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Culture - Art engagé

Le pourfendeur du consumérisme Banksy appelle à la révolution à... l’ABC Verdun

Depuis le 8 août, « The World of Banksy – The Immersive Experience » expose les œuvres de l’artiste anticapitaliste... dans un centre commercial. Une exposition à la fois paradoxale et inspirante, à « l’aurore » de l’anniversaire des trois ans de la thaoura. À découvrir absolument...

Le pourfendeur du consumérisme Banksy appelle à la révolution à... l’ABC Verdun

Adaptation inédite de « The Flower Thrower » (« le Lanceur de fleurs ») avec un ajout en arabe et en rouge du mot « thaoura » (révolution), pour l’exposition à l’Artspace. Photo Tarek Riman

« The World of Banksy – The Immersive Experience » est une exposition itinérante qui parcourt le monde : Barcelone, Bruxelles, Dubaï, Lisbonne, Milan, Paris, Prague, Rome... Elle effectue depuis le 8 août une escale au Liban, à l’ Artspace (espace artistique au troisième étage du centre commercial ABC Verdun, quartier ouest de Beyrouth), où plus de 70 reproductions d’œuvres emblématiques de l’artiste de street art, parmi lesquelles Girl With Balloon (Fille au ballon), The Flower Thrower (le Lanceur de fleurs ), The Mobile Lovers (les Amoureux mobiles), se mêlent à ses citations les plus inspirantes et à plusieurs installations vidéo retraçant son parcours d’artiste. L’exposition est présentée par le Musée Banksy et Artbooth (stand d’art mobile émirati qui fait la promotion d’artistes émergents et établis, régionaux ou internationaux).

Banksy, artiste anticapitaliste, sera exposé au centre commercial de Verdun, jusqu’au 27 février. Photo Tarek Riman

Banksy, superstar anonyme

Sur l’un des murs se trouve cette déclaration (ironique) de Banksy lui-même : « Nobody ever listened to me until they didn’t know who I was » (Personne ne m’a jamais écouté jusqu’à ce qu’ils ne sachent pas qui j’étais). En effet, personne ne sait qui il est, mais tout le monde connaît son nom, aujourd’hui (street) artiste incontournable, star de l’ombre, introduit en 2010 dans le TIME100, classement des 100 personnes les plus influentes de notre époque du Time Magazine.

Selon toute vraisemblance, Banksy serait né à Bristol en Grande-Bretagne en 1974. Difficile de sortir du conditionnel, car l’artiste a passé sa vie à échapper aux médias pour rester dans l’anonymat, essence même de la scène underground qu’il affectionne. Il voit en l’« invisibilité un superpouvoir » (tiré de ses mots inscrits sur l’un des murs : « Invisibility is a Superpower »). Les prises de paroles de l’activiste britannique sont donc rares ; ses actions parlent pour lui.

Pour mémoire

Les géniales (im)postures de Banksy

Être indigné et irrévérencieux, Banksy est un artiste polyvalent (pochoir, peinture, sérigraphie, sculpture, collage, installation…), talentueux à l’âme révolutionnaire, qui aime choquer en jouant les usurpateurs et les provocateurs. Il interpelle les citoyens et éveille les consciences sur la condition humaine, avec un humour parfois poussé. Depuis 1993, le street artist s’est engagé dans une lutte solitaire pacifiste, contestataire, anticonformiste et anticapitaliste. Banksy est aujourd’hui un emblème moderne, fervent et fidèle combattant de l’injustice et des inégalités, défendeur de la liberté, avec pour seules armes des bombes de peinture, des feutres et des pinceaux, qu’il utilise dans une esthétique singulière avec ironie, raillerie et poésie, sur tous les continents.

« The World of Banksy » plonge le visiteur dans l’univers de cet artiste de rue (et non de musée ou de galerie) aussi fascinant que mystérieux, devenu incontournable.

De gauche à droite, de haut en bas : « No Ball Game », « Sweep It Under the Carpet », « UFO Invasion », « Show Me the Monet », « CND Soldiers », « Girl With Balloon ». Montage photo Tarek Riman

Exposition anticapitaliste… dans un centre commercial

L’exposition est une rétrospective légitime sur le fond, mais contradictoire sur la méthode. Banksy, artiste de rue pourfendeur du consumérisme, se retrouve enfermé du 8 août au 27 février dans le temple de la consommation libanais.

Ce n’est cependant pas la première fois que l’activiste contribue malgré lui au fonctionnement du système capitaliste, qu’il essaie pourtant de fuir et de combattre. En effet, depuis 2012, certaines de ses œuvres au pochoir réalisées sur les murs de Londres sont arrachées et vendues aux enchères outre-Atlantique. John Dolan, artiste de rue sévissant dans le quartier de Shoreditch à Londres, confiait au journal le Monde que l’affaire de ces vols ressemble à un « Robin des Bois à l’envers, qui prendrait aux pauvres pour donner aux riches ».

