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Culture - Exposition

Nevine Bouez interroge le pouvoir et la fragilité d’un monde invisible sous les eaux...

À la galerie Tanit, la céramiste crée un jardin insoupçonné, comme son double fantasmé d’un monde marin qui lui permet de sonder le pouvoir et la fragilité de la nature et du temps.

Nevine Bouez interroge le pouvoir et la fragilité d’un monde invisible sous les eaux...

Nevine Bouez, un travail conceptuel qui explore les thèmes de la condition humaine, de l’éphémère et de l’éternité. DR

Ceux qui connaissent Nevine Bouez vous parleront immanquablement de ce sourire qui ne la quitte quasiment jamais, et qui, comme un soleil, éclaire là où elle passe. Il conviendrait effectivement de s’attarder un peu sur ce sourire, un sourire d’enfant presque, qui révèle à la fois une curiosité certaine et une certaine fragilité. En ce sens, s’il fallait résumer la personnalité artistique de Nevine Bouez, ces deux attributs seraient sans doute les plus adéquats. La curiosité et la fragilité, justement, qui racontent aussi, en condensé, « Sous l’eau la Terre compose », l’exposition solo de ses pièces et sculptures en céramique qu’elle présente actuellement à la galerie Tanit. La curiosité de l’artiste, son appétit pour la complexité des milieux aquatiques, de ce monde presque imaginaire où, sous l’eau, dans les abysses, la Terre prend forme et se réinvente. Mais, surtout, la fragilité de ce monde invisible, la fragilité de la nature dans sa globalité, dont les fêlures des pièces en céramiques de Bouez, notamment celles rapiécées à travers la technique japonaise du raku, sont la parfaite expression.

Des vases noirs comme traversés de pores racontent des récifs coralliens et des fossiles oubliés. DR

Un voyage de tous les possibles

Entre Le Caire et Beyrouth, Nevine Bouez dit avoir grandi dans un environnement qui a laissé libre cours à ses appétences pour l’art ; sous le regard d’une mère qui, très tôt, accrochait les toiles de sa fille dans l’appartement familial. « L’ambiance familiale était propice à la liberté d’expression artistique. J’ai aussi eu la chance d’avoir été entourée d’une génération d’artistes, en Égypte et au Liban, qui exploraient différents styles et appartenaient à diverses écoles de peinture et de sculpture. Mais par-delà ces pièces sculpturales, j’étais surtout entourée de personnalités libres pour qui la créativité était un mode de vie, et c’est cela même qui m’a inspirée », se souvient-elle. L’art était donc une évidence pour celle qui fera ses armes à la Oxford School of Design, où elle décroche une licence en Fine Arts.

Avec la technique japonaise du raku, l'artiste provoque des couleurs inespérées. DR

Pendant longtemps, elle se plaît à explorer un éventail de techniques et de médiums artistiques, la gravure, la peinture, le travail de la porcelaine ; et fait même un passage dans le domaine de la décoration d’intérieur. Cela dit, le déclic survient lorsque Nevine Bouez s’essaie à la céramique dont elle dit : « Dès que je touche ma terre crue, j’ai envie de lui donner vie. Cela évoque mes sentiments du moment. Tout peut déclencher l’inspiration, comme une forme intéressante, une texture, une couleur ou une sensation. Un simple moment peut se transformer en une série d’idées. Mon aspiration est de rétablir le lien entre les êtres humains et les éléments terrestres en parfaite communion, par le biais de mon intention artistique. » La malléabilité et la flexibilité du matériau, ainsi que le pouvoir d’un geste, le pouvoir de l’empreinte de ses mains sur la terre, confèrent à la céramique « quelque chose de l’ordre du voyage. Un voyage de tous les possibles », pense l’artiste. D’ailleurs, parlant voyage, c’en est un auquel Nevine Bouez invite à travers son exposition actuelle à la galerie Tanit, à Beyrouth. Le titre donné à l’ensemble est à lui seul un appel à regarder ce monde sous nos pieds, ce monde à l’envers du monde, où la terre se transforme, se crée et se déploie au cœur des eaux.

Une vue de l'installation « Sous l'eau la Terre compose », un jardin de nénuphars aux couleurs troubles. DR

Un jardin insoupçonné

Tout ce monde-là, « le secret des eaux » comme l’exprime Clémence Cottard Hachem (chargée de la direction artistique de l’exposition), Nevine Bouez le matérialise par le prisme de son geste artistique. Les mouvements de l’eau, les traces du sable, le souffle des courants semblent consteller la peau de ses sculptures dont on se demande presque si elles sont végétales, vivantes. Ses vases noirs, comme traversés de pores, racontent des récifs coralliens et des fossiles oubliés sous les océans. D’autres sculptures aux lignes molles qui se plient et se dévoilent évoquent tantôt des algues marines, ou le souvenir du passage d’une onde salée. Un jardin de nénuphars aux couleurs troubles et intenses grimpe sur les murs de la galerie Tanit. Et là, sous nos yeux, on est tout d’un coup frappé par la puissance, le pouvoir de la terre qui, par de minuscules mouvements, révèle son immense poésie. Le plus saisissant dans cette exposition, c’est que Nevine Bouez ne se suffit pas de célébrer la majesté de la Terre mère, comme elle le répète. Au contraire, en faisant appel à la technique japonaise de raku, par exemple – qui consiste à « retirer des objets en argile du four, au plus fort de la cuisson, alors qu’il est encore incandescent. Ils sont ensuite enduits de sciure de bois puis recouverts hermétiquement afin d’en conserver l’oxygène. Ils sont ensuite rapidement noyés dans l’eau, provoquant un choc thermique et un refroidissement très rapide qui produisent un effet craquelé exquis », comme l’explique la céramiste.

La force et la fragilité des sculptures de Nevine Boueiz. DR

« Sous l’eau la Terre compose » questionne à la fois l’impermanence, la fragilité et le caractère éternel de la faune et la flore sous-marines. C’est sans doute ce qui explique la confrontation de formes délicates, presque au point de rupture et d’autres plus robustes, au sein de ce jardin insoupçonné. « Mon travail conceptuel explore les thèmes de la condition humaine, de l’éphémère et de l’éternité. Mon objectif étant de mettre en valeur à la fois la beauté et la fragilité de la vie marine. De souligner que l’eau nourrit la Terre et nous relie ainsi tous. Redonner du sens au temps et à la main qui façonne, questionner l’échelle cosmique et la nature de tout ce qui est vivant, telle est la voix de mes créations céramiques. » En somme, cette exposition est à elle seule un appel à écouter ce que nous dit l’eau ; à s’arrêter pour regarder faire la nature et le temps.

*« Sous l’eau la Terre compose » de Nevine Bouez à la galerie Tanit, Beyrouth, jusqu’au 6 octobre.

Ceux qui connaissent Nevine Bouez vous parleront immanquablement de ce sourire qui ne la quitte quasiment jamais, et qui, comme un soleil, éclaire là où elle passe. Il conviendrait effectivement de s’attarder un peu sur ce sourire, un sourire d’enfant presque, qui révèle à la fois une curiosité certaine et une certaine fragilité. En ce sens, s’il fallait résumer la personnalité...

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