Au Liban, un accord peut parfois en cacher un autre. La conclusion possible du deal sur la délimitation de la frontière maritime avec Israël pourrait accélérer... la formation du gouvernement. C’est en tout cas ce que laisse entendre le camp présidentiel à moins d’un mois de l’expiration du sexennat, le 31 octobre. Le chef de l’État, Michel Aoun, a dit lundi espérer une prochaine naissance de l’équipe ministérielle, « maintenant que tous les obstacles qui entravaient jusque-là le processus sont aplanis ». La communauté internationale pousse en ce sens. Le Hezbollah aussi. Mais les planètes ne semblent pas encore alignées. « Le processus gouvernemental se poursuivra en dépit de tous les obstacles et de toutes les conditions », a dit hier le Premier ministre désigné Nagib Mikati. Comprendre : on est loin du compte.
Il s’exprimait dans le cadre d’une cérémonie tenue mardi à l’hôtel Phoenicia à Beyrouth. L’occasion pour lui de faire passer plusieurs messages politiques, comme son attachement à l’accord de Taëf, un point essentiel pour l’Arabie saoudite. « Nous sommes déterminés à poursuivre nos efforts conformément à la Constitution. Il est interdit que le parcours constitutionnel soit saboté ou entravé », a-t-il ajouté, dans une pique évidente au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, accusé de retarder la mise sur pied d’un cabinet.
En cas d’échec à former une équipe ministérielle, le pays risque de plonger dans le vide au niveau de l’exécutif, M. Aoun étant déterminé à ne pas remettre ses pouvoirs à un cabinet sortant. Pour éviter un tel scénario, le Hezbollah, allié de longue date du tandem Aoun-Bassil, s’active pour accélérer les tractations gouvernementales. L’agence locale al-Markaziya a annoncé hier qu’un émissaire du parti se rendra chez M. Mikati durant les prochaines heures.
Dans un premier temps, la formation chiite était parvenue à convaincre le camp présidentiel de renoncer à la demande d’élargir le cabinet sortant en y incorporant six figures politiques. C’est ce qui avait fait dire à certains observateurs que la genèse du prochain cabinet était imminente.
Un remaniement de plus en plus large
Sauf que selon les informations de notre chroniqueur politique Mounir Rabih, le chef du CPL aurait posé de nouvelles conditions à Nagib Mikati. Dans la foulée des tractations articulées autour d’un remaniement de l’équipe sortante, Gebran Bassil plaiderait pour que les changements aillent au-delà des ministres sortants de l’Économie Amine Salam (sunnite, relevant de la quote-part de Michel Aoun) et des Déplacés, Issam Charafeddine (druze, proche du chef du Parti démocratique libanais, Talal Arslane). Le député de Batroun plaiderait en effet pour que soient remplacés six ministres chrétiens gravitant dans son orbite. Il s’agirait de : Abdallah Bou Habib (maronite, Affaires étrangères), Georges Kallas (grec-catholique, Jeunesse et Sports), Walid Nassar (maronite, Tourisme), Najla Riachi (grecque-catholique, État pour le développement administratif) et, surtout, le vice-Premier ministre Saadé Chami (grec-orthodoxe, gravitant dans l’orbite du Parti syrien national social), qui dirige les négociations entre le Liban et le Fonds monétaire pour sortir le pays de la crise inédite qui le secoue depuis plus de trois ans. Une telle démarche serait une réaction de Michel Aoun et son camp à l’opposition du tandem Mikati-Chami à sa volonté de greffer deux de ses conseillers à la délégation libanaise, formée en septembre 2021.
Le CPL rejette ces accusations en bloc, préférant en imputer la responsabilité à Nagib Mikati. « Nous n’avons jamais demandé quoi que ce soit au sein du cabinet qui devrait être formé d’ici à quelques jours », affirme Ghassan Atallah, député du Chouf, contacté par L’Orient-Le Jour. « C’est le Premier ministre désigné qui bloquait le processus, parce qu’il ne voulait pas que le cabinet soit formé avant la fin du mandat », souligne-t-il estimant qu’« après la finalisation du tracé de la frontière maritime avec Israël, il n’y a plus de raisons pour tergiverser davantage sur la question du gouvernement ».
Ghassan Atallah reconnaît toutefois que le camp présidentiel reproche au Premier ministre désigné sa volonté de nommer le successeur d’Amine Salam, qui relève du lot de Baabda. « Il ne peut pas agir de la sorte avec le président, alors qu’il demande au président de la Chambre, Nabih Berry (grand adversaire du tandem Baabda-CPL), de choisir le substitut du ministre des Finances, Youssef Khalil », déplore le député aouniste. À en croire les milieux de Aïn el-Tiné, le ministre des Finances aurait fait part de sa volonté de quitter son poste. Il devrait être remplacé par Yassine Jaber, ancien député berryste de Nabatiyé.
Le ministre des Télécoms aussi
Youssef Khalil n’est pas le seul à vouloir claquer la porte du gouvernement. Il y a aussi son collègue des Télécoms, Johnny Corm, proche des Marada et de Farid el-Khazen, député du Kesrouan. « Je ne veux plus rester à mon poste pour des motifs personnels », confie le ministre sortant à L’OLJ. « Cela fait deux mois que je le demande à Nagib Mikati qui se montrait réticent, craignant une atteinte aux équilibres politiques et confessionnels au sein de son équipe », ajoute le ministre qui fait savoir que c’est M. Khazen qui l’avait nommé à son poste et qui devrait en choisir le successeur. De sources concordantes, on apprend qu’il s’agirait de Ziad Chalfoun, président de la municipalité de Ghosta, un des fiefs de Farid el-Khazen.
Pour ce qui est du ministre des Déplacés, le nom de son substitut n’est pas encore décidé, sachant que Nagib Mikati est à la recherche d’une personnalité qui ne provoquerait pas le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, désintéressé par le dossier gouvernemental. Car pour lui, la priorité doit être donnée à l’élection présidentielle. Plusieurs médias locaux ont évoqué ces derniers jours le nom de Majid Arslane, fils de Talal Arslane, pour remplacer Issam Charafeddine. « Cette option n’est pas sur la table parce que l’intéressé poursuit ses études universitaires à Londres », précise le porte-parole du Parti démocratique libanais, Jad Haïdar, soulignant que les contacts à ce sujet se poursuivent avec les alliés du parti, dont le tandem chiite et le CPL.
commentaires (7)
Il Vous paye combien Mikati OLJ?
Emile G
19 h 41, le 05 octobre 2022