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Culture - Exposition

Et si l’on essayait, nous aussi, de voir Beyrouth en couleurs ?

Jean-Marc Nahas effectue un retour sur la scène artistique libanaise à l’initiative de la galerie LT en collaboration avec While We’re Young (WWY) à travers « Beyrouth, à la folie », un accrochage comme une déclaration à sa ville qui lui a manqué, éperdument...

Et si l’on essayait, nous aussi, de voir Beyrouth en couleurs ?

« Voyage au bout du monde », acrylique sur toile, 120 x 120 cm, 2022. Courtesy l’artiste

Il avoue ne lire le journal que si l’on parle de lui, tente un trait d’esprit à chaque tournant de phrase, n’hésite pas à complimenter ses propres œuvres, reconnaît (modestie mise à part) avoir été très aimé. Jean-Marc Nahas est un être atypique, on peut l’aimer ou pas, tout comme l’ensemble de son œuvre, mais on ne peut nier son talent. Sa personnalité comme ses peintures portent à équivoque et vous laissent perplexe. On a du mal à déceler s’il fait un compliment ou se moque de vous, s’il est gentiment sérieux ou cyniquement critique. Comme ses oiseaux, il laisse planer le doute, et on ignore s’ils font l’amour passionnément ou s’entre-tuent sauvagement.

Beyrouth, à la folie présentée par la galerie LT en collaboration avec While We’re Young (WWY) à Mar Mikhaël est une exposition réfléchie en grande partie à Montréal où Jean-Marc Nahas réside depuis quatre ans, mais réalisée dans sa grande totalité à Beyrouth. « J’aime travailler sous tension, dit-il, mais arrivé à Beyrouth, tout ce que j’avais planifié ne fonctionnait plus. Le thème de l’oiseau récurent était le point départ de l’exposition, il se perdra en cours de route. Petit à petit, j’ai modifié le traitement et opéré un changement de cap. Dans ma ville natale, les émotions tout comme la couleur m’avaient prises à la gorge. Je réalisais que Beyrouth, ses sourires, son soleil, ses habitants, son humanité m’avaient manqué à la folie. Je n’avais plus envie de raconter la tragédie humaine, le drame de la guerre, l’isolement et la souffrance, mais évoquer Beyrouth dans sa beauté, sa joie de vivre, sa générosité, son cœur qui continue de battre. Je prenais conscience de ce sentiment unique et magique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Par manque d’humilité, nous n’étions pas conscients de notre richesse, de ce que cette ville nous avait offert. » Alors oui, Beyrouth, à la folie, l’artiste ne pouvait choisir meilleur titre.

« Beyrouth, à la folie », acrylique sur toile, 65,5 x 90 cm. Courtesy l’artiste

Du noir revolver au bleu bord de mer

Parler de la vie avec douceur, raconter des tranches d’existence, évoquer la cellule familiale autour de laquelle se construisent les vraies valeurs, voilà ce que Jean-Marc Nahas tente de faire : « Moi qui ai été privé de ce bonheur pour m’être séparé de mon épouse, confie l’artiste, mes dimanches étaient tristes et ma vie imposée de célibataire était mouvementée. Mon fils demeurait néanmoins mon refuge, ma fierté, la plus belle chose que la vie m’avait offerte. » Voilà comment l’artiste, par la force de ses couleurs, passe de la violence de ses dessins en traits d’encre noire (auquel il avait habitué les amoureux de l’art), rappelant le traumatisme subi aux jours sombres de la guerre civile libanaise, l’horreur et les corps des femmes violentées, à une peinture qui fait accepter l’angoisse, mais qui laisse le visiteur face à plusieurs lectures. Car en dépit de la fraîcheur acidulée de ses images, les regards lointains qui habitent ses portraits ou ses compositions ne sont pas sans refléter une âme inquiète. La violence, en couleurs, se fait moins angoissante et plus apaisante. Face à ce tableau familial réunissant père, mère et enfants, on peut en toute liberté y voir une famille au regard apeuré coincée sur une île déserte ou heureuse sur une plage en vacances. Car l’artiste aura beau faire, mélanger les bleus azur aux verts qui ne sont pas sans rappeler les couleurs d’un transat sur une plage de sable, l’angoisse demeure en filigrane dans les regards ou le traitement des visages.

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Il faut croire que son chemin fut une succession de batailles, un perpétuel rapport violent et passionnel avec la vie, jamais un long fleuve tranquille. Difficile, alors, de remettre le compteur à zéro et de prôner sérénité et quiétude.

Je veux du bonheur

Dans sa quête permanente de la perfection et son souci obsessionnel de l’équilibre, la composition donne à l’ensemble de son travail une authenticité et une singularité particulière. Ses figures reviennent d’une façon récurrente : son bestiaire avec les chiens aux crocs acérés, sa louve rose que l’on confondrait facilement avec un cochon, ses oiseaux éternellement en action et ses rats. Ses personnages aussi : le gendarme, l’haltérophile, l’assassin et les femmes. La violence d’antan est édulcorée, elle n’est plus crue comme dans le passé. Les couleurs sont franches, et le noir et le gris sont définitivement absents à sa nouvelle palette. « Je veux du bonheur, dit-il, je fais le deuil des jours sombres. Je veux des maillots et de belles femmes. Et pourtant, cette peinture aux personnages qui se métamorphosent au gré des toiles dans un style postexpressionniste, où la vie est décrite d’une façon tantôt ludique, tantôt légère et tantôt satyrique sans pathos, ne se défait pas de toutes les interrogations qui prennent place.

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Pourquoi un pot vide ? Parce qu’il ne veut pas pousser, répond l’artiste. Pourquoi le serpent se faufile-t-il ? Parce que le péché originel! Pourquoi une scène de crime ? Parce que le monde est violent, et pourquoi saint Charbel fait-il une apparition ? À charge du spectateur de trouver la réponse qui lui convient, car l’artiste avoue que ce qui importe par-dessus tout dans son œuvre, c’est d’abord le traitement et l’émotion qui s’en dégagent et non le sujet. » Beyrouth, à la folie propose surtout un regard nouveau de l’artiste sur la vie et les souvenirs du Liban, alimenté par un sens aigu de la maturité et un désir sincère de changement. Et l’artiste de terminer l’entretien en remerciant Simon Mehanna, le galeriste sans qui cette exposition n’aurait pas vu le jour. « Il est jeune, mais se conduit comme un professionnel, il m’a donné cette chance de revenir à Beyrouth et de redécouvrir ma ville. Il a cru en moi comme Amale Traboulsi et Nayla Kettaneh avaient cru en moi. »

« Beyrouth, à la folie » de Jean-Marc Nahas

WWY (While We’re Young), Mar Mikhaël Jusqu’au 27 octobre.

Il avoue ne lire le journal que si l’on parle de lui, tente un trait d’esprit à chaque tournant de phrase, n’hésite pas à complimenter ses propres œuvres, reconnaît (modestie mise à part) avoir été très aimé. Jean-Marc Nahas est un être atypique, on peut l’aimer ou pas, tout comme l’ensemble de son œuvre, mais on ne peut nier son talent. Sa personnalité comme ses peintures...

commentaires (1)

Un bel article, si bien ecrit. Un plaisir a lire

Irene Souki

15 h 13, le 22 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • Un bel article, si bien ecrit. Un plaisir a lire

    Irene Souki

    15 h 13, le 22 octobre 2022

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