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La mentalité milicienne dans l’action politique

La mentalité milicienne dans l’action politique

Pendant la guerre, la majorité de la population souffrait des pratiques des milices tout en espérant le retour de l’État. ©Archives L’OLJ


« Il y a deux formes de destin : un destin vertical et un destin horizontal. » (Amin Maalouf)

L’aberrant de la pratique politique au Liban à laquelle tout le monde semble s’habituer laisse peu d’espoir. Sous la couverture d’un pacte national ambivalent, la vie politique dans le pays se déroule honteusement en dehors des procédures constitutionnelles et juridiques. Elle est marquée par des manœuvres malveillantes, des jeux de dupe, des accusations lancées inconsidérément entre parties adverses dans une attitude d’indifférence complète à l’égard de la misère des Libanais. Ceux-ci, très dépendants de leur appartenance confessionnelle, totalement désorientés par les partis politiques, incapables de proposer une vision nationale unificatrice, et surtout complètement écrasés sous le poids de multiples crises financières et économiques, semblent de plus en plus impuissants face à la descente aux enfers de leur pays. Le plus dramatique dans cette atmosphère assez lugubre est que cette situation anormale est tellement pesante et enracinée dans la société que la nécessité d’un examen des sources du mal est quasiment ignorée. Il est donc impératif d’envisager des solutions autres que celles habituellement prises in extremis en temps de crise et qui ne sont que de simples issues pragmatiques et provisoires. On pourra alors déceler les éléments nécessaires pouvant aboutir à une transformation culturelle et politique indispensable orientant le pays sur une bonne voie.

La pratique politique susmentionnée ne fait que prolonger, sous une forme nouvelle, les pratiques répressives des différentes milices qui dominaient le pays pendant les longues années de guerre ; dans certaines régions ces pratiques existent encore telles qu’elles étaient à l’origine. Ces milices ont manifesté leur désir d’exercer un contrôle total sur leurs régions respectives en s’attribuant les privilèges de l’État et en imposant leurs idéologies ou leurs slogans politiques aux différents domaines de la société. Elles n’ont supporté aucune opposition politique et parfois même aucune diversité culturelle ou religieuse en ayant recours aux intimidations et aux menaces systématiques.

Ce comportement répressif fut employé au nom de la défense de l’existence de la confession ou de l’idéologie confessionnelle propre contre « l’ennemi » interne ou externe ; mais il s’est finalement retourné contre lui-même, se transformant en guerre entre milices rivales d’une même ligne politique. Et pour cause ! Chaque milice voulant tout dominer ne tolère aucune diversité ; chaque milice n’imagine sa pérennité que dans la remise du pouvoir entre les mains d’une seule référence. Celle-ci assure alors sa continuité en mettant sa société sous la surveillance permanente de miliciens qui observent tout le monde dans un milieu où chacun doute de la sincérité et de la fidélité de l’autre à cette référence et aux valeurs qu’elle représente.

De nombreuses études ont déjà montré que le nombre de miliciens pendant la guerre ne représentait qu’un faible pourcentage de la population totale des régions, et que la majorité de la population souffrait des pratiques des milices tout en espérant le retour de l’État. Ce sincère désir populaire ne s’est hélas pas traduit en mouvements politiques nationaux (au sens littéral du terme) pour plusieurs raisons : on constate non seulement les barrières physiques érigées par les milices entre les régions, la désintégration des institutions étatiques et la domination subséquente de la tutelle syrienne, mais encore l’absence parmi les Libanais de points communs forts qui leur permettraient de réaliser une politique clairement orientée vers l’intérêt de la nation et le bien commun. Il y a là une barrière psychologique populaire qui persiste.

Les milices qui ont beaucoup fait souffrir les Libanais représentent l’extrémisme naturel d’une culture antiétatique prévalant qui fait que l’action politique est réalisée en dehors des règles constitutionnelles et juridiques. Rien d’étonnant alors si le paysage politique actuel n’est que le prolongement des pratiques des milices et que les Libanais succombent à ces pratiques sans pouvoir pour autant en changer la donne.

Le principal problème réside dans le confessionnalisme négatif très souvent masqué derrière un visage positif du confessionnalisme qui se résume par des slogans tels que « l’État est pour toutes les confessions et tous les Libanais » ou « le Liban comme un terrain de rencontre riche des religions et cultures », et d’autres slogans dont le pacte national reste le protecteur et le garant. Malgré la justesse relative de ces slogans, le confessionnalisme a pourtant institutionnalisé le communautarisme qui, en raison de ses legs historiques et religieux, implique un regard suspect sur l’autre et ravive une identité collective dont la préservation devient un obstacle majeur à l’établissement d’un État moderne.

La prédominance du confessionnalisme ne peut qu’affaiblir et marginaliser l’État, tout en banalisant le rôle de la Constitution et des lois. La référence confessionnelle, grâce à son noyau dur religieux, n’a de compte à rendre à personne et ne peut être mise en question. De plus, cette référence renforce son immunité et sa permanence en s’adressant à son public propre à partir de la dimension religieuse et historique ; elle puise ainsi sa légitimité non dans la base populaire, mais dans la doctrine religieuse et ses manifestations politiques étroites. En revanche, indirectement et peut-être inconsciemment, la base populaire souhaite être représentée dans la communauté politique non pour rechercher des valeurs communes qui transcenderaient les intérêts sectaires, mais pour préserver son identité confessionnelle inséparable de la mission de sa religion. En conséquence, la référence confessionnelle se voit porteuse et gardienne d’un message qui est non seulement temporel mais aussi céleste. Quant à la base populaire propre, elle voit en cette référence son représentant naturel, c’est-à-dire non imposé sur elle.

En fait, l’existence d’une telle référence politique confessionnelle abolit tout rôle des individus ; l’ensemble du groupe devient captif de cette référence qui peut facilement recourir à la diffusion de la violence théologique et de l’hostilité théologique pour servir ses propres intérêts. Rien ne remplace l’émancipation du citoyen en tant que personne capable de raisonner librement pour réfléchir et déterminer avec les autres citoyens en quoi consiste leur bien commun.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

« Il y a deux formes de destin : un destin vertical et un destin horizontal. » (Amin Maalouf)L’aberrant de la pratique politique au Liban à laquelle tout le monde semble s’habituer laisse peu d’espoir. Sous la couverture d’un pacte national ambivalent, la vie politique dans le pays se déroule honteusement en dehors des procédures constitutionnelles et juridiques. Elle...

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