recourant volontiers au cliché, et ne faisant en somme que prêcher une convertie, il assurait en outre à l’ambassadrice de France que loin d’être facteur de division, la diversité culturelle du Liban était au contraire source de richesse, car se fondant sur la compréhension et l’acceptation de l’autre.


L’ennui est qu’à la longue le ministre, installé à son poste par le mouvement Amal, s’est forcément découvert une vocation politique : celle, s’imagine-t-il, de vigilant gardien de notre pureté culturelle, soudain menacée par l’insidieux virus sioniste qui s’apprêtait à infecter une manifestation culturelle aussi attendue que le festival littéraire Beyrouth Livres. Colossale erreur de jugement, Monsieur le juge, c’est en ridicule chasseur de sorcières que vous vous êtes posé en réalité, pour la plus grande honte de votre ministère. Et de votre pays, hélas.


Ce n’est certes pas la première fois que le boycottage d’Israël sert de faux prétexte à ce genre de dérive qui, en l’occurrence, a porté plusieurs écrivains juifs de renommée mondiale à se désister pour motifs de sécurité. Il faut souligner en revanche que le moment est particulièrement mal choisi pour ce genre de supercherie. Quoi! on ose s’y livrer alors que l’on n’a pas fini de saluer sur tous les tons la conclusion d’un arrangement maritime (pour le moins imparfait) avec Israël ; alors que l’on prétend avoir sauvé les apparences en s’en remettant aux bons offices d’un courtier américain puis en faisant chambre à part – et même papier à part ! – avec l’ennemi honni quand il s’agira, au poste-frontière de Naqoura, de signer cette entente ?


Tant de grossière hypocrisie n’est pas encore le plus scandaleux. La liberté de l’écrit n’est pas négociable, et nous résisterons à tous les obscurantismes : aussi naturelle que vigoureuse est la levée de boucliers qu’ont suscitée les propos du ministre Mortada parmi les intellectuels locaux et étrangers. Or les intellectuels n’ont au fond pas grand mérite à s’élever, à coups de pétitions contre l’ignominie, eux qui, par définition, ne peuvent respirer d’autre air que celui de la liberté d’opinion et d’expression. Seraient-ils donc devenus les seuls dans ce pays à défendre farouchement, bec et ongles, ce qui en fait sa spécificité première ? Dans le chaos institutionnel où baigne le Liban, nul en vérité n’attendait du chef du gouvernement – et encore moins du mouvement Amal – qu’il rappelle à l’ordre le triste gaffeur. Mais comment expliquer l’assourdissant silence observé dans cette affaire par la faune politique, par les élus du peuple, les bien-pensants, les partis d’opposition, les sans-parti, les adeptes du changement ?


Que l’on n’avance surtout pas pour excuse tous ces stériles rounds qui jalonnent l’actuelle élection présidentielle et qui monopolisent toutes les énergies. Car autant sinon davantage que les institutions, les libertés sont l’essence même du Liban, de sa raison d’être et par-dessus tout de son style d’existence.


Voler à leur secours comme un seul homme, faire barrage à l’obscurantisme était, et demeure, un pressant devoir national.


Issa Goraieb

igor@lorientlejour.com

Il détient plus d’un diplôme, il est magistrat de profession et il a eu droit à un beau couronnement de carrière en devenant ministre de la Culture dans l’actuel gouvernement d’expédition des affaires courantes. Ses débuts semblaient plutôt prometteurs. Sans trop faire preuve d’originalité, il est vrai, Mohammad Mortada disait alors de nos artistes qu’ils étaient les meilleurs...