Au Qatar, la Coupe du monde la plus sécurisée de l’histoire

En jaune les agents de la circulation, en vert et noir les experts en explosifs, en bleu canard les commissaires sur le terrain. Début octobre, le comité national qatari chargé des opérations de sûreté et de sécurité dévoilait en grande pompe les uniformes portés par les onze corps de métier qui assureront la sécurité tout au long de la Coupe du monde de football qui commence le 20 novembre et se terminera le 18 décembre 2022. Un code couleur qui pourrait être utile pour identifier le personnel de sécurité local parmi les nombreux contingents étrangers qui ont répondu à l’appel de Doha, pour apporter un soutien militaire et une expertise logistique pendant les 28 jours que durera l’événement tant attendu. Premier pays arabe à accueillir la Coupe du monde, le petit émirat du Golfe s’apprête à relever un défi de taille en accueillant 1,5 million de visiteurs, sur une population totale de 2,9 millions d’habitants, dont seulement 10 % d’autochtones.

Formation au maintien de l’ordre

« Il va probablement s’agir de la Coupe du monde la plus sécurisée de l’histoire », affirme Andreas Krieg, professeur au département des études de la défense du King’s College de Londres, citant le « déploiement massif de personnel de sécurité sur le terrain, sur la mer et dans les airs », ainsi qu’un « dispositif technologique comprenant capteurs, caméras et drones ». Face aux défis que représentent le maintien de l’ordre, la prévention des cyberattaques ou encore la menace terroriste, le Qatar a en effet déployé un véritable arsenal sécuritaire domestique mais aussi tissé un faisceau de partenariats internationaux. Le pays hôte pourra compter sur ses quelque 50 000 policiers et soldats, auxquels s’ajouteront des conscrits, notamment des hommes qataris âgés de 18 à 35 ans, appelés dans le cadre de leur service militaire obligatoire. À l’étranger, la Jordanie, le Maroc, la France, la Turquie, l’Allemagne, les États-Unis ou encore le Pakistan ont répondu à l’appel d’offres, organisé dans le cadre du projet Stadia, créé par Interpol en 2012 et financé par le Qatar.

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Si nouer des alliances avec des pays étrangers pour coordonner les protocoles sécuritaires est loin d’être inédit, jamais le dispositif déployé n’aura été aussi tentaculaire. En considérant l’espace restreint dans lequel se déroulera le Mondial, la plupart des stades étant concentrés dans la capitale, « pour le pays hôte qui n’est pas un habitué des mobilisations de masse, le défi à relever concerne le maintien de l’ordre », note Andreas Krieg. « En termes d’expertise, il est certain que les pays européens ont une plus grande expérience pour gérer le contrôle des foules face à des supporteurs de football potentiellement violents », note-t-il. Un contrôle qui se joue également en amont : plus de 1 300 supporters anglais et gallois sont d’ores et déjà interdits de se rendre au Qatar par le Royaume-Uni, en raison de leurs antécédents de violence.

Alliances stratégiques

« La popularité de la Coupe du monde accroît les préoccupations sur la sécurité physique et non physique de l’émirat pendant les matches. D’où la signature d’accords avec des pays qui entretiennent déjà de bonnes relations bilatérales avec le Qatar », pointe Hazal Muslu el-Berni, docteure de la Kadir Has University d’Istanbul, spécialiste de la politique et la sécurité des pays du Golfe. En effet, la Turquie, qui avait soutenu militairement le Qatar pendant la crise du Golfe de 2017 opposant Doha à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et à plusieurs autres pays musulmans, enverra pas moins de 250 soldats, 3 200 policiers antiémeute, des experts en explosifs, des chiens renifleurs et détecteurs de bombes, et un petit navire de guerre stationné pendant six mois au Qatar. La coopération autour de l’événement mondial pourrait aussi être l’occasion d’appuyer d’autres stratégies géopolitiques. En France, 220 agents issus de la gendarmerie nationale et de la sécurité civile seront envoyés à l’occasion du Mondial, mais « l’assistance militaire se poursuivra probablement aussi après la Coupe », assure Hazal Muslu el-Berni. Selon la chercheuse, cette alliance pourrait permettre à l’Hexagone de « conclure des accords énergétiques avec le Qatar, le plus grand producteur de gaz naturel liquéfié. »Au-delà des ambitions géopolitiques, cette coopération internationale initiée par le Qatar représente aussi un appel d’air opportun d’un point de vue individuel. Ainsi, en Jordanie, des publicités font la promotion d’emplois à pourvoir au Qatar à destination des soldats à la retraite de moins de 45 ans ayant une expertise dans le domaine de la sécurité. Une perspective qui séduit, dans un pays où le taux de chômage atteint 23 % et où les salaires des militaires sont particulièrement bas. Mais aussi un traitement à géométrie variable venant du Qatar, pays régulièrement pointé du doigt par la communauté internationale en raison des conditions de travail des travailleurs immigrés, y compris des agents de sécurité.