La tendance ne s’est pas ralentie depuis. Bien au contraire. L’année dernière, Girl With Balloon rebaptisée Love Is in the Bin ( l’Amour est dans la poubelle ) après que l’œuvre a été partiellement autodétruite par l’artiste lui-même pendant la vente, battait un record en s’envolant à plus de 21 millions d’euros. En voulant procéder à un acte suprême de rébellion face à la marchandisation de l’art (la destruction de sa propre œuvre), l’artiste échouait à détruire de la valeur et montrait les tares du capitalisme moderne.

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Banksy, victime de l’infernale machine capitaliste, qui sans cesse s’accapare son succès et renverse le message de son travail, est maudit jusqu’au pays du Cèdre, puisque c’est dans cette continuité paradoxale que ses œuvres se visitent, pour 10 dollars, à l’ABC Verdun.

Le centre commercial emblématique, vidé par la crise auquel le pays fait face depuis 2019, continue malgré tout d’accumuler tee-shirts, chaussures, bijoux, burgers et produits de consommation en tous genres, qui ne sont pas seulement en contradiction avec le message de Banksy, mais vont jusqu’à cacher l’existence de l’exposition. Au troisième étage, c’est à Zara, Starbucks et Burger King que les gens se retrouvent. Seuls quelques curieux qui passent par-là, entre Virgin Megastore et Sports Experts, se demandent ce qui se passe à l’Artspace ; moins encore font le pas à l’intérieur de l’exposition, qui malheureusement nulle part n’est indiquée, ce qui donne l’impression qu’à l’ABC, seules les publicités sont exposées.

Non seulement le lieu, mais aussi le prix (fixe à travers le monde) nuit à la dimension pédagogique de l’événement. En effet, le tarif n’a pas pris en considération le contexte de crise et n’a donc pas été exceptionnellement ajusté, ce qui ferme l’accès à la galerie pour une majorité de la population, dont une génération de (jeunes) Libanais qui pourrait être inspirée par les valeurs de l’artiste.

Banksy, c’est le revers de la reconnaissance d’un graffeur qui soutenait que le « commercial (success) is a mark of failure for a graffiti artist » (Le succès commercial est une marque d’échec pour un graffeur), comme il est affiché sur l’un des murs proche de l’entrée. Mais l’exposition de Beyrouth fait exception ; pas de file d’attente à l’entrée, un succès modéré comparé à la plupart des autres villes où l’événement souvent affichait complet. Est-ce dû à un désintérêt local pour l’artiste et ses thématiques? Un prix à l’entrée décourageant ? Un manque de communication de la part des organisateurs ? Ou… un acte activiste des Libanais, qui revendiqueraient l’inadéquation entre l’esprit de Banksy et le lieu inapproprié choisi pour l’exposer ?

En choisissant de ne pas se rendre au temple de la consommation beyrouthine à d’autres fins que pour… consommer, le peuple du pays du Cèdre redonne à Banksy la place qu’il mérite. En reprenant et en réajustant ses mots cités un peu plus haut « commercial (failure) is a mark of success for a graffiti artist ».

Malgré tout…

« The World of Banksy – The Immersive Experience » reste un accrochage incontournable, un véritable « cadeau » pour le pays, qui a la chance de recevoir, malgré la conjoncture actuelle, une exposition de qualité en provenance de l’étranger.

Le lieu transpire et transmet aux visiteurs l’esprit rebelle et révolutionnaire de Banksy avec justesse, et aborde ainsi des thématiques importantes en osant avancer et créer la polémique sur des sujets sensibles, dans un pays où la liberté d’expression n’est pas toujours bienvenue.

Ceux qui sont déjà familiers avec l’artiste auront plaisir à retrouver la reproduction de ses œuvres emblématiques à taille réelle. Quant à ceux qui le découvrent, une explication historique, contextuelle et descriptive accompagne chaque tableau ou fresque, pour que rien ne se perde, afin que tout se transforme.

En effet, Banksy est subversif, l’exposition l’est aussi. Les citations explicites comme : « Art should comfort the disturbed and disturb the comfortable » (L’art doit réconforter le dérangé et déranger le confortable) ou « There are four basic human needs : food, sleep, sex and revenge » (Les besoins humains sont : manger, dormir, le sexe et la vengeance) interpellent, surprennent et choquent, et se mêlent aux messages implicites pour pousser le public à réfléchir et à questionner la société et son fonctionnement. L’artiste « encourage tous ceux qui veulent copier, emprunter, voler ou amender (ses) œuvres à des fins de divertissement, de recherche académique ou d’activisme ».

Certaines des valeurs de Banksy et des thématiques abordées dans l’exposition sont contemporaines à la période que le Liban est en train de traverser. L’événement arrive donc à un moment crucial, où plus que jamais ces sujets ont besoin d’être abordés, considérés et entendus au pays du Cèdre.

L’artiste questionne les règles qui, selon lui, restreignent la société, interfèrent avec les choix personnels, comme dans « No Ball Game » (2006) (Pas de jeux de ballon) où il laisse entendre que même les activités innocentes et quotidiennes des enfants, comme jouer au ballon dehors, sont contrôlées.

