Les jeux sont faits. Le Liban et Israël ont reçu hier soir la proposition définitive visant à régler leur différend sur le tracé de leur frontière maritime. Si les médias israéliens ont vite confirmé la « réception d’une version modifiée du projet d’accord auquel les autorités libanaises ont apporté des amendements », à Beyrouth on parlait, jusqu’à tard dans la soirée, d’une version « toujours pas définitive », celle-ci devant être reçue « dans quelques heures ». Un flou expressément entretenu alors que les contacts sont entrés dans leur dernière ligne droite, et que les derniers détails discutés relèvent surtout de la sémantique et ne touchent plus à l’essence de l’accord. C'est finalement peu après minuit que la confirmation est tombée : le vice-président du Parlement, Élias Bou Saab, chargé par le président Michel Aoun de suivre les négociations, a bel et bien reçu le brouillon final de l'accord. Les premières informations font état d'une résolution des derniers points litigieux.
C’est dans une véritable course contre la montre que s’est engagé le médiateur américain dans ce dossier, Amos Hochstein, pour réduire les écarts et parvenir à une version finale acceptable pas les deux parties. Depuis l’annonce, jeudi dernier, par Tel-Aviv du refus des amendements libanais apportés au texte, le diplomate a intensifié ses contacts avec les responsables des deux pays en vue de remettre l’accord sur les rails. « Les discussions se sont achevées, des remarques ont été faites, et la version définitive de la proposition de résolution sera envoyée dans les prochaines heures » aux deux parties, annonçait Baabda dimanche soir après un entretien téléphonique entre le président Michel Aoun et Amos Hochstein. « La partie libanaise étudiera attentivement » ce texte afin de prendre « une décision adéquate », a ajouté le communiqué de la présidence.
Sauf que pour les Américains, les négociations sont terminées, apprenait-on dans la soirée de source proche du dossier. Amos Hochstein attendra la réponse du Liban et d’Israël à cette proposition finale, précise-t-elle, estimant que les deux pays sont très proches d’un accord. Plus tôt dans la journée, un responsable du département d’État avait affirmé à la chaîne al-Arabiya que le médiateur américain « est en contact avec toutes les parties et œuvre pour résoudre les différends restants, alors que les négociations sont dans leur phase finale ». « Nous demeurons engagés à parvenir à une solution et pensons qu’un accord sur le long terme est possible et à portée de main », a-t-il précisé. Un optimisme partagé par le président libanais qui a affirmé hier que « les négociations indirectes avec Israël ont déjà fait un bon bout de chemin » et que les « écarts se réduisent » entre les positions des deux pays. Le Liban s’apprête à finaliser dans les prochains jours « tous les arrangements » liés aux négociations maritimes, a-t-il ajouté. Une source libanaise suivant de près les négociations a évoqué à L’Orient-Le Jour l’éventualité que l’accord soit signé « dans les dix prochains jours ».
La version modifiée
Mais qu’est-ce qui a donc changé en l’espace de quelques jours ? Jeudi dernier, Israël annonçait son refus catégorique des amendements demandés par la partie libanaise, allant jusqu’à déclarer l’état d’alerte à la frontière. Et dimanche, l’entreprise Energean a commencé à pomper du gaz vers son installation flottante de production dans le champ gazier offshore de Karish, dans le cadre des procédures de test de flux inversés approuvées par le gouvernement israélien. Le Hezbollah a menacé à plusieurs reprises de frapper le site si Israël commençait les travaux d’extraction avant que le Liban ne puisse en faire de même dans sa Zone économique exclusive (ZEE). « Si le Hezbollah commet une faute ou attaque Israël d’une quelconque manière, nous détruirons le Liban », menaçait quelques heures plus tôt le ministre de la Défense, Benny Gantz.
