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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

En Libye, Ankara (re)passe à l’offensive

De Bruxelles à Washington, le nouvel accord turco-libyen a suscité une levée de boucliers face à ce qui est perçu comme un nouveau coup de force afin de mettre la main sur des hydrocarbures en zones contestées.

En Libye, Ankara (re)passe à l’offensive

La ministre libyenne des Affaires étrangères Najla al-Mangoush (à droite) en compagnie de son homologue turc, Mevlut Cavusoglu, lors d’un point de presse à Tripoli, le 3 octobre 2022. Mahmud Turkia/AFP

Ils ne sont jamais partis. Mais ils avaient un temps feint de se plier aux règles du jeu international. En Libye, les Turcs ne renoncent à rien. Le gouvernement d’unité nationale (GNU) soutenu par Ankara, basé à Tripoli et mené par Abdel Hamid Dbeibah, traverse, il est vrai, des temps difficiles. Depuis que son mandat est arrivé à expiration en décembre dernier, la communauté internationale lui a progressivement retiré la confiance qu’elle lui avait accordée en 2021 suite à son élection à Genève dans le cadre d’un processus de paix parrainé par l’ONU. Pour Ankara en revanche, ces contrariétés formelles ne changent pas fondamentalement la donne. Sur le plan des intérêts stratégiques et de la vision à long terme, la « Sublime Porte » tient le cap. Et consolide ses acquis.

Engagé sur le terrain libyen depuis 2019, Ankara n’a eu de cesse de maintenir une présence à la fois discrète et sans concession. Après son succès face aux troupes du maréchal Haftar début 2020, inversant le rapport de force sur le terrain, Ankara travaille depuis un enracinement au long court, à la fois militaire et économique. Le nouvel accord signé lundi entre le GNU et une délégation turque conduite par le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, devrait poursuivre cette approche méthodique en facilitant la prospection d’hydrocarbures dans les eaux territoriales et sur le sol libyen.

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Officiellement, très peu d’éléments ont filtré. Selon le porte-parole du gouvernement de Tripoli, Mohammad Hamouda, le « protocole d’entente » viserait à « développer des projets liés à l’exploration, à la production et au transport de pétrole et de gaz ». L’exploration devrait être conduite par « des compagnies turco-libyennes mixtes », a expliqué de son côté le chef de la diplomatie turque lors d’un point de presse.

Rien de frauduleux en apparence. Mais pour les chancelleries occidentales, l’annonce marque une énième provocation de la part d’Ankara en Méditerranée orientale. Trois ans après la conclusion d’un premier mémorandum controversé portant sur la délimitation maritime entre les deux pays, la nouvelle a déclenché une levée de boucliers. L’Union européenne, qui dit redouter une manœuvre visant à « saper la stabilité régionale », a rappelé dans un communiqué daté du 3 octobre son opposition à cette entente sans « aucune conséquence juridique », qui « porte atteinte aux droits souverains des États tiers » et « n’est pas conforme au droit de la mer ».

« Illégale et inacceptable »

C’est qu’en matière de coup de force sur le terrain libyen, la Turquie n’en est pas à son coup d’essai. L’accord de novembre 2019 avait déjà été perçu par la Grèce, mais aussi par l’Égypte et Chypre, comme une tentative afin de se réapproprier des zones stratégiques, riches en hydrocarbures et essentielles dans la construction d’un gazoduc reliant la Méditerranée orientale au Vieux Continent. Le Caire et Athènes – qui avaient signé en août 2020 leur propre accord de démarcation des frontières – devraient cette fois encore se concerter sur la réponse à adopter. Le chef de la diplomatie grecque, Nikos Dendias, qui avait écrit sur son compte Twitter que le gouvernement de Tripoli était dépourvu de « légitimité » pour sceller un tel accord, est attendu dimanche dans la capitale égyptienne.

Mais si l’accord paraît si facilement contestable, c’est d’abord en raison de la volatilité du contexte politique libyen. Car les protestations internationales se fondent avant tout sur la fragilité de l’exécutif libyen, largement contesté en interne tant par le pouvoir rival de l’Est que par les Libyens eux-mêmes, qui l’accusent de corruption. Après une courte année d’accalmie, le pays est de nouveau hanté depuis le début de l’année par le spectre d’une décomposition nationale, écartelé entre d’un côté l’exécutif de Tripoli, et de l’autre le Parlement de Tobrouk et le gouvernement rival dirigé depuis février par Fathi Bashagha.

Le camp affilié au chef de l’Armée nationale libyenne, Khalifa Haftar, n’a pas manqué de dénoncer l’annonce de lundi, qualifiée d’« illégale et d’inacceptable » par le président de la Chambre des représentants, Aguila Saleh. L’exécutif mené par l’ancien ministre de l’Intérieur a de son côté affirmé vouloir « répondre de manière appropriée à ces abus qui menacent la sécurité et la paix », selon le site d’information Libya Update.

En face, Ankara et Tripoli se défendent de tout manquement au droit. L’affaire concerne « deux pays souverains, c’est du gagnant-gagnant pour les deux et les autres pays n’ont pas le droit de s’ingérer dans ces affaires », a ainsi affirmé Mevlut Cavusoglu, tandis que son porte-parole, Tanju Bilgic, déclarait de son côté que « s’opposer à cet accord de coopération entre deux États souverains est contraire à la fois au droit international et aux principes fondamentaux de l’ONU ». L’UE, a-t-il précisé, n’est pas un organe judiciaire international qui peut commenter ou statuer sur des accords entre pays tiers souverains. La Libye représente un des nombreux théâtres au sein desquels la rivalité entre d’un côté Ankara et de l’autre Athènes et Washington continue d’être à l’œuvre, malgré une reprise partielle du dialogue en 2021. En arrière-plan de ces crispations, les enjeux géostratégiques en Méditerranée orientale et des questions de défense chères au reis turc, comme notamment l’acquisition par la Turquie de F-35 américains.

Ils ne sont jamais partis. Mais ils avaient un temps feint de se plier aux règles du jeu international. En Libye, les Turcs ne renoncent à rien. Le gouvernement d’unité nationale (GNU) soutenu par Ankara, basé à Tripoli et mené par Abdel Hamid Dbeibah, traverse, il est vrai, des temps difficiles. Depuis que son mandat est arrivé à expiration en décembre dernier, la...

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