Les députés de la contestation crient au scandale. L’entente sur la délimitation de la frontière maritime que le Liban et Israël seraient sur le point de conclure a suscité bien des critiques dans leurs rangs. Aussi bien sur le fond, en matière des droits du Liban sur ses ressources naturelles, que sur le plan de la forme – sommes-nous en train de conclure un accord sous la table, en catimini entre les trois pôles du pouvoir ? –, les doutes sur la pertinence de la dernière proposition faite par le médiateur américain, Amos Hochstein, ont commencé d’ores et déjà à surgir. C’est l’un de ces députés, Melhem Khalaf, qui a ouvert le bal par un tweet dénonçant un marchandage fondé selon lui sur l’arbitraire.
« Ce qui a filtré jusque-là sur une victoire à venir en matière de délimitation de frontière n’a aucun fondement technique ou juridique », a estimé M. Khalaf en référence entre autres au fait que les deux parties n’ont pas pris le point terrestre de Ras Naqoura dans le processus de la délimitation. Selon lui, « nous sommes dans l’arbitraire », ce qui risque d’entraîner de lourdes conséquences et de créer des précédents dans d’autres opérations de délimitation à venir, notamment avec la Syrie ou avec Chypre.
D’autres députés du même groupe ont aussitôt pris le relais pour aller dans le même sens. « Ils ont torpillé en chœur et de manière concertée la ligne 29 qui, scientifiquement, est incontestablement un droit libanais acquis, a enchaîné Ibrahim Mneimné. Ils ont revu les droits du Liban à la baisse. Certains essayent aujourd’hui de crier victoire afin de couvrir cet acte de traîtrise qui brade les droits du Liban sans aucun document légal. »
Depuis le début de la polémique sur la ligne de démarcation qui doit être retenue dans le cadre de ces négociations, les députés de la contestation n’ont cessé de plaider en faveur de l’adoption de la ligne 29, reconnue par l’armée libanaise en 2011 comme étant la zone de délimitation adéquate qui garantit au Liban ses pleins droits en matière d’hydrocarbures. Or c’est finalement à un compromis auquel les deux parties aux négociations, le Liban et Israël, via les États-Unis qui jouent les médiateurs, sont parvenues.
Le texte remis samedi aux autorités libanaises prévoit que la zone accordée au Liban soit délimitée par la ligne 23, mais que Beyrouth obtienne également la totalité du champ gazier de Cana, qui dépasse vers le sud la zone que borde la ligne 23. Selon les termes de cette proposition, une compensation financière serait payée à Israël par une des sociétés du consortium chargé de l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures offshore dans la zone économique exclusive (ZEE) du Liban, sachant que Beyrouth a déjà fait parvenir son refus d’intervenir à ce niveau.
Selon les premières analyses distillées dans la presse, la proposition répondrait donc en grande majorité aux revendications du Liban. Mais par-delà la question des droits du Liban, ce sont également des questions de forme et de logistique que soulèvent certains pourfendeurs de cette proposition.
M. Khalaf met notamment en cause la question de la nature de l’acte qui doit entériner cette entente. C’est par analogie qu’il procède. « Cette délimitation n’entraîne-t-elle pas un engagement de la souveraineté du Liban ainsi que des richesses du pays ? » Selon lui, cela signifie que le texte s’apparente à un accord international et doit par conséquent être voté par la Chambre comme le prévoit l’article 52 de la Constitution. « Absolument pas », rétorque Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph. « L’entente en vue de la délimitation des frontières est juridiquement un acte unilatéral qui est notifié en vertu de la convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer. C’est une règle générale qui s’applique à tous les États », dit le professeur.
D’ailleurs, il est impossible pour le Liban, qui ne reconnaît pas Israël comme une entité étatique, de procéder à un accord en bonne et due forme. « Le seul accord qui avait été signé entre les deux États est l’accord d’armistice de 1949 destiné à concrétiser la cessation des hostilités », précise M. Zgheib.
Aujourd’hui, si le Liban est d’accord sur la proposition écrite faite par le médiateur US, les autorités procéderont à la modification du décret 6433 déjà soumis aux Nations unies en 2011. Le décret devrait être paraphé uniquement par le président de la République, le Premier ministre et les ministres des Travaux publics et de la Défense. « Nous ne sommes donc pas en présence d’une convention internationale qui doit, selon les termes de l’article 52 de la Constitution, être approuvée par la Chambre », assure M. Zgheib.
Melhem Khalaf se soucie par ailleurs de la question de la durabilité de cet accord. « Qu’adviendra-t-il si l’État hébreu et la société en charge de l’extraction entraient en conflit ? Cela entraînerait la suspension des opérations au Liban », anticipe d’ores et déjà le député, en citant pour exemple les travaux suspendus dans le champ dit d’Aphrodite du fait d’un litige entre Israël et Chypre.
Les parlementaires de la contestation font-ils de la surenchère ? « Pas vraiment », répond un autre professeur de droit international qui dit croire à la bonne foi de ceux qui ont critiqué la procédure. « Il y a simplement une confusion au niveau de la compréhension de la nature de ce dossier dont l’aspect juridique est complexe et requiert des spécialistes », dit-il. Une méconnaissance du dossier qui n’a aucun point commun avec la querelle en cours de l’autre côté de la frontière, entre le leader de l’opposition et patron du Likoud, l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, et le Premier ministre israélien sortant Yaïr Lapid, à quelques semaines des législatives israéliennes. Le premier accuse le second d’avoir « donné au Hezbollah un territoire souverain de l’État d’Israël comportant un énorme gisement de gaz qui vous appartient, à vous citoyens israéliens ». Jusqu’où ira ce bras de fer ?
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LA LIBRE EXPRESSION
10 h 49, le 05 octobre 2022