Dans ses amendements, Beyrouth a refusé de reconnaître la « ligne des bouées », alors qu’Israël exigeait que l’accord tienne compte de cette ligne, cela relevant à ses yeux d’une importance stratégique. La « ligne des bouées » – qui avait été mise en place par Israël après son retrait du Liban-Sud en 2000 – s’étend sur 6 kilomètres avant de rejoindre la ligne 23 revendiquée par le Liban. Selon des médias israéliens, le Liban a demandé à modifier le texte qui se référait à cette ligne en utilisant le terme « de facto » au lieu du terme de « statu quo ». Autre point rejeté par l’État hébreu, la demande libanaise que ne soient pas mentionnées dans le texte les « compensations financières » accordées à la partie israélienne pour ce qui est de la partie du champ gazier de Cana qui dépasse vers le sud la zone que borde la ligne 23. Il est prévu que l’une des sociétés du consortium chargé de l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures offshore dans la ZEE du Liban, le géant français Total en principe, joue les intermédiaires en payant elle-même un forfait à la partie israélienne. Face à cette montée des enchères – intervenues côté israélien à quelques semaines des élections législatives et après que le Premier ministre Yair Lapid a été accusé par son rival, Benjamin Netanyahu, d’avoir « entièrement plié face aux menaces de Hassan Nasrallah » – l’administration américaine semble avoir mis les bouchées doubles. Durant le week-end, des contacts intensifs ont été menés entre la partie libanaise, notamment Élias Bou Saab, et l’équipe de négociateurs américains dirigée par Amos Hochstein. « Le Liban a senti une sérieuse volonté américaine de clore ce dossier, que ce soit avant ou après les législatives israéliennes, et quels que soient les résultats de ce scrutin », confie une source proche du dossier.
Selon des informations obtenues par notre journal, la version modifiée de la proposition finale de M. Hochstein aborde les deux amendements litigieux comme suit : au cours des négociations, les Israéliens ont insisté pour considérer « la ligne des bouées » comme une partie de la frontière maritime séparant les deux pays. Cela impliquerait que le point de départ du tracé soit le point 31 et non le point B1, à partir duquel le Liban a tracé la ligne 23, sa revendication officielle. Le Liban a complètement rejeté cette proposition, notamment parce qu’elle pourrait avoir des conséquences sur le tracé de la frontière terrestre. Il était alors question que la zone qui se situe entre la « ligne des bouées » et la ligne 23 soit déclarée zone sûre, mais sous souveraineté libanaise, étant donné qu’elle appartient à la ZEE du Liban. Face au refus israélien, le médiateur américain a proposé que cette zone soit supervisée par les Nations unies, mais cette fois-ci c’est le Hezbollah qui s’y est opposé parce qu’il est contre l’élargissement du mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Et dans ses amendements, le Liban a retiré la clause liée à la zone sûre du texte. Yaïr Lapid a totalement rejeté cette option, brandissant de nouveau l’enjeu sécuritaire. Le médiateur américain a donc exercé des pressions sur Israël et ses contacts ont mené à la formule suivante : laisser cette zone qui ne dépasse pas les quelques kilomètres suspendue jusqu’au moment de discuter du tracé de la frontière terrestre. Entre-temps, Le Liban ne la considère pas comme une frontière israélienne et insiste pour qu’elle soit sous sa souveraineté. Selon des sources qui suivent le dossier, cette zone sera appelée « zone franche séparative », qui a besoin d’arrangements logistiques pour assurer la stabilité et les opérations d’exploration et d’extraction. Ainsi, la nouvelle proposition prévoit une substitution linguistique pour faire référence à cette zone en tant que zone franche et non plus zone sûre. La phrase qui fait état d’arrangements sécuritaires sera, elle, remplacée par arrangements logistiques. L’accord stipule aussi que les deux parties commencent à travailler sur la prospection ou l’extraction, quelle que soit l’identité de cette région. Le Liban a confirmé par ailleurs qu’il n’a rien à voir concernant la question des indemnités et qu’il ne veut aucune référence à ce point-là dans le décret qui sera déposé à l’ONU. Cela devrait concerner les relations entre les Israéliens et la société Total qui ont déjà entamé des discussions à ce sujet. Le Liban exige en outre que Total puisse prospecter sans prendre l’autorisation d’Israël.
commentaires (8)
Si le fossoyeur pouvait s’enterrer pour quelque temps …
Citoyen Lambda
13 h 36, le 11 octobre 2022