Il dénonce le déni du monde occidental et sa réticence à s’attaquer aux problèmes globaux tels que la pauvreté dans « Sweep It Under The Carpet » (2006) (Balayé sous le tapis). La considération de l’Occident face aux problèmes auxquels fait face le Liban est-elle à la hauteur ?

L’éternel conflit entre modernité et tradition, qui constamment écarquille le Liban, est touché du doigt dans « UFO Invasion » (2006) (Invasion OVNI), représenté par une création artistique qui juxtapose le familier (un tableau d’un paysage pictural) avec l’inattendu (une invasion extraterrestre). Des juxtapositions similaires se retrouvent à travers le pays, où le béton petit à petit remplace la pierre, où les publicités des chaînes de fast-foods américaines côtoient les affiches des partis politiques conservateurs…

Un des thèmes favoris de Banksy, la mise en garde contre le capitalisme et le consumérisme comme dans « Show Me the Monet » (2006) (Montre-moi le Monet), qui détourne le célèbre tableau « Les Nénuphars » de l’artiste français pour montrer l’impact de la pollution sur l’environnement et aurait pu être imité ici au Liban par une photo sans trucage de n’importe quelle rivière « qui coule » dans le pays.

Des messages de paix comme dans « CND Soldiers » (2005) (Soldats de la CND, 2005, campagne de désarmement nucléaire britannique), qui remet en question les fondements de l’autorité, de la liberté et de la parole, et met en évidence la banalisation de la guerre par les médias, à laquelle le pays du Cèdre est quotidiennement confronté.

Un message primordial pour le Liban, celui de l’espoir, avec le célèbre « Girl With Balloon » (2002), métaphore de la perte inévitable de l’enfance et de l’innocence, où le ballon rouge de la petite fille évoque la fragilité de ce qu’il représente : l’innocence, les rêves et l’amour…

Ce ne sont pas seulement les reproductions d’œuvres qui font la qualité de l’exposition, mais aussi les citations de l’artiste affichées sur les murs, porteuses d’espoir, appelant à la résistance, à l’image de ses valeurs. À l’intérieur, il est écrit : « A wall is a very big weapon. It’s one of the nastiest things you can hit someone with » (Un mur est une arme puissante. C’est une des pires choses avec laquelle tu puisses frapper quelqu’un), dans un pays où les murs servent soit à la propagande publicitaire soit aux représentations religieuses qui marquent le territoire public du sceau communautaire et exercent une pression constante, imposant ainsi des systèmes de pensée et des idéaux qui privent l’individu d’une certaine liberté (culturelle).

… une exposition porteuse d’espoir

Aujourd’hui, le pays commémore les trois ans du début de la thaoura, mouvement révolutionnaire du 17 octobre 2019, qui s’est éteint depuis, sans rien changer. Au contraire, la situation au Liban a empiré. La crise économique, politique et sociale bat son plein. La classe politique, conspuée par la rue, s’accroche encore et toujours au pouvoir et refuse d’apporter les réformes tant attendues. Le système confessionnel est bloqué et la situation semble inextricable. « Some people represent authority without ever possessing any of their own » (Certaines personnes représentent l’autorité sans même en avoir), déclare l’artiste qui appelle les populations à se (re)lever : « If you get tired, learn to rest, not to quit », « be positive, patient and persistent », « there’s nothing more dangerous than someone who wants to make the world a better place ». Traduit en français, en mettant les citations de l’activiste bout à bout, le message devient : « Si tu te fatigues, apprends à te reposer, pas à abandonner », « reste positif, patient, et persiste », car « il n’y a rien de plus dangereux qu’une personne qui veuille rendre le monde meilleur ».

« The World of Banksy – The Immersive Experience » , jusqu’au 27 février 2023 à l’Artspace, ABC Verdun (3e étage). Tous les jours de 10h à 22h. Billets en vente dans tous les ABC Customer Services, 10 dollars…

« The World of Banksy – The Immersive Experience » est une exposition itinérante qui parcourt le monde : Barcelone, Bruxelles, Dubaï, Lisbonne, Milan, Paris, Prague, Rome... Elle effectue depuis le 8 août une escale au Liban, à l’ Artspace (espace artistique au troisième étage du centre commercial ABC Verdun, quartier ouest de Beyrouth), où plus de 70 reproductions...

commentaires (1)

« Nobody ever listened to me until they didn’t know who I was »... d'une certaine façon ceci s'applique au Liban ? Si notre Patrie etait inconnue, son "Message" aurait été plus Vrai et mieux accepté...

Wlek Sanferlou

16 h 48, le 17 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • « Nobody ever listened to me until they didn’t know who I was »... d'une certaine façon ceci s'applique au Liban ? Si notre Patrie etait inconnue, son "Message" aurait été plus Vrai et mieux accepté...

    Wlek Sanferlou

    16 h 48, le 17 octobre 2022

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