Tout le monde attend Nagib Mikati. C’est le maître mot de l’écrasante majorité des protagonistes concernés par la formation du gouvernement. Car ce n’est qu’avec le retour du Premier ministre désigné – en déplacement à New York – que se décidera le sort du cabinet. Ce temps mort, les parties impliquées dans les tractations semblent vouloir l’investir en défrichant le terrain pour la genèse d’un cabinet après le retour du milliardaire sunnite. Deux scénarios portant sur un remaniement ministériel sont actuellement examinés dans les coulisses. L’un d’eux prévoit une modification limitée à deux portefeuilles seulement, notamment les Déplacés et l’Économie, alors que l’autre comprend de plus larges changements qui toucheraient d’autres postes sensibles, comme celui du vice-Premier ministre.
À sa sortie de Baabda jeudi dernier, le chef du gouvernement désigné avait distillé un optimisme prudent quant à une prochaine mise en place de son équipe. Une attitude qui avait été expliquée par un forcing exercé par la France et le Hezbollah en vue d’accélérer le processus pour éviter le vide total au niveau de l’exécutif après la fin du mandat du président de la République Michel Aoun le 31 octobre prochain.
« Nous avons mené des contacts auprès du président Aoun et du Premier ministre, prônant la mise sur pied d’un cabinet de pleins pouvoirs pour gérer le pays dans la prochaine phase », confie à L’Orient-Le Jour un cadre du Hezbollah qui a souhaité garder l’anonymat. « C’est ce qui a fait dire au secrétaire général du parti Hassan Nasrallah, lors de son dernier discours – prononcé samedi à Baalbeck – qu’il y a de fortes chances de former un gouvernement dans un avenir proche. Des informations rapportées récemment par les médias locaux indiquent que le chef de l’État a renoncé à la demande d’élargir le gouvernement sortant de 24 à 30 ministres en y incorporant six figures politiques, trois chrétiens et trois musulmans. Une option que Nagib Mikati a longtemps rejetée pour ne pas permettre au chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil (gendre de M. Aoun) d’avoir un droit de regard sur l’action du cabinet qui pourrait gérer le pays dans une période de vacance présidentielle. Pourquoi le président a-t-il modifié sa position ? « C’est une énigme. Michel Aoun a surpris Nagib Mikati qui a évoqué ce point avec lui lors de leur réunion jeudi dernier », raconte un proche du Hezbollah qui suit le dossier gouvernemental. « Le Premier ministre désigné a fait savoir au chef de l’État que l’élargissement de l’équipe sortante se heurte à plusieurs veto. Le président a donc fait marche arrière », ajoute-t-il. Il fait référence au fait que le président de la Chambre Nabih Berry, grand adversaire du camp de Baabda, s’oppose à une telle démarche, rejoignant ainsi Nagib Mikati, dont il est un des principaux soutiens. « Nous sommes contre cette option parce qu’elle porterait atteinte aux équilibres politiques au sein de l’équipe ministérielle », justifie un proche de M. Mikati.
Deux ou quatre
Vers quel cabinet se dirige-t-on donc? « Nous allons vers une équipe de 24 ministres avec quelques remaniements », répond Ali Darwiche, ancien député tripolitain gravitant dans l’orbite de Nagib Mikati. Deux scénarios sont évoqués dans les coulisses. Le premier prévoit le remplacement du ministre de l’Économie Amine Salam (sunnite) par une personnalité sunnite du Akkar. Le ministre des Déplacés Issam Charafeddine (druze, proche du chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane) ferait lui aussi fort probablement l’objet d’un remaniement, notamment après le différend qui l’a récemment opposé au Premier ministre avec, en toile de fond, la question du retour des réfugiés syriens. Selon une personnalité proche du Hezbollah, M. Charafeddine pourrait être remplacé par un technocrate druze. « Le nom de Saleh Gharib, ex-ministre d’État pour les Affaires des réfugiés et proche de M. Arslane, a été évoqué puis écarté », confie-t-elle. Est-ce une façon d’éviter de provoquer le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, dans la mesure où le nom de M. Gharib est lié aux affrontements de Qabr Chmoun qui avaient opposé, en juin 2019, des éléments du PSP à d’autres proches de Talal Arslane ? « Nous ne sommes pas concernés par les tractations parce que le ministre (druze) de l’Éducation Abbas Halabi jouit de notre confiance », tranche Marwan Hamadé, député joumblattiste du Chouf. Il précise que sa formation n’a mis de veto sur aucune nomination.
De son côté, notre chroniqueur politique Mounir Rabih indique que le Hezbollah pourrait s’activer pour rétablir les ponts coupés entre le chef du gouvernement et le ministre des Déplacés. Une information que les milieux du parti chiite ne confirment pas. Modifier la composition d’un gouvernement devrait toutefois obéir à la norme qui régit toute l’action politique au Liban, pays à l’équilibre confessionnel précaire. Tout changement qui concerne une communauté religieuse doit inévitablement s’appliquer aux autres. Le remaniement dont il est actuellement question ne déroge pas à la règle. C’est le second scénario en discussion. Outre le remplacement des ministres de l’Économie et des Déplacés, le remaniement porterait aussi sur des ministres chrétiens et chiites, apprend-on de sources concordantes. Il s’agirait surtout du ministre des Finances Youssef Khalil, chiite, proche du président de la Chambre Nabih Berry. Ce dernier chercherait à le remplacer par Yassine Jaber, ex-député berryste de Nabatiyé. Selon une source proche du dossier, le remaniement pourrait également porter sur un ministre chrétien relevant de la quote-part de Michel Aoun. Il s’agirait de la ministre d’État pour le Développement administratif Najla Riachi (grecque-catholique). Plusieurs observateurs s’attendent, de leur côté, à ce que le président de la République en profite plutôt pour demander le limogeage du vice-Premier ministre Saadé Chami, proche du Parti syrien national social et vétéran du Fonds monétaire international qui dirige les négociations en cours entre le Liban et cette instance. Il s’agirait là d’un règlement de comptes entre le chef de l’État et le tandem Mikati-Chami. Ces deux derniers s’étaient en effet opposés il y a un an à ce que Michel Aoun greffe deux de ses conseillers à la délégation négociant avec le FMI pour avoir son mot à dire dans un dossier aussi sensible. « Nous ne pouvons pas nous prononcer avant le retour de M. Mikati », se contente de commenter Ali Darwiche.
commentaires (5)
Le remaniement ministériel devrait surtout se faire au niveau de l'énergie... On nous a promis du gaz Égyptien, du pétrole Jordanien, du pétrole Irakien ensuite du pétrole Iranien... Depuis, plus rien silence radio !! L'on pensait que le premier ministre avait fait de son départ une priorité. Donc les finances resteront avec berry et l'énergie avec le cpl... Bien entendu on ne change pas une équipe qui gagne..
C…
23 h 57, le 22 septembre